Interview de Francesco Saraceno  : Economiste à l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE)

Francesco Saraceno

Economiste à l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE)

Imposer un durcissement du pacte de stabilité pour les pays en difficulté, cela signifie la mort des économies

Publié le 27 Mai 2010

Les mesures exceptionnelles annoncées par les Etats membres vous apparaissent-elles suffisantes pour régler durablement la crise de la zone euro ?
Je ne pense pas que la priorité, aujourd’hui, devrait être donnée à la réduction du budget. Nous sommes encore en période de crise et les gouvernements ont jusqu’ici réagi avec beaucoup d’efficacité, mais de façon classique : en réalisant des dépenses et en réduisant les impôts autant que possible afin de soutenir la consommation.
Dans ce contexte, la vague de rigueur que vous évoquez me préoccupe particulièrement. Il s’agit d’ailleurs d’une erreur déjà rencontrée aux Etats-Unis dans les années 1930 : après la première phase du New Deal, le gouvernement américain avait alors pensé que la crise était passée, et avait donc décidé de mener une politique économique plus stricte, ce qui a finalement replongé l’économie dans la récession. Je crains beaucoup que l’effet des mesures d’austérité sur les économies européennes soit similaire.
Comment réduire à terme les déficits et la dette de la plupart des pays de la zone euro, qui ont augmenté de façon considérable à cause de la crise est une question légitime.   Mais actuellement, j’estime que la priorité doit être donnée à l’emploi et à la croissance, et certainement pas à la réduction des déficits !

Certains économistes critiquent ces mesures sur le fond…
Dans le cas italien par exemple, il apparait que les mesures annoncées par le gouvernement n’ont que peu d’espoir de calmer les marchés, or c’est la seule justification, aujourd’hui, pour une contraction budgétaire. Les opérateurs suivent leur logique qui est compréhensible à très court terme. D’un côté ils se rendent compte que toutes ces mesures vont avoir un impact négatif sur l’économie, et de l’autre côté, ils comprennent bien qu’il ne s’agit pas de réformes qui vont résoudre les raisons structurelles des déficits, mais repousser un peu le problème de la dette.  

Qu’aurait-on pu faire ?
Il aurait mieux valu faire d’abord des prévisions concernant l’évolution de la dette sur 15-20 ans, de mettre en œuvre des réformes structurelles sur les dépenses et les impôts pour réduire la dette dans 10 ans et, en attendant, il aurait fallu poursuivre la mise en œuvre de mesures temporaires pour soutenir la demande. De cette manière, on aurait tranquillisé les marchés sur le moyen-long terme et on aurait évité l’impact des contractions budgétaires sur la croissance…

Que pensez-vous de l’Allemagne et de son rôle en Europe dans ce contexte ?
L’Allemagne a perdu beaucoup de sa crédibilité sur les six derniers mois, dans la mesure où elle n’a pas su exploiter son leadership. Angela Merkel a montré une grande myopie, notamment en pensant qu’elle pouvait attendre la fin des élections régionales pour résoudre le problème de la Grèce, et en plus, elle a perdu ces élections. L’épisode est assez sérieux car c’est bien la première fois, depuis la création de l’Europe, que l’Allemagne ne joue pas son rôle de leader.
Imposer aujourd’hui un durcissement du pacte de stabilité pour les pays en difficulté, cela signifie la mort des économies. Il y a des problèmes de déséquilibre qu’il faut régler : l’Allemagne ne doit plus baser son modèle de croissance seulement sur les exportations, elle doit stimuler la demande intérieure… D’une certaine manière, les problèmes de la Grèce sont le miroir des problèmes de l’Allemagne. Autrement dit, la crise grecque aurait pu être bien mieux gérée dès le mois de janvier, pour un coût moindre, s’il y avait eu une position commune et forte de l’Europe…

Ne serait-il pas souhaitable de mettre en place une véritable gouvernance économique de la zone euro ?
C’est justement tout le sujet, et à chaque crise, cette question refait surface. L’Europe est au moins la seconde économie du monde, pourtant nous n’avons pas de gouvernement. Cela se voit dans tous les domaines, pas seulement en économie ; le poids géopolitique de l’Europe n’est pas proportionnel à son poids économique. Cela se voit à chaque crise économique puisque la réponse apportée est souvent tardive et insuffisante… L’idéal serait donc d’avoir une politique budgétaire commune, mais il faut être réaliste et accepter qu’au mieux, les européens réussissent à coordonner leurs politiques budgétaires entre elles.

Jusqu’ici, et depuis la création de la monnaie unique, les Etats membres de l’UE renâclaient à édifier un tel gouvernement économique de la zone euro, afin de conserver leur indépendance. Mais on a désormais le sentiment que cette indépendance est purement factice puisque les Etats européens se sont révélés soumis aux spéculateurs des marchés financiers…
Effectivement, c’est tout à fait juste, au lieu d’être soumis au dictat des bureaucrates de Bruxelles, nous subissons les mouvements du marché. Nous ne pouvons pas être indépendants, surtout si notre taille ne nous le permet pas, comme ce serait le cas pour les Etats-Unis ou la Chine qui sont suffisamment grands pour se poser la question de leur politique, au sens large, sans trop réfléchir aux autres pays qui seront de toute façon obligés de les suivre, d’une manière ou d’une autre.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy

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