Interview de Bernard Valluis : Président délégué de l'ANMF (Association Nationale de la Meunerie Française

Bernard Valluis

Président délégué de l'ANMF (Association Nationale de la Meunerie Française

Matières premières agricoles : faire en sorte que ce qui vient de se produire avec le blé ne se reproduise plus

Publié le 23 Août 2010

Quel regard portez-vous sur la flambée du prix du blé ?
Les tensions existantes nous semblent disproportionnées par rapport aux fondamentaux lorsque nous considérons les chiffres, publiés fin juillet par le Conseil International et le 12 août par le Ministère Américain de l'Agriculture (USDA), concernant les stocks qui seront reportés à la fin de la campagne de récolte 2010-2011.
La forte progression des cours est liée à une spéculation excessive. A notre connaissance, fin juillet - début août, certains opérateurs avaient des expositions exagérées sur le marché.

Selon vous une bulle s'est-elle constituée ?
Oui et elle est en train de se dégonfler. Des investisseurs ont pris une position quelque peu hasardeuse à notre sens et la tendance à la baisse devrait se poursuivre.

Le prix du blé est à 200 euros la tonne aujourd'hui, jusqu'où pourrait-on aller ?
Si nous considérons un rapport euro/dollar aux alentours de ce qu'il est en ce moment, environ 1,28, le cours devrait redescendre entre 160 et 180 euros.
Les stocks à la fin de l'année devraient être inférieurs à ceux de l'année dernière, mais cela n'amènera pas pour autant le ratio stock / consommation à quelque chose de dramatique. Nous sommes actuellement à 26%, dans des limites tout à fait raisonnables.
Les aléas climatiques ont été intégrés dans les bilans. Aujourd'hui, même avec les bilans les plus pessimistes, ni la Russie, ni aucun autre pays dans le monde n'a à craindre une pénurie ou une rupture d'approvisionnement.

Cette situation met en avant la réforme de la régulation des marchés des produits dérivés sur laquelle Bruxelles travaille actuellement au niveau de la Commission chargée du marché intérieur et des services dont M. Barnier a la charge…
Cette régulation est envisagée dans le cadre de la révision de la directive MiFiD. Nous participons activement à la préparation des travaux.

Quelle sont vos recommandations ?
Deux axes sont à distinguer. Tout d'abord, des règles contraignantes en ce qui concerne le fonctionnement des marchés réglementés, essentiellement Euronext pour l'Union européenne.
Nous estimons qu'il faut avoir une catégorisation des opérateurs à l'instar de ce qui se passe aux Etats-Unis. Nous militons également pour une publication hebdomadaire des positions ouvertes par catégorie d'opérateurs, pour la fixation de la limite d'emprise par catégorie pour que l'autorité de régulation puisse réclamer une réduction des investissements au prorata, et pour la fixation de la limite d'emprise individuelle, autrement dit par entreprise, afin d'éviter que l'on ait des positions très fortes prises par un seul opérateur. Enfin, nous souhaitons également instaurer des limites journalières de variations des cours pour tempérer les forts mouvements.
Un deuxième train de mesures, qui ressemble beaucoup à ce qui été décidé au mois de mai aux Etats-Unis par la Chambre des représentants et le Sénat, concerne la régulation du marché des produits dérivés de gré à gré. Il faudrait prévoir la constitution d'enregistrements des opérations faites sur options, afin de les porter à la connaissance de l'autorité de régulation et limiter les risques de contreparties par un passage obligatoire par une chambre de compensation.
Des règles additionnelles seront à envisager en ce qui concerne les limites de position : la limite d'emprise et la mise en œuvre de ratios prudentiels pour éviter que les entreprises jouent dans une proportion trop importante les fonds propres et qu'elles fassent courir un risque systémique au marché. Cela est discuté dans les dispositions de Bale III pour les banques, mais nulle part pour les hedge funds.
Nous avons réfléchi à ces propositions avec l'association des industries agricoles et alimentaires et différents partenaires céréaliers au niveau de la production et de la transformation. Par l'intermédiaire de notre organisation européenne, l'EFM, nous faisons le même travail avec des acteurs spécialisés dans la production, la coopération et le commerce.

Avez-vous bon espoir que l'ensemble de ces recommandations soient adoptées ? A quelle échéance ?
La Commission européenne aurait dû présenter un projet au mois de juin. Mais cela a été reporté en automne, sachant que le texte devrait être finalisé avant la fin de l'année. Il devrait être adopté l'année prochaine par la Commission et par le Parlement.
Nous avons bon espoir que le texte soit adopté. L'année dernière, au mois de septembre, lorsque le sommet du G20 s'est tenu, les différents membres ont indiqué que la régulation des produits dérivés en particulier sur le marché des matières premières agricoles était une priorité au niveau mondial afin d'éviter tout arbitrage réglementaire.
Nous avons pu observer au mois d'août un report des acteurs de la bourse de Chicago vers Euronext, les règles régissant ce dernier marché étant plus souples. A titre d'exemple, la limite d'emprise n'est valable à Euronext que dans les 12 jours qui précédent l'échéance, alors qu'aux Etats Unis, la limite d'emprise est immédiate et qu'une communication hebdomadaire des positions ouvertes est exigée.

Les Etats-Unis ne seront pas prêts à accepter que l'Union européenne soit plus laxiste qu'eux dans un domaine où des engagements internationaux ont été pris.

Propos recueillis par Imen Hazgui

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