Interview de Frédéric Lorenzini : Directeur de la Recherche chez Morningstar

Frédéric Lorenzini

Directeur de la Recherche chez Morningstar

Les effets pervers du phénomène des ETF

Publié le 18 Février 2010

Quelle est la croissance du marché des ETF ?
On observe un engouement grandissant sur les ETF. 2006, nous comptions sur le marché français 130 ETF. Nous avons terminé l'année 2009 avec plus de 360 ETF.
Aux Etats-Unis, où le marché est plus ancien qu'en Europe, les ETF représentaient environ 420 milliards de dollars en 2006 et près de 784 milliards de dollars fin 2009.
Les encours  sur le territoire américain ont augmenté de l'ordre de 50% par an. Seule l'année 2008 a marqué un léger recul de 13%.

Le marché ne représente plus un marché de niche…
Aux Etats-Unis les ETF représentaient en 2007 environ 6% des encours des fonds conventionnels (hors fonds monétaires et fonds de fonds), 422 milliards de dollars sur 6051 milliards.
A partir de 2008 les encours des ETF ont dépassé la barre symptomatique de 10% des encours des fonds conventionnels. En 2009 les encours des ETF représentent 784 milliards et les encours des fonds conventionnels (hors fonds monétaires et fonds de fonds) 6906 milliards.

Comment expliquez-vous ces mouvements?
Par plusieurs facteurs. Tout d'abord il y a le fait que les investisseurs ont des  doutes sur les bienfaits de la gestion active. De multiples études universitaires ont révélé qu'en moyenne, il était difficile de battre le marché.
Ensuite, les ETF ne sont pas chers. 
Par ailleurs au cours des quatre à cinq dernières années, l'offre des ETF s'est considérablement diversifiée. Il y a sur le marché européen à ce jour plus de 1100 ETF contre à peine 300 en 2006. Toutes les classes d'actifs, toutes les zones géographiques sont représentées. Nous avons des ETF actions, des ETF obligations, des ETF sur les matières premières.

Qui plus est les ETF présentent l'avantage d'être transparent. La grande majorité des indices sont actuellement au moins publiées sur les sites des fabricants des indices.  Cette visibilité n'est pas aussi importante s'agissant de la gestion active. Les rapports complets sont publiés une fois par an, la composition des portefeuilles est au mieux connue tous les mois et seulement eu égard aux dix premières positions. Il est rare de pouvoir aller simplement sur le site d'un gérant actif pour trouver les détails du fonds ligne par ligne.

Enfin, les ETF se gèrent aussi facilement que des actions.

Cette tendance a-t-elle vocation à perdurer?
Je pense que oui, ce en raison notamment de la transparence que permettent les ETF et de la confiance qui leur est accordée par les investisseurs en conséquence.
La crise a beaucoup affecté les valeurs financières en 2008. Certains investisseurs voulaient alors sortir de ces valeurs. Dans un fonds géré activement les investisseurs n'avaient aucune possibilité de s'assurer que le gérant était bien sorti comme il le prétendait.
 
En outre l'existence d'une industrie bourgeonnante dans le domaine contribuera à maintenir un certain dynamisme sur le marché.
Les investisseurs particuliers ont ainsi accès à des outils qui il y a de cela cinq ans étaient réservés à des professionnels.

Pourriez-vous donner des exemples?
Il y a des ETF que l'on appelle des ETF symétriques ou « Bear Cac ».  Ces ETF évoluent symétriquement à l'inverse de l'évolution du Cac. Ces instruments peuvent être utilisés en stand alone par les investisseurs qui pensent que le marché va baisser.
Ils peuvent également être joués en complément dans un portefeuille plus large qui contiendrait des actions françaises dont on pense que le cours va diminuer. L''investisseur qui a un horizon courtermiste et qui ne souhaite pas faire le dos rond en attendant de voir le marché remonter pourra s'en servir comme couverture.

A-t-on pu observer d'autres variantes d'ETF classiques sur le marché? 
Nous trouvons des ETF avec un effet de levier. Ainsi quand le Cac monte de 10, l'ETF pourra monter de 20.

