Interview de Jeremy Whitley : Gérant actions européennes au sein d'Aberdeen

Jeremy Whitley

Gérant actions européennes au sein d'Aberdeen

Nous aimons bien les valeurs industrielles et les banques : Linde, Schindler, Standard Chartered Bank, Intesa Sanpaolo

Publié le 09 Novembre 2010

Quel regard portez-vous sur l'évolution des marchés financiers en Europe ?
Nul ne sait réellement où vont les marchés. Si des hypothèses peuvent être
émises ici ou là, personne n'en a vraiment idée.
Par conséquent nous nous efforçons de nous inscrire dans une logique de long
terme et de ne pas changer notre orientation en cours de route parce que nous aurions cédé à la panique.

Nous construisons une relation avec nos clients basée sur la confiance. Cela nous donne suffisamment de marge de manœuvre pour procéder aux investissements que nous souhaitons sans regarder à tout instant ce que fait le marché. Ce n'est certainement pas une tache aisée de ne pas succomber à la pression de battre à tout prix un indice donné à la fin de chaque mois ou à la fin de chaque année mais c'est ce que nous faisons.

Ce détachement nous permet de réfléchir en profondeur aux sociétés dans lesquelles nous décidons d'investir. Pour aider notre prise de décision nous rendons visite à toutes les sociétés qui nous intéressent de près ou de loin. Nous visitons près de 4000 entreprises dans le monde. Nous n'investissons dans aucune société si nous ne lui avons pas rendu visite auparavant et si nous ne sommes pas parvenus à élaborer à l'issue de cette visite une note complète et détaillée sur ladite société.
Pourquoi cela ? Eh bien, nous sommes actionnaires minoritaires des sociétés dans lesquelles nous investissons. Nous n'avons aucun pouvoir sur le management de la société. Nous devons ainsi nous assurer que les dirigeants conduisent les activités et les affaires de la société dans le meilleur intérêt de tous les actionnaires, pas uniquement dans l'intérêt des actionnaires  majoritaires.

Ce processus d'investissement a été mis en place il y a de cela environ 20 ans en Asie, à Singapour…
Plus de la moitié des sociétés en Asie sont des sociétés familiales qui peuvent à la fois présenter des aspects positifs résidant dans l'attention affichée à prendre soin de la propriété de la famille, préoccupation partagée par l'ensemble des actionnaires de la société mais également des aspects négatifs. Par exemple il est possible que l'un des fils de la famille soit promu à un poste de dirigeant important de la société, mais que ce fils s'avère être incompétent. Il est aussi possible que la société se porte acquéreuse d'une autre société qui appartient à l'un des membres de la famille mais qui est en fait une société non rentable.

Ainsi, nous faisons de notre mieux pour comprendre quel est le business model de la société, quelles sont les forces et les faiblesses du management.

Avez-vous des critères concernant la taille des entreprises dans lesquelles vous investissez ?
Pas du tout. Nous pouvons investir dans de petites sociétés comme dans de larges capitalisations. Le fait qu'une société ait une grande capitalisation
ne signifie pas grand-chose, tout du moins sa dimension ne préjuge pas des résultats futurs de la société.

Bien que votre processus d'investissement s'appuie sur du stock picking, y a-t-il actuellement des secteurs qui présentent de meilleures opportunités que d'autres compte tenu du contexte dans lequel nous sommes ? Pourriez-vous illustrer ces opportunités en indiquant quelques noms de valeurs ?
Nous pouvons trouver dans notre principal fonds des valeurs industrielles et
des valeurs financières, pas seulement des banques, mais également des compagnies d'assurances et des sociétés immobilières.

Parmi les valeurs industrielles, nous sommes investis sur Linde, entreprise allemande spécialisée dans la production de gaz, et sur Schindler qui est une entreprise suisse leader mondial des escaliers mécaniques, des trottoirs roulants et des ascenseurs et qui a su se rendre indispensable dans tout ce qui concerne les services rendus pour l'entretien ou la réparation des équipements vendus.
Nous sommes également investis dans British American Tobacco. Cette société
réalise 2% de ses ventes au Royaume Uni, et près de 60% dans les pays émergents.

Sur les 500 établissements bancaires qui existent en Europe, nous avons décidé d'avoir une position sur Standard Chartered Bank dont le siège social se trouve à Londres mais dont les activités sont très importantes en Inde et en Afrique du Sud. Nous avons également Intesa Sanpaolo dont les niveaux de provisions nous semblent corrects et qui a des opportunités de réduction de couts. Le titre est par ailleurs bon marché.

Combien de valeurs avez-vous en portefeuille ?

45 valeurs. Nous avons opté pour un tel nombre parce que statistiquement il
nous a semblé correspondre au meilleur ratio rendements-risques. Autrement
dit, avec ces 45 valeurs nous sommes en mesure de gérer au mieux les  risques inhérents au portefeuille tout en générant le plus de rendements possible.

La chose que nous garantissons à nos clients c'est de faire en sorte d'obtenir une performance régulière de nos fonds. L'idée est de générer des gains de manière durable et de sélectionner les meilleures opportunités en ce sens, autrement dit les sociétés qui généreront une valeur de capital sur le long terme.

Qu'en est-il du turnover de votre portefeuille ?
Nous nous voulons être des investisseurs de long terme et comme j'ai pu l'indiquer plus haut, nous n'investissons pas dans une société avant de l'avoir entièrement comprise. Nos positions sont donc de fortes convictions.
De ce fait, nous essayons d'avoir le turnover le plus faible possible. Nous ne sommes pas contre l'idée de détenir une valeur sur une vingtaine d'années. C'est typiquement ce qui s'est passé avec une valeur asiatique détenue dans le portefeuille géré par une autre équipe d'Aberdeen.
Néanmoins nous ne nous interdisons pas de couper ou de réduire une position
dès que le besoin s'en fait ressentir pour des raisons liées à l'évolution de la valorisation, à des opérations capitalistiques comme des fusions-acquisitions.

Si selon vous, nous ne savons pas où vont les marchés pour le moment, pour autant, quels sont les principaux risques auxquels ces marchés sont confrontés actuellement ?
De tout évidence, le risque souverain qui n'est pas réglé dans les pays périphériques à la zone euro (Grèce, Irlande, Espagne, Portugal, Italie).
Les déficits publics sont énormes. Beaucoup de liquidités ont été injectées dans le système. Les mentalités doivent absolument changer. Il est frappant de constater les manifestations qui se sont récemment déroulées en France.
Il est insensé de croire que les choses peuvent continuer sans véritables changements d'ampleur.
Ces difficultés rencontrées par les Etats supposent une longue période de
croissance molle.

Si les entreprises continuent à bien performer, à développer leurs produits
et à renforcer leur compétitivité, il est possible que cette croissance molle ait des répercussions limitées au niveau microéconomique. De cette manière, la stratégie d'investissement de conviction conserve tout son intérêt.

Imen Hazgui