Interview de Christophe de Margerie : PDG de Total

Christophe de Margerie

PDG de Total

Les prix de l’énergie resteront durablement élevés

Publié le 05 Juin 2008

Auditionné par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le PDG de Total, Christophe de Margerie, a apporté son analyse sur l’évolution des cours du pétrole. A l’en croire, les prix de l’or noir «resteront durablement élevés», concluant à la nécessaire «acceptabilité» de ce fait par les consommateurs. Le dirigeant du groupe pétrolier français a en effet jugé qu’«il n'y aura plus beaucoup de pétrole à la fin de ce siècle», et que la flambée des prix n’était pas seulement la résultante d’une spéculation échevelée. «Bien sûr qu'il y a de la spéculation, a-t-il admis, mais expliquer que les prix du pétrole augmentent depuis 1999 en passant de 12 dollars à 130, à cause de la spéculation, c'est soit ignorant, soit très con, soit une volonté de tromper». D’autant, a-t-il ajouté, que «les vannes sont aujourd'hui ouvertes à fond».

Quant à l’avenir, le PDG de Total a rappelé que «sur les énergies complémentaires et tout d'abord le solaire, nous nous y intéressons depuis de nombreuses années mais nous avons décidé clairement de renforcer notre effort de développement, voire même d'aller jusqu'à des acquisitions si c'est nécessaire pour gagner du temps».

Devant la presse, Christophe de Margerie est revenu sur la situation des marins pêcheurs, et son analyse sur l’évolution des prix de l’énergie…

Vous avez évoqué les difficultés rencontrées par les marins pêcheurs en raison de l’envolée des prix du gasoil. Comment comptez-vous les aider ?
C’est un dialogue qui a été organisé par le ministère de la pêche, et je ne vois pas de raisons de cacher quoi que ce soit. Vous pouvez demander aux pêcheurs ce qu’ils en ont retenu, mais très clairement pour ce qui nous concerne, il s’agissait tout d’abord de s’expliquer, et en particulier les pêcheurs ont bien reconnu devant le ministre qu’aujourd’hui, ils achètent ce qui est vendu par Total au prix de revient, il n’y a donc aucune marge sur ce que nous leur vendons, et que ce qu’il faut faire en revanche, c’est d’aider à trouver des solutions pour leur permettre d’être eux aussi plus efficaces et performants, et de moins subir les coûts.

Maintenant, pour toute la partie qui est liée à la problématique du prix du poisson, il s’agit clairement de quelque chose dans laquelle je n’ai pas à rentrer, puisque ça ne nous concerne pas.

Etre plus efficaces au niveau des moteurs diesel, surtout faire en sorte qu’il y ait un rééquilibrage de l’offre et de la demande sur le diesel qui leur profite directement puisqu’ils le subissent également quelque part dans la mesure où il n’y a pas de taxes sur le gasoil marin, et qu’à chaque fois qu’il y a une hausse, il n’y a pas d’amortisseur fiscal. Les marins pêcheurs sont ainsi plus sensibles que n’importe qui à la hausse du gasoil au prix de revient. Il faudra faire tout ce qu’on pourra pour rééquilibrer les prix et éviter de faire une surchauffe qui n’est d’ailleurs pas que française mais également internationale… Il faut comprendre que le problème est international puisque c’est l’offre et de la demande internationale qui crée le problème du gasoil, ce n’est par une question de capacité de raffinage en France…

Globalement aujourd’hui, la demande de gasoil est trop importante par rapport à ce que les raffineries peuvent fournir. Il est donc temps je crois de s’interroger : oui le gasoil c’est bien, mais l’essence, ça peut encore servir de manière efficace et propre…

Des négociations ont-elles eu lieu concernant l’établissement d’une prime à la cuve ?
Le terme de négociations me gène, je préfère l’emploi de discussions. Il n’y a pas eu de discussions pour l’instant, il y en a eu l’année dernière. La prime à la cuve, c’est en général pendant la période de chauffe, donc pas en ce moment, si bien que le fait qu’il n’y ait pas encore eu de discussions est assez naturel.

Cela étant, nous sommes bien évidemment prêts à en parler à qui de droit lorsque cela sera utile. Je n’ai pas de chiffre à donner, nous verrons ce que le gouvernement souhaite faire, ce que nous nous pouvons apporter dans ce cadre, c’est-à-dire dans le cadre de notre solidarité vis-à-vis de nos clients, puisque la prime à la cuve est en grande partie dévolue aux clients de Total, il est donc normal que nous nous en préoccupions.

Vous avez évoqué la construction d'une raffinerie à Jubail (Arabie Saoudite), en précisant que les coûts de développement pourraient approcher les 12 milliards de dollars, contre 10 précédemment annoncés…
Nous avions dit «plus de 10 milliards de dollars», mais les chiffres ne seront pas officiellement connus tant que l’appel d’offres n’aura pas eu lieu. Maintenant, on voit bien que les coûts, ainsi que je l’ai expliqué plus tôt, ont tendance à flamber et qu’en conséquence, cette tendance se répercute partout. Notre but est donc de maintenir les coûts sous contrôle… Très honnêtement, nous ne voulons pas envoyer de message disant à nos fournisseurs «allez-y, il y a de la place pour remonter vos services» ! A ce stade, il n’y a pas encore de chiffre, mais ça devrait être le cas vers la fin de l’année.

Vous avez indiqué aux députés exclure toute baisse en dessous de 80 dollars le baril. Quelle est votre analyse sur l’évolution du prix du baril ?
Notre analyse c’est qu’il y a effectivement eu une très forte hausse ces derniers temps, qu’il y a eu depuis un certain recul, puisque aujourd’hui le baril est à 125 dollars après une remontée à près de 135 dollars, par ailleurs, on sent bien que les prix du pétrole ont un impact sur le consommateur, et pas qu’en France mais aussi aux Etats-Unis qui sont en dollars et donc partiellement protégés par la force de l’euro, mais à partir de là, il est quasiment impossible de faire une prévision autre que celle qui consiste à dire que les prix de l’énergie resteront chers parce que les coûts sont élevés et que la demande reste forte.

Il ne faut cependant pas être fataliste et dire qu’on va laisser les choses se poursuivre. Il y a probablement des moyens, en particulier en luttant contre la hausse de la consommation, et surtout, en essayant d’amener davantage de pétrole sur le marché afin d’éviter que les prix ne continuent à flamber.

Il faut faire une différence entre niveau de prix et accélération des prix. Ce qui a beaucoup frappé ces derniers temps, ce n’est pas tant le niveau absolu que la manière et la rapidité avec laquelle on y est arrivé : 50% de hausse en moins d’un an, c’est ça qui est difficile à accepter et à faire repasser dans une économie quel quelle soit…

J’y insiste beaucoup, puisqu’on parlait des pays émergents tout à l’heure, mais le fait qu’une grande partie de cette hausse de l’énergie soit due à une demande toujours très forte de leur part, n’est pas en soi une mauvaise nouvelle, puisque cela représente de la croissance et une croissance qui bénéficie à l’ensemble de l’économie mondiale.

Or, même si elle a, dans un premier temps, un effet, non pas pervers mais accélérateur, j’espère qu’avec une certaine forme d’acceptabilité de ces coûts à l’intérieur de l’ensemble des économies, on retrouvera un meilleur équilibre. Cela ne veut pas dire que les prix du brut sont actuellement à leur plus haut, ni qu’ils sont à leur plus bas, cela veut simplement dire que les prix de l’énergie resteront durablement élevés.

Propos retranscrits par Nicolas Sandanassamy