Comment expliquez-vous cette ouverture?
Il n'y a guerre que des ETF qui permettent de jouer certains marchés. On peut mentionner en guise d'illustration certains marchés émergents de niche. 
Nous avons des ETF qui permettent de jouer des actions egyptiennes dans le cadre de votre PEA.

Les ETF démontrent des effets pervers...
On peut se demander si pour un particulier cela fait sens d'investir dans des actions égyptiennes compte tenu de la volatilité sous jacente au marché.
Il n'y pas de visibilité. Or, le fait que l'ETF actions égyptiennes soit autorisé dans un PEA, le rend davantage achetable par un particulier.
Nous avons une telle créativité de la part des promoteurs, que les investisseurs non avertis ont accès à des classes d'actifs pas faciles à maîtriser.
Des questions se posent quant à la devise, quant à la régulation lorsque l'on va sur des marchés exotiques...

Il y a une importante concurrence de la part des promoteurs car le marché attire beaucoup de capitaux. Les grands indices ont été couverts, puis les indices sectoriels... et à mesure que les promoteurs développaient des ETF sur le marché, les fournisseurs d'indices ont donné libre cour à leur créativité en concevant des indices quelque peu étranges.
Aux Etats-Unis, en 2008, plus de 50 ETF ont fermé, parmi lesquels un ETF « Healthshare Cancer». Cet ETF traquaient la performance d'un indice sous sectoriel spécialisé sur des valeurs de laboratoires travaillant dans le traitement du cancer. Nous avions également un ETF « Healthshare emerging Cancer» qui regroupaient des sociétés de biotechnologie qui étaient en phase 1 de recherche.
Ces ETF se sont fermés en raison d'un déficit de souscripteurs.

Ne pourrait-on pas envisager la création d'ETF exotiques assortis de mécanismes de garantie?
La garantie a un coût. Dès lors soit le promoteur est obligé de renier ses marges, mais comme l'activité des ETF est une activité qui engendre en elle même des marges relativement faibles, dans ce cas le promoteur aura du mal à s'en sortir. Ou bien il peut augmenter les frais mais dans ce cas il perdra en attractivité. 

Selon vous l'investissement dans des ETF se conçoit-il de manière exclusive ou en périphérique à une gestion active?
Tous les scénarios sont possibles. Cela dépend du profil de risque de l’investisseur et du point jusqu’auquel il souhaite investir. 
Un investisseur peut avoir une certaine expertise dans le domaine dans lequel il souhaite placer ses fonds et opterpour un coeur de portefeuille investi dans des valeurs françaises ou de valeurs de la zone euro, en mettant autour des satellites avec des ETF sur la Chine, l'Amérique latine, les matières premières.

D’un autre coté, l’investisseur qui n’a pas beaucoup de visibilité et qui ne maitrise pas son sujet peut vouloir choisir directement une gestion passive au lieu d’opter pour une gestion active pour pouvoir suivre avec précision l’évolution de son investissement.

Le fait de passer à une gestion passive ne règle aucunement tous les problèmes auxquels est confronté l’investisseur…
Décider de s’orienter vers la gestion passive ne suffit pas. Effectivement un investisseur pourra vouloir placer ses fonds sur le marché chinois, mais dans quelle proportion ? La question de l’allocation n’est pas facile à résoudre. En outre, tous les ETF qui sont exposés au marché chinois ne se ressemblent pas. Il faut alors bien comprendre de quelle manière fonctionne l’ETF en question et déterminer si celui-ci répond de manière adéquate à ses besoins.
 
Pensez-vous que le rythme d’évolution du marché des ETF continuera à être aussi important que par le passé ?
On ne fait pas tellement dans la boule de cristal, mais intuitivement nous aurions tendance à répondre par l’affirmative car de multiples facteurs militent dans ce sens. L’Europe devrait typiquement connaitre un effet de rattrapage. 
On va vraisemblablement connaitre des difficultés en raison des indices fantomes ou en raison d’effet de bulles. De très nombreux ETF se sont lancés sur des indices matières premières dont on peut à terme craindre des excès.

Ainsi les effets positifs l’emportent clairement sur les effets négatifs…
Les effets négatifs sont un peu des effets pervers liés à une mauvaise utilisation de l’outil.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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