Que se cache-t-il donc derrière la proposition d'intervention de la BCE ?
(Easybourse.com) Jeudi 2 août, le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, annonçait le lancement d'une sérieuse réflexion au sein de l'institution monétaire en vue d'adopter de nouvelles mesures non conventionnelles. Parmi celles-ci, l'activation d'un nouveau programme de rachat des titres de dette des pays actuellement en difficulté - Espagne et Italie notamment - en vue de réduire leur taux obligataire et par conséquent leur coût de refinancement sur les marchés.
À lire dans ce dossier.

Interview
Fabrice CoustéDirecteur Général
CMC Markets France

Interview
Philippe WaechterDirecteur de la Recherche Economique
Natixis Asset Management

Interview
Philippe WaechterDirecteur de la Recherche Economique
Natixis Asset Management

Interview
Patrick MoonenStratégiste
ING IM

Interview
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Federal Finance

Interview
Ricardo SantosEconomiste
BNP Paribas
Un revirement de situation
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La BCE s’est sentie plus rassurée
«La BCE s’est sentie plus rassurée» renchérit Jean-François Kerbiriou stratégiste chez Federal Finance
Objectif de la BCE : gagner du temps
Cette annonce et ces mesures non conventionnelles sont destinées à gagner du temps. «L’on sait pertinemment qu'il n'y a aucun moyen de sortir de la crise de la dette par davantage d'endettement. Des réformes structurelles sont indispensables pour récupérer de la compétitivité et retrouver de la croissance. Or ces réformes mettent du temps à produire leurs effets. En attendant, l’institution monétaire aide à palier aux dysfonctionnements patents, le risque de liquidité bancaire avec les opérations de refinancement à long terme, la fragmentation du marché obligataire avec un rachat massif de titres de dette» précise Fabrice Cousté.
Une intervention conditionnée
Tiraillée entre deux feux-aider les gouvernements en allégeant leur coût de refinancement et faire en sorte que ces derniers poursuivent la mise en application de leurs réformes-la BCE s’est dite notamment prête à intervenir sur le marché à deux conditions. Les gouvernements devront prendre l’engagement de poursuivre leurs réformes pour assainir leurs finances publiques et devront solliciter une aide soit du FESF, soit du MES.
Selon Fabrice Cousté, si la première condition n’est pas surprenante, la deuxième condition l’est davantage.
Pour ce qui est de la première condition, depuis plusieurs mois, le gouverneur de la BCE ne cesse de marteler la nécessité pour les politiques de montrer leur détermination à rentrer dans les clous. «Mario Draghi en a fait son cheval de bataille. Ce message s’était accompagné de l’interruption du programme de rachat de titres de dette par l’institution monétaire afin d’exercer une certaine pression» rappelle le directeur général de CMC Markets France. Les engagements seront définis par les gouvernements, de leur plein gré et porteront sur trois niveaux : le niveau budgétaire et fiscal, le niveau structurel et le niveau institutionnel.
Par la deuxième condition, la BCE veut amener les Etats à assumer leur
La BCE se conduit habilement, en ce qu’elle n’impose pas de diktat aux Etats
Le passage par un Fonds de secours européen est également un moyen d’encadrer la conditionnalité. L'EFSF/MES aura donc pour charge de valider ou de corriger les engagements pris par l’Etat demandeur de l’intervention de la BCE sur son compartiment obligataire. «Ce ne sera qu’après validation que la BCE pourra intervenir» note Philippe Waechter, directeur de la Recherche au sein de Natixis Asset Management. Il devra, qui plus est surveiller le respect par les Etats qui bénéficient de l’intervention de la BCE, des engagements pris pour redresser leurs finances publiques.
Uniquement des titres de courte maturité
La BCE s’est engagée à ne racheter que des titres de dette de court terme. «Ce positionnement permet de limiter au maximum les attaques juridiques car cela est plus conforme à son mandat (transmission de la politique monétaire)» justifie Jean-François Kerbiriou, stratégiste chez Federal Finance. En outre «en se concentrant sur les titres de courte maturité, la BCE maintient la pression sur les gouvernements. Ces derniers devront revenir sur les marchés assez
La BCE maintient la pression sur les gouvernements
Est-ce à dire pour autant, que l’intervention sera sans impact sur les taux longs ? Philippe Waechter, répond par la négative. «La BCE pourra peser sur la partie longue en intervenant par effet de contagion et aplatir la courbe. Dans la mesure où les engagements du pays demandeur seront validés par le Fonds de secours cela supposera qu’ils sont de nature à permettre un assainissement des finances publiques sur le long terme. Cela pourrait alors contribuer à un repli plus prononcé des taux d'intérêt long».
Toutefois, «une détente durable n'interviendra pas sans une amélioration de la trajectoire de la dette dans les pays en difficulté et cela prendra des années» conclut Fabrice Cousté.
Des précisions à apporter
Deux questions importantes doivent notamment être traitées par les comités internes de l’institution monétaire, celle de la stérilisation des instruments rachetés, et celle de l’antériorité de la BCE découlant de ces investissements vis-à-vis des investisseurs classiques. «La question de l’antériorité peut paraître inquiétante. L’investisseur qui prête de l’argent veut savoir quand il sera remboursé, et dans quelles conditions» remarque Fabrice Cousté.
«Il faudra prendre en compte le volte- face qui s’est produit avec le plan bancaire accordé à l’Espagne. Dans le plan initial, il était prévu que le MES ait une séniorité par rapport aux autres investisseurs. Cela a été abandonné. Cet abandon ne plaide par pour un maintien de l’antériorité de la BCE vis-à-vis des investisseurs classiques » souligne Philippe Waechter. «Si elle demeure,
L’antériorité pourrait ainsi constituer un frein au refinancement de ces Etats
Pour ce qui est de la problématique de la stérilisation, les experts semblent opter pour la solution de la non stérilisation. «Parce que la stérilisation du précédent programme de rachat de titres de dette, dit programme SMP a été in fine assez compliquée, la probabilité d’une non stérilisation de cette nouvelle orientation est assez forte» énonce Philippe Waechter. Tel est également l’avis de Jean-Michel Maingain «même si cette non stérilisation conduit à une extension du bilan de la BCE qui a déjà fortement progressé, le risque de marché sous jacent est atténué par un niveau d’inflation relativement modéré. Le danger actuellement est plutôt déflationniste compte tenu de la sévérité de la crise financière et de la dégradation de la conjoncture économique. Les capacités de production sont notablement sous utilisées. Le chômage en augmentation.En outre, les opérations de refinancement de la BCE ne se traduisent pas par une forte augmentation du crédit au niveau de l’économie réelle».
Imen Hazgui
Publié le 14 Août 2012