Interview de Jacques-Olivier Chauvin : Directeur général Relais & Châteaux

Jacques-Olivier Chauvin

Directeur général Relais & Châteaux

La force de la marque Relais & Châteaux est l'association engagée de ses membres sur des valeurs de qualité

Publié le 15 Juillet 2010

Que recouvre selon vous la notion de patrimoine immatériel pour le secteur hôtelier ? Par comparaison, quelle serait la cartographie du capital immatériel dans votre entreprise ?
La notion de patrimoine immatériel repose sur trois éléments. Tout d'abord, la notoriété qui est primordiale : par exemple, Taillevent ou La Tour d'Argent sont des établissements dont la valeur immatérielle de la marque est indépendante de leur chef ou de leur actionnariat. L'actif immatériel est ici lié à la construction de la marque année après année. La clientèle est ensuite un actif immatériel très important, en particulier la capacité de l'établissement, hôtel ou restaurant, à la fidéliser. Ainsi, chez Relais & Châteaux, 60% des clients sont des « repeaters », c'est-à-dire qu'ils ont déjà séjourné dans un hôtel Relais & Châteaux. Enfin, le troisième élément le plus important est l'affiliation à un label reconnu qui constitue une valeur forte. Une grande banque d'affaires évalue ainsi à 10% le premium de la valeur apporté à un hôtel par le fait d'appartenir au label Relais & Châteaux. Cependant, la marque est une association volontaire. Pour cette raison, le principal actif immatériel de Relais & Châteaux, ce sont ses membres, son capital humain, le savoir-faire et le talent apportés à l'œuvre commune.

Dans quelle mesure ces actifs immatériels constituent-ils un levier de croissance durable pour le secteur de l'hôtellerie et votre entreprise ?
La marque est un élément différentiel très fort. Relais & Châteaux impose une exclusivité d'appartenance à ses membres, contrairement à ses concurrents. Pour nous, l'accumulation de labels différents pour un même établissement constituerait un facteur d'affaiblissement de la marque. Avec Relais & Châteaux, il n'y a qu'un seul référent qualité, ce qui est plus clair pour le client et pour l'hôtelier. En termes de compétitivité, c'est un plus de communiquer sur cette exclusivité. Les compétences de Relais & Châteaux dans le domaine du contrôle qualité, du marketing et des systèmes de réservation permettent de protéger et promouvoir la marque, et de la faire évoluer dans le temps. La valeur ajoutée d'appartenir à Relais & Châteaux est très forte : ainsi, pour un coût pour l'établissement qui s'élève à environ 1% du chiffre d'affaires, il en retire 20 à 40% de chiffre d'affaires en plus grâce à la notoriété de la marque et en business direct.

Envisagez-vous d'investir davantage dans ces actifs immatériels pour une performance de long terme ? Votre investissement immatériel est-il plus élevé que l'investissement matériel ?
La marque n'a de valeur que par la promesse qu'elle apporte. Elle est le fruit de l'accumulation des efforts de promotion et d'intégrité. Elle doit être portée par la qualité des membres du réseau qui le composent. C'est aussi un investissement durable et répété en faveur des valeurs et de la cohérence du discours.
Au niveau des ressources humaines, les hôteliers sont indépendants. Relais & Châteaux n'intervient pas dans le recrutement, mais met à leur disposition des services de valorisation du capital humain tels qu'une centrale de recrutement, une valorisation des parcours, une formation des employés et une fidélisation des collaborateurs.
La nouvelle centrale de réservation constitue également un actif à la fois matériel et immatériel. Il ne s'agit pas seulement d'un outil technique, il est indispensable que le personnel ait confiance dans le système. Il a donc été mis en place sur la base de groupes de travail des membres. Nous avons parallèlement créé des groupes culturels et linguistiques différents, des communautés d'apprenants partageant des expériences et des cas concrets. Le personnel est formé de façon constante et les élèves passent souvent du côté des formateurs.
Relais & Châteaux souhaite étendre son réseau en priorité à l'international, en particulier en Asie et en Amérique du Sud. L'association veut également être plus présente dans les grandes métropoles. Nous venons ainsi d'accueillir nos premiers établissements à Londres, Rome et Washington. Cette volonté a pour but d'enrichir la marque sans pour autant renier ses valeurs. Pour cela, elle compte sur la puissance de son réseau et la reconnaissance du public et des professionnels.

Comment les actifs immatériels des entreprises du secteur et de votre entreprise vous paraissent-ils perçus et pris en compte par les marchés ? Avez-vous le sentiment que les marchés et les investisseurs sont convaincus par une approche parfois qualitative ou extrafinancière, en complément des critères financiers usuels ?
Quand on est capable de se rendre compte qu'adhérer à tel ou tel réseau a un impact direct sur le chiffre d'affaires, les investisseurs et les analystes l'intègrent. Une chaîne franchisée qui s'ouvre avec un petit réseau a un impact quasiment nul. Il faut pouvoir mesurer la valorisation financière attachée à la composante « actif immatériel ». La marque est toujours couplée avec une logique de rigueur sur les critères qualité, elle doit être crédible au-delà du marketing. Il est nécessaire d'avoir un référent qualité fort pour les clients.

Tribune Sciences Po de l'économie de l'immatériel,