Interview de Christian de Boissieu : Président du Conseil d'analyse économique, professeur à l'université Paris I

Christian de Boissieu

Président du Conseil d'analyse économique, professeur à l'université Paris I

Je crains beaucoup que l'Europe soit le dindon de la farce

Publié le 13 Octobre 2010

De quelle manière appréhendez-vous les comportements récents des banques centrales par rapport à leur taux de change ?
Il y a quelques semaines la Banque du Japon est intervenue sur le marché des changes pour freiner la montée du yen. Le ministre des finances brésilien a quant à lui évoqué l'idée d'une « guerre des monnaies».
Compte tenu du niveau de chômage, dans beaucoup de pays la demande intérieure est insuffisante. La tentation est grande de compter sur les exportations pour relancer l'économie en jouant le jeu de la baisse du taux de change domestique.
Dans cette configuration je crains beaucoup que l'Europe soit le dindon de la farce. Autrement dit que l'euro monte dans l'excès, non pas parce que l'Europe va bien, mais parce que les autres pays l'obligent à monter en maintenant leur propre monnaie à la baisse.

Quel regard portez-vous sur la relation entretenue entre la Chine et les Etats-Unis ?
La Chine et les Etats Unis se tiennent par la barbichette. Chacun a intérêt à ce que la relation demeure identique, même si depuis un an et demi les chinois ont donné de la voix en indiquant qu'ils voulaient réfléchir à la possibilité de travailler avec une autre devise que le dollar.
Les chinois n'ont aucun intérêt à ce que le dollar chute de trop. 70% de leurs réserves de change qui s'élève à 2500 milliards dollars sont en dollars.
Les chinois n'ont donc pas intérêt à aller trop loin dans la contestation.
Nous sommes ainsi face à un scénario géopolitique fragile.

Peut-on craindre une guerre commerciale ?
Il y a bien évidemment un lien entre le jeu des dévaluations compétitives des monnaies et un protectionnisme commercial. Il est à craindre qu'un certain nombre de pays, dont les pays européens, constatant une appréciation de leur devise non souhaitée, soient amenés à réagir.

La France a décidé d'aborder le sujet de ces déséquilibres mondiaux dans le cadre de sa présidence du sommet du G20. Qu'en pensez-vous ?
Cela fait 40 ans que nous parlons de résorber les déséquilibres internationaux (déficit américain, excédent japonais, excédent chinois), ce n'est pas en six mois que nous allons régler le problème.
La position de la France, depuis le général de Gaulle, a été de dénoncer fréquemment les privilèges du dollar avec l'idée qu'un pays qui finance ses déficits et sa dette dans sa monnaie n'est pas soumis aux mêmes contraintes extérieures qu'un pays qui finance ses déficits et sa dette dans la monnaie des autres.
La question de la diversification possible du système monétaire international vers d'autres devises que le dollar se pose.
Si la France a raison de rouvrir ce débat, si j'espère que nous réussirons à reposer le problème de manière plus efficace et de manière plus diplomatique, je ne suis pas très optimiste sur notre capacité d'avancer.

Que regard portez vous sur l'évolution du dollar à l'avenir ?
Je pense que le dollar reste fragile et qu'il est possible qu'il rebaisse dans les deux années qui viennent compte tenu de l'ampleur des déficits américains.

Propos recueillis par Imen Hazgui dans le cadre d'une conférence organisée le mercredi 13 octobre 2010 par l'Institut Français des Relations Internationales et la French-American foundation France sur «La dette souveraine aux États-Unis et en Europe : vrais enjeux et fausses évidences»