Interview de Raphael Moreau : Analyste financier au sein d'Amiral Gestion

Raphael Moreau

Analyste financier au sein d'Amiral Gestion

Les majors, comme Total ou BP sont un mauvais instrument pour jouer le prix du baril

Publié le 25 Février 2011

Quel regard portez-vous sur l’augmentation du prix du baril ?
Au-delà des événements récents au Moyen-Orient et de l’envolée du prix du Brent bien au-delà de 100$, nous préférons nous focaliser sur notre vision à long terme du prix du baril. Le monde a de plus en plus de mal à augmenter la production de pétrole, simplement parce que les importantes découvertes de pétrole sont de plus en plus rares. Une part importante de la production aujourd’hui provient de champs gigantesques mis en production dans les années 1950-1970, mais beaucoup de ces champs sont matures et se sont mis à décliner, comme l’illustre le champ de Cantarell au Mexique. L’AIE estime à 5 à 6% le déclin naturel de la production mondiale qu’il faut compenser avec des champs de plus en plus petits ou beaucoup plus complexes. C’est l’équivalent de la production de l’Arabie Saoudite qu’il faut remplacer tous les deux ans !
Depuis 2000, alors que le prix du pétrole a fortement monté, la production hors Russie et hors OPEP décline graduellement malgré que l’investissement dans la recherche pétrolière a explosé.

Dans ce contexte, les pays du Moyen Orient sont amenés à prendre davantage d’importance, bien qu’ils représentent 30% de la production mondiale. L’Arabie Saoudite et l’Iran sont les deux principaux producteurs, représentant respectivement 10% et 4% de l’offre mondiale. La Libye représente quant à elle un peu moins que 2% de l’offre mondiale. C’est substantiel mais à court terme, l’Arabie Saoudite a quelque capacité excédentaire permettant de faire face à la situation libyenne. Néanmoins la situation déjà structurellement tendue devient compliquée et laisse peu de place à d’autres dérèglements du côté de l’offre.

On comprend que dans cet environnement, les acheteurs se précipitent pour sécuriser le pétrole disponible, afin de constituer des stocks au cas où la situation dégénère. C’est ce qui provoque une envolée du brent.

Pensez-vous que cette envolée est durable ?
Bien qu’étant conscients des risques qui pèsent sur l’offre à court terme, nous prenons en compte les fondamentaux à long terme du marché dans nos investissements.

Quelle pourrait être l’évolution du prix du baril ?
Le prix du baril est une inquiétude, en particulier parce que la croissance des pays développés reste fragile. Le budget consacré au carburant n’est pas utilisé pour la consommation ou l’investissement. Ceci étant, il est impossible de dire jusqu’à quel niveau le prix du baril peut aller.
Il est certain que ce prix peut encore fortement croître s’il y a une contagion dans la région, en Iran ou en Algérie. Pour autant, nous n’avons pas de pari sur un baril à 200 dollars et nos investissements aujourd’hui sont basés sur un prix du baril à 80 dollars, que nous considérons comme une moyenne minimum à long terme.
Il est intéressant d’observer que si les prix spot se sont envolés, les cours des sociétés pétrolières ont peu réagi alors que le Brent a progressé de 20%. Le marché n’est actuellement pas prêt à prendre le pari que ce niveau de prix est durable. Le retour au calme pourrait conduire à un prix avoisinant 90 dollars.

Quel est votre sentiment sur ce risque de contagion ?
C’est un risque que l’on a à l’esprit. Cela ne va pas fondamentalement remettre en cause nos choix d’investissement.

En quoi consistent vos choix d’investissement ?
Nous investissons principalement dans des sociétés qui possèdent des réserves et produisent dans des pays stables, comme le Canada et les Etats-Unis. Nous n’avons pas de société en portefeuille produisant au Moyen Orient.

Depuis l’apparition des troubles vous n’avez pas du tout ajusté votre stratégie d’investissement ?
Nous avons légèrement renforcé notre exposition aux sociétés productrices que nous détenions déjà en portefeuille.

La volatilité du marché est-elle amenée à durer ?
Dans un marché très tendu où l’offre à du mal à répondre à la demande, toute incertitude additionnelle sur l’offre, au-delà de l’incertitude géologique, amène des tensions importantes sur les prix.

Pensez-vous que l’OPEP parviendra à répondre à davantage de troubles et à limiter l’envolée du prix du baril ?

Tout dépendra de ce qui se passera en Arabie Saoudite et en Iran.

Quels pourraient être les pays les plus touchés ?

Les pays qui importent une part importante de leur consommation et où l’inflation est déjà importante, comme l’Inde, en souffriraient au premier chef.

L’Inde plus que la Chine ?
C’est un problème pour la Chine, mais le gouvernement contrôle les prix à la distribution et peut absorber une partie de la facture.

Quelles sont vos principales convictions parmi les sociétés productrices dans lesquelles vous êtes investis ?
Petrobakken, Bellatrix et Silverbirch.
Petrobakken est une société qui bénéficie d’une nouvelle technologie en forant horizontalement dans des couches de pétrole qui n’étaient auparavant pas productibles. Cette société a des intérêts dans deux champs, le Bakken, qui produit depuis 2007, et le Cardium, qu’elle a acheté début 2010. Le marché reste sceptique sur le prix payé pour cette acquisition, mais nous pensons que la société démontrera avec le temps qu’elle peut augmenter la production davantage qu’attendu.

La société Bellatrix est également située dans le Cardium et bénéficie des mêmes améliorations technologiques et a récemment publié des résultats impressionnants.

Silverbirch, détient une des dernières licences de mining dans les sables bitumineux au Canada. La société à 1,2 milliards de barils nets en ressources. La capitalisation boursière est de 400 millions de dollars.

Quel est le potentiel de valorisation de ces titres ?
A environ 6$, le titre Bellatrix se paye 5 fois le cash flow de cette année et offre selon nous au moins 50% de potentiel. Nous avons une valorisation à 30$ sur Petrobakken qui cote 22$. Enfin, les multiples de transaction sur des actifs similaires font ressortir un potentiel doublement sur Silverbirch à moyen terme.

Depuis quand les détenez-vous ?
Nous détenons Bellatrix depuis environ un an, Petrobakken depuis 3 ans et Silverbirch depuis le début de sa cotation il y a quelques mois.
En règle générale notre horizon d’investissement est de 3-5 ans.

Jouez-vous les majors ?
Nous pensons que les majors sont un mauvais instrument pour jouer le prix du baril. Elles ont beaucoup de mal à renouveler leurs réserves et à augmenter leur production. Elles produisent de plus en plus de gaz et de moins en moins de pétrole, or le prix du gaz est très inférieur à celui du pétrole.
Par ailleurs, ces sociétés ont d’autres actifs périphériques, comme la distribution de produits pétroliers, la pétrochimie ou le raffinage qui souffrent du pétrole cher et qui conduisent à des contractions de marge ou des pertes.
Enfin, ces majors produisent souvent dans des pays politiquement instables.

Propos recueillis par Imen Hazgui