Interview de Skander  Bentchikou : Analyste banque au sein de la société Oddo & Cie

Skander Bentchikou

Analyste banque au sein de la société Oddo & Cie

Les gagnants et les perdants du secteur bancaire à l’échelle européenne

Publié le 15 Avril 2010

Quel regard portez-vous sur le secteur bancaire actuellement ?
Nous avons publié une vue sur le sujet il n’y a pas très longtemps qui révélait que le secteur présentait d’une part un potentiel de  rebond et d’autre part des contraintes.
Le cumul de ces contraintes en cas de réalisation pourrait détruire une grande partie de l’upside et de l’attrait du secteur.
 
Quelles sont ces contraintes ?
Tout d’abord, le regard que portera le régulateur sur l’implémentation du passage à Bale III. Si les exigences sont trop strictes, cela se traduira par des besoins de capitaux qui entraineront des augmentations de capital, ce qui sera relativement peu favorables à l’évolution des cours de bourse.
L’instauration d’une taxe est par ailleurs beaucoup discutée. Celle-ci n’est pas calibrée mais selon nos calculs l’application de la taxe Obama telle qu’elle a été présentée pourrait abaisser les résultats du secteur bancaire européen de 13% en moyenne.
Enfin la crise sur les souverains fait peser d’importantes craintes sur l’évolution des PIB des Etats, sur les coûts de funding et donc sur le niveau de rentabilité et de marges des établissements.
 
Fin 2009, le FMI avait évoqué des pertes totales dans le secteur bancaire au niveau mondial à hauteur de 2700 milliards de dollars. A ce jour, 1300 milliards  de dollars de pertes ont été reportées par les banques depuis le début de la crise financière en 2007. Il resterait donc à perdre encore 1400 milliards de dollars. Qu’en pensez-vous ?
En ayant lu le dernier rapport du FMI, j’estime que les chiffres établis sont sans véritables fondements. A titre d'illustration, le FMI ne prend pas en compte les portefeuilles d'actifs aujourd'hui garanties par les Etats et les Banques centrales.
Nul ne sait ce qu’il en sera exactement. Tout dépendra de la durée du taux de chômage, et du comportement des prix de l’immobilier.
S’agissant du chômage, si les Etats-Unis devraient être rapidement dans une phase de création nette d’emplois,  nous sommes en Europe, toujours dans un schéma de destruction d’emplois dont on ne voit pas la sortie.
Pour ce qui est de l’immobilier, la configuration peut évoluer selon que les prix atteignent un point bas et se redressent ou restent à un niveau faible longtemps.
Les hypothèses sur le prix de sortie sur les actifs toxiques peuvent sensiblement varier.  
 
A ce titre, je pense que les régulateurs ont bien fait de permettre aux banques de geler leurs pertes, en reclassant les titres dans des catégories comptables qui permettent d’immuniser leurs résultats d’une volatilité indue liée au mark to market et de n’enregistrer que des pertes réelles. De toute façon, il n'y avait pas le choix.
Sur un certain nombre de classes d’actifs le mark to market a connu une reprise significative depuis le creux du second semestre 2008.
 
Au demeurant, les actifs toxiques ne sont plus vraiment un problème pour les banques mais pour les Etats. Ils devraient affecter les finances publiques le cas échéant et non pas tant les cours de bourse.
Les banques qui avaient des concentrations trop importantes ont fait l’objet, après une dépréciation substantielle de l’ordre de 30%, de plan de sauvetage, la plupart du temps par les Etats.
Si l’on considère la position d’une banque comme UBS, les actifs toxiques ont été repris par la banque nationale de Suisse.
 
Quel est votre avis s’agissant de cette société qui vient d’annoncer des bénéfices trimestriels record depuis trois ans ?  
Il faudrait attendre la publication des résultats début mai pour  juger de la réalité de la performance. La sortie des capitaux ont effectivement ralenti par rapport au quatrième trimestre, ce qui est un élément encourageant. Les encours avaient été pénalisés par l’amnistie fiscale italienne.
La bonne nouvelle s’agissant de la performance sur le fixed income a été intégrée par deux fois. Il y avait eu une première fuite de Bloomberg il y a quelques semaines qui indiquait que  le département fixed income avait fait 2,3 milliards de dollars de revenus. Le titre a progressé là dessus avant de bondir une seconde fois lorsque le groupe a indiqué que son résultat avant impôts serait de 2.5 Md€ au T1 2010.

On ne sait pas encore si ces bons chiffres proviennent d'une activité clientèle qui a redémarré, ce qui signifierait que le groupe a fait d'immenses progrès dans la reconstruction de sa franchise fixed income et que les premières embauches réalisés dans le domaine commencent à payer leurs fruits ou si UBS a fait du propre trading ou encore revalorisé certains actifs. Il faudra attendre la publication des résultats définitifs pour en connaitre la réponse.
 
De quelle manière appréhendez-vous les implications des travaux du groupe Volker qui travaille sur la séparation des activités de trading, avec les activités originelles des banques ?
Les réflexions de ce groupe portent sur ce qui se passe aux Etats-Unis, non en Europe. Il ne devrait pas à notre sens y avoir d’effet de contagion. L’Europe est déjà en train d’adresser le risque de marché en multipliant par trois la charge en capital pour les activités de marché, dans le cadre d’un passage à Bale III. Eviter une double peine serait raisonnable.
 
Que pensez-vous des provisions faites par le secteur ?
Dans beaucoup de classes d’actifs les provisions sont en reflux. Nous pouvons nous interroger sur l’ampleur de ce reflux. 
Les créances douteuses ne progressent plus. Le rythme de dégradation des encours du crédit s’est fortement ralenti.
Les expositions sur l’immobilier commercial sont connues. Le pic de défaut historique aux Etats-Unis qui a été de 12% est intégré dans les anticipations.
 
Il y a une vue discriminante entre les gagnants et les perdants de la crise. De quelle manière la voyez-vous évoluer ?
Cette vue devrait s’amplifier. Des banques ont gagné des parts de marché pendant la crise et d’autres non.
En période de crise, ces gains ne se voient pas car justement, il n'y a plus vraiment de marché. Mais lorsque le marché revient, que les activités redémarrent en ligne avec la remontée des PIB, cela devient très visible.
 
Quelle est votre vision sur les gagnants et les perdants à l’échelle européenne ?
Les sociétés qui sont sorties renforcées sont Deutsch Bank, Crédit Suisse, BNP et Barclays. Nous aurions également dit jusqu’il y a récemment les banques espagnoles qui avaient une faible exposition aux actifs toxiques et une croissance très supérieure à celle de la moyenne des véhicules bancaires du fait de leur exposition à l’Amérique latine. La problématique souveraine a fait émerger  des interrogations.
 
Parmi les perdants nous avons Commerzbank qui mis sous la tutelle de l’Etat a du revoir à la baisse ses prétentions dans le domaine de la banque de financement et d’investissement ; le modèle de Dexia qui consistant à empiler des actifs n'a pas résisté à la crise; KBC qui a du abandonner une grande partie de ses activités de marché en contrepartie de l’aide fournie par l’Etat belge et la région flamande ; Société Générale qui étant très chargée en actifs toxiques en comparaison du reste de l’Europe n’a pas vraiment convaincu, et ressort de la crise avec des résultats moins récurrents qu’auparavant dans la mesure où ils ont du procéder à la cession de leur activité de gestion d’actifs.
Nous avons une image plus nuancée d'Unicredito, entre le dispositif Allemand à faible rentabilité qui ne nous attire pas et le dispositif en Europe de l’ouest qui redeviendra à l'avenir un moteur de croissance.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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