Interview de Philippe Bournhonesque : Directeur de la stratégie IBM Software Groupe France

Philippe Bournhonesque

Directeur de la stratégie IBM Software Groupe France

Pour les créateurs de communautés, il faut entretenir de bonnes pratiques, être passionné, intéresser les gens

Publié le 22 Juillet 2010

Quels phénomènes sous-jacents ont favorisé l'apparition des réseaux sociaux d'entreprises (RSE) et quels sont les objectifs qui leur sont assignés ?
En tant que fournisseur et utilisateur, IBM a identifié les RSE comme étant un outil favorisant des pratiques pour générer une culture de l'innovation. L'installation d'un RSE au sein de l'entreprise vise à atteindre plusieurs objectifs. Elle encourage le «networking» entre experts, et par le partage de connaissances à travers l'accès commun aux documents et l'exploitation de blogs, de wikis et d'avatars, elle permet une plus grande productivité individuelle. On parle maintenant d'une vision à 360° et d'un nouveau style de management qui a un grand rôle à jouer dans l'émergence des RSE. C'est le passage d'une compagnie hiérarchique à une compagnie de réseaux où l'on se doit de savoir composer avec une souplesse extrême dans le management horizontal qui comprend des échanges entre individus n'impliquant pas nécessairement les supérieurs. La visibilité est totale à travers les processus mondiaux chez IBM qui permettent d'avoir une réunion mondiale à la même heure et où on assiste à la transmission de la bonne information en évitant les répétitions. Ce style de management incluant l'utilisation des RSE définit clairement «qui fait quoi» et facilite le partage de savoir et la gestion d'activités.

Comment s'intègre le RSE dans l'organisation hiérarchique et fonctionnelle de votre entreprise ? Quelles réactions la mise en place du RSE suscite-t-elle ?
IBM est une boîte de technologie où on retrouve des individus passionnés par l'innovation. L'entreprise a lancé des plates-formes à l'échelle mondiale. C'est la création d'une communauté de 1 500 personnes avec l'usage de blogs, de wikis et de web conférences par le vice-président « software » qui a encouragé, par le bouche à oreille, le développement de dizaines, puis de centaines d'autres communautés. L'outil opérationnel est peu à peu devenu un outil de management.
L'implantation d'un RSE au sein de l'entreprise n'est pas facile au début, surtout au niveau des processus structurés (« supply chain »). Les managers sont réticents et imaginent difficilement comment marier rigueur et échanges horizontaux. Les règles de communication sont chamboulées puisque toute personne peut créer une communauté avec une visibilité auprès de centaines de milliers de personnes, qui ne peut donc se résumer à une forme de communication modérée. Les RSE favorisent une complète liberté et leur intégration dans l'organisation demande d'être accompagnée par une formalisation des bonnes pratiques et l'implication des leaders dès le départ.

Quel est le montant de l'investissement correspondant ?
C'est facturé au nombre d'utilisateurs. On parle d'environ quelques dizaines d'euros par utilisateur par an.

L'investissement peut s'avérer particulièrement important pour les PME. L'utilisation d'un RSE est-elle justifiée en termes de retour sur investissement (ROI) dans le cas des PME ?
La loi de Metcalfe dénote que « l'utilité d'un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs ». Il faut maintenant se demander si cela a du sens à petite échelle ? Prenons l'exemple du syndicat de producteurs de cognac qui essaie d'animer l'interaction entre les centaines de responsables de l'export. Le partage d'information entre les PME producteurs de cognac permet de briser l'isolement de chacun et d'améliorer, in fine, leur rentabilité.

Quels sont les facteurs clés de succès pour une bonne utilisation des RSE ?
Une charte de communication doit être lue et connue de tous à l'interne. Quiconque utilise le RSE de l'entreprise la représente. Par conséquent, tout individu doit se comporter comme dans un état où il existe des lois à respecter. Il ne faut pas prendre de position politique et on ne doit pas choquer. Les mêmes règles s'appliquent aux utilisateurs de Facebook où l'un d'eux a été exclu pour avoir écrit un article insultant sur la Suisse.
Pour les créateurs de communautés, il faut entretenir de bonnes pratiques, être passionné, intéresser les gens, créer des processus, des chartes, des règles technologiques, des plans de communication. Il ne faut pas avoir peur de créer sur n'importe quel domaine. Il faut posséder une base de connaissances et user de «software analytics» qui analysent les données et de «social analytics» qui facilitent la prédiction de comportements des consommateurs. Les créateurs se doivent de comprendre ce qui se passe dans leurs communautés. En général, 90% sont des utilisateurs et ont recours au RSE pour chercher de l'information, 9% sont des actifs et 1% sont des champions.

Quelle serait la valeur délivrée par le RSE ? Son impact sur la productivité ? Son impact sur les autres actifs immatériels de l'entreprise : innovation accrue, capital humain, image, réseaux… ?
L'utilisation d'un RSE permet un gain de temps et donc une augmentation de la productivité par une plus grande facilité et rapidité à trouver de l'information et des experts.
Les RSE allouent aussi un plus grand contrôle de l'image de l'entreprise puisqu'ils encouragent la création de communautés à l'interne plutôt que l'utilisation de Facebook où il devient difficile de contrôler la communication.
Des clients qui étaient réticents face à l'utilisation des RSE ont finalement vu un intérêt, notamment avec la crise financière qui a stimulé l'augmentation du nombre d'offres de la part des banques à échanger sur des questions.
Les communautés créées favorisent aussi grandement la croissance de l'innovation. IBM, par exemple, organise des « Jam » qui sont des espaces sociaux de discussion et de réflexion de centaines de milliers de personnes sur un thème donné. Sur un domaine technologique sur lequel l'entreprise pourrait se concentrer, IBM invite des clients à y participer. Pendant 36 heures, le «Jam» est animé par IBM qui occupe plusieurs fonctions : rôle de modérateur, restructuration des idées, relance du débat, etc. Une synthèse est ensuite effectuée et remise au Chairman qui va l'analyser et réorienter l'activité vers de nouveaux domaines. Le «Jam» représente une formule d'outils Lotus et de prestations de services offerts aussi à des clients d'IBM. Ce RSE temporaire à objectif limité permet d'effectuer un brainstorming à très grande échelle et de décoder l'ADN pour identifier les risques potentiels. Une dizaine ou une vingtaine d'idées sont prises en compte et on demande aux gens concernés de proposer et développer un business plan.

Par rapport aux pratiques à l'international, où la France se positionne-t-elle en termes de RSE ?
IBM adopte une approche mondiale. La France est en retard. Il y a un peu plus d'un an, la solution IBM n'avait été vendue à aucune entreprise française, alors qu'il y en avait des dizaines acquises par des sociétés en Europe du Nord. Cela peut s'expliquer par le fait que certains grands groupes de salariés en France n'ont toujours pas le droit à Internet durant les heures de travail et ce contrôle représente un frein à l'intégration des RSE.

Sciences PO, sous la direction de Marie-Ange Andri