Interview de Pierre-Alain  Labat : Gérant actions au sein de La Banque Postale Asset Management

Pierre-Alain Labat

Gérant actions au sein de La Banque Postale Asset Management

Secteur télécoms : parmi nos principales convictions, KPN, Ericsson et Télé2

Publié le 18 Mars 2011

Un secteur sur lequel vous êtes investis actuellement est le secteur des télécoms. Qu’en est-il de la situation financière du secteur ?
Le PE est à 10,3 fois les bénéfices de 2010, un peu en dessous du marché où le PE est proche de 12.
Les perspectives de croissance des bénéfices pour 2011 sont de 3,3% contre 15% pour le marché.
La prime de risque du secteur est inférieure à celle du marché. Le secteur présente un caractère défensif. Les revenus sont en grande partie récurrents du fait d’un business model par abonnement et d’une sensibilité relativement modérée à l’environnement économique général.

Au sein du secteur tous les segments ne présentent pas le même intérêt ? 
Le secteur dans son ensemble n’est pas un secteur de croissance. En revanