Interview de Yann  Lepape : Responsable de la stratégie taux, change, crédit chez Oddo & Cie

Yann Lepape

Responsable de la stratégie taux, change, crédit chez Oddo & Cie

Matières premières, la hausse actuelle est comparable à celle de 2008

Publié le 10 Août 2010

Les matières premières font à nouveau la une des journaux ? Est-ce comparable au début de l'année 2008 ?
Oui et non. En effet, si les prix du baril de pétrole se situent nettement en deçà des niveaux atteints au printemps 2008, ceux d'une moyenne d'entrants industriels ont approximativement retrouvé leurs précédents sommets. Certains prix comme le cacao ou des textiles sont même déjà au-delà. La volatilité des prix constitue une caractéristique majeure des prix de matières premières, dont l'offre est en général inélastique sur le court terme, et finie sur le (très) long terme. Dans le cas des matières premières agricoles, il faut ajouter les aléas météorologiques. Au cours des dernières décennies, il n'a ainsi pas été rare de voir le prix d'une matière première doubler en l'espace de quelques mois. La particularité du cycle haussier actuel, cycle qui a commencé au tournant de la récession de 2001, c'est que la hausse des prix concerne l'ensemble des matières premières ou presque. Son caractère relativement généralisé rend la hausse actuelle comparable à celle de 2008.

Les causes sont-elles identiques ?
Oui, nous avons à nouveau un mix entre : des événements météorologiques exceptionnels – la canicule russe actuellement, australienne il y a deux ans – qui font exploser un ou deux prix particulier ; un rapport offre/demande sur le moyen et le long terme qui reste tendu ; et bien entendu des investisseurs qui, dans un contexte de liquidités abondante, se positionnent, sur le court comme le moyen terme, et sur les futures comme sur le physique. Le ralentissement macroéconomique attendu devrait éviter de revenir à certains excès de volatilité dans la dynamique des prix des matières premières en général.

Quels sont les pays les plus affectés ?
Ce ne sont pas toujours ceux que l'on croit. En l'occurrence, ici, les ménages dans les émergents, malgré les subventions des produits énergétiques ou alimentaires. Ainsi, l'alimentaire pèse plus de 50% des dépenses dans de nombreux pays d'Afrique, et en général autour de 30%-40% (Chine, Roumanie, Tunisie, Malaisie, Argentine Thaïlande …), contre environ 14% dans la zone euro.

Doit-on craindre un retour de l'inflation ?
Dans les pays émergents, le risque est réel si la hausse du prix des matières premières devait se poursuivre. Ce risque inflationniste est renforcé par le rapport de force entre offre et demande de travail, en ce qui concerne le travail qualifié du moins, rapport qui évolue actuellement en faveur des employés. Et ce en Chine, comme dans les pays de l'Est, en Afrique ou en Amérique latine.

Les tensions inflationnistes sont nettement plus probables dans les émergents, quand elles n'existent pas déjà.

Dans la plupart des pays développés de l'OCDE (Australie exceptée), les niveaux d'emploi et d'utilisation des capacités rendent peu probable une spirale haussière prix-salaires.

Et si la hausse des prix des matières premières se poursuivait …. ?
Nous serons particulièrement attentifs à deux formes de risques, si la hausse des prix des matières premières devait accélérer. Tout d'abord, les banques centrales des pays émergents, tous continents confondus, sont d'ores et déjà plutôt en retard sur la courbe, avec des politiques monétaires qui ont relativement peu changées malgré les évolutions récentes du couple croissance/inflation. Autrement dit, si la hausse des prix se poursuit, le risque de freinage brutal de l'activité du fait de changements radicaux de politique monétaire augmente.

Par ailleurs, les multinationales pourraient être confrontées à une poursuite de la hausse de leurs coûts de production dans les émergents. Pouvant difficilement augmenter leurs prix de vente dans les pays développés, leurs marges pourraient en souffrir.

Propos recueillis par Imen Hazgui