Interview de Benoît  Labouille  : Directeur général du cabinet de conseil Offre et Demande agricole

Benoît Labouille

Directeur général du cabinet de conseil Offre et Demande agricole

Des répercussions de la forte montée du prix du blé sont à attendre sur le poulet

Publié le 25 Août 2010

Si ce sont bien des éléments de production et d'offre, autrement dit des éléments de fondamentaux qui expliquent la forte progression du prix du blé, les investisseurs financiers ont joué un rôle d'accélérateur...
Les acteurs qui ont vendu des options (calls notamment) ont été contraints à acheter des lots sur le marché à terme au fur et à mesure que le marché est monté pour couvrir leurs options (principe de la gestion « en delta neutre »).
Par exemple, au 6 juillet, sur l'échéance novembre 2010, il y avait prés de 9000 calls prix d'exercice 160 euros et 142 000 options (calls ou put) si on considère tous les prix d'exercice options. A chaque hausse de 1 euro, il fallait acheter prés de 1400 lots de blé juste sur l'échéance novembre 2010 pour couvrir toutes les options.

Le marché physique est plus cher que le marché à terme, en dépit de ces liquidations de positions. Qu'est ce que cela signifie ?
C'est la preuve d'une forte exportation pour remplacer l'origine russe. Dans le monde, seules les origines US et françaises sont actuellement disponibles pour être chargées.
Il y a eu tellement de besoin d'exportation physique, que celui-ci vaut 10 euros plus cher sur le marché de Rouen aujourd'hui par rapport à Euronext. La situation est identique dans tous les ports français. Sur le marché à terme, l'échéance novembre vaut plus cher que les échéances plus éloignées, nouvelle preuve d'une demande immédiate.
On peut penser qu'il y a une certaine rétention de la part des agriculteurs qui n'ont pas encore vendu et qui voient le marché monter tous les jours.
Si cette structure de prix dure, un risque de pénurie pourrait se matérialiser. Mais il est trop tôt pour le dire.

Portez-vous un regard inquiétant sur la situation ?
Le marché des matières premières agricoles est devenu par nature volatil en raison des différentes vagues de libéralisation à travers le monde.
Il y a également un comportement des opérateurs plus mâture. La réactivité est beaucoup plus courte par rapport à la diffusion de l'information. Ce qui s'est passé avec la Russie en est l'exemple flagrant. Quelques minutes après l'annonce de Vladimir Poutine, le marché gagnait 25€/T.

Il y a une part de surchauffe dans ces mouvements. La situation n'a rien à voir avec 2007. Nous n'avons pas d'émeute de la faim. Nous ne pensons pas qu'on en arrivera là.

Les prix des matières premières agricoles ont vocation à demeurer élevés. Quelles principales répercussions percevez-vous ?
Un rapprochement de plus en plus étroit entre le métier d'agriculteur et celui de financier. Nous avons eu une disparité très forte entre les producteurs, entre ceux qui ont vendu à 100 euros et d'autres à 200 euros. Cela créé un grand écart de compétitivité.
Ensuite, les industries agroalimentaires qui n'ont pas pris en compte ce qui s'est passé en 2007-2008 vont devoir faire un important travail de réflexion sur la gestion du risque dans leurs entreprises, tout ce qui est protection de l'achat et fixation des marges.
Coté ménages, si la baguette de pain ne devrait pas être affectée, ce sera moins le cas de la viande, particulièrement du poulet. Le poulet consomme beaucoup de céréales et de tourtaux. Le cycle de production est court. Les répercussions de prix sont rapides.

Quelles seraient vos recommandations en termes d'investissement ?
Je conseillerais aux investisseurs d'entrer sur des opérations d'arbitrage et de spreads plutôt que sur des opérations spéculatives directes sur les marchés. Autrement dit, essayer de jouer les écarts entre les marchés, entre le blé et le maïs, le marché américain et le marché européen. Ces optimisations de positions sont sujettes à moins de risque et peuvent permettre de dégager des résultats intéressants.

Jouer sur la hausse des marchés me parait dangereux. L'investisseur qui le fait doit vraiment mesurer les risques sous-jacents. A ce moment là c'est le courtermisme et la gestion active qui doivent primer.

Propos recueillis par Imen Hazgui