Interview de Jacques Barré : Président du Groupement national des Chaînes

Jacques Barré

Président du Groupement national des Chaînes

Les actifs immatériels sont les mêmes mais se combinent de manière différente selon les segments hôteliers

Publié le 15 Juillet 2010

Quelle est la cartographie des actifs immatériels des métiers de l'hôtellerie ?
Au-delà des actifs immatériels inscrits dans le bilan des sociétés, les ressources humaines doivent être considérées dans notre métier comme la valeur immatérielle majeure. Elle recouvre de multiples facettes dont l'articulation en fait la force. Doivent être également cités la marque, la notoriété et le maillage du réseau. Le produit lui-même, actif physique valorisé comptablement, recouvre également la notion de concept pour sa part valeur immatérielle. On peut ajouter les éléments immatériels assis sur la technologie : gestion de la fidélité, systèmes de réservation, politiques de qualité - ISO par exemple, accent mis sur le développement durable (HQE, énergie...). Quand on évoque le terme de « cartographie », ces éléments, sans qu'ils soient exhaustifs, appartiennent au capital immatériel de l'hôtellerie.

Existe-il des combinaisons différentes selon les segments hôteliers ?
Tous les actifs immatériels sont présents sur chacun des segments hôteliers, seule leur combinaison est différente. L'aspect RH est beaucoup moins déterminant sur du « low price » que pour un Sofitel ou Hilton. De même, la technologie est beaucoup moins sophistiquée sur le « low price ». Les ingrédients sont tous présents, mais le poids de chacun est différent. Certains items sont privilégiés selon la catégorie ou la gamme de l'hôtel. L'immatériel « ressources humaines » lui-même reflètera des réalités très différentes sous les aspects personnalisation de l'accueil, reconnaissance du client, professionnalisation… , selon que nous parlerons de Campanile, de Novotel ou de Four Seasons.

Comment classifier les actifs immatériels ? Quels sont les actifs essentiels ? Quelles sont les bonnes pratiques ?
L'hôtellerie est une activité de service : c'est donc en premier lieu son capital humain et ce qui l'accompagne : l'immatériel formation, l'immatériel reconnaissance, l'immatériel évolution, etc. Dans la gestion d'un hôtel, 50% des charges couvrent celles du personnel. La valeur ajoutée de cette activité est liée pour l'essentiel au service, donc à la qualité de son capital humain ; il est donc primordial. Le second élément important, c'est le concept, car l'offre est composée tout à la fois d'actifs physiques et d'immatériel (services, prix…). L'hôtellerie est une activité B to C et il lui faut donc garantir en permanence qualité, notoriété et densité du réseau. Il faut enfin considérer ces actifs en termes d'avantages concurrentiels potentiels. Quand on interroge les clients sur les raisons de leur choix d'hôtel, l'essentiel des réponses relève de l'immatériel. On ne va pas dans un hôtel, on choisit une marque d'hôtel, un choix qui dépasse le plus souvent le seul arbitrage prix.
Les bonnes pratiques relèvent de la capacité à maîtriser et structurer la combinaison la plus pertinente entre les actifs immatériels au service de sa stratégie, et y mettre le poids qu'il convient, sans sur- ou sous-dimensionner les composants.

La « perception de la perception » des marchés financiers : reconnaissent-ils les actifs immatériels et les valorisent-ils pleinement ?
Les actifs immatériels trouvent en partie leur traduction dans les résultats de l'entreprise, que les marchés financiers apprécient et valorisent selon les ratios de performance, l'anticipation de résultats futurs, la position relative par rapport au secteur. Même si les actifs immatériels ne sont pas valorisés dans les actifs inscrits dans les bilans, ils impactent les résultats et donc la valeur globale de la société. Si la marque, le réseau, les ressources humaines sont pilotés avec adresse, les résultats seront d'autant améliorés. A défaut, un choix inapproprié dans la gestion des immatériels pénalisera la valorisation. Mais peut-être les clients apprécient-ils les actifs immatériels mieux que ne savent le faire les marchés financiers !

Quelles attentes de la part des acteurs du secteur vis-à-vis des marchés ?
En plus des bilans comptables, les sociétés sont aujourd'hui conduites à produire une quantité croissante d'informations plus qualitatives – environnement, personnel, politique sociale, égalité homme femme, sécurité... Ces informations touchent des domaines où les actions entreprises visent des impacts à moyen ou long terme, or les marchés financiers aujourd'hui se déterminent prioritairement sur le court terme. Cette contradiction entre les enjeux court et long terme pose la question de la pertinence d'enrichir la communication financière par un reporting plus qualitatif et extrafinancier. Souhaitons réconcilier court et long terme et faisons reconnaître les valeurs immatérielles à travers la mise en œuvre d'un référentiel commun qui permettrait au marché d'apprécier ces actifs à leur juste valeur dans une réelle vision « benchmarkée » du secteur. Ce qui permettrait de dépasser les « effets de mode » dont témoigne la lecture des rapports annuels focalisant successivement tout sur le web, tout sur le durable, tout sur les handicapés… et de suivre dans le temps l'appréciation des immatériels.

Quelles sont les propositions du GNC pour libérer une politique de croissance et d'emploi par les immatériels ?
Si une seule devait être retenue, ce serait la formation. L'hôtellerie, c'est de la « servuction » (production et service). Les ressources humaines sont la richesse du service hôtelier : de la réservation au room service. Or, les capacités de formation sont insuffisantes. L'hôtellerie est une activité exportatrice (la France est le 1er pays touristique mondial), en déficit d'emplois, qui, dans les derniers mois de crise, s'est révélée le seul secteur à ne pas en avoir détruit, une activité non délocalisable. C'est sans doute le levier de croissance et d'emploi le plus puissant, le plus contributif pour la profession et pour l'emploi.

Tribune Sciences Po de l'économie de l'immatériel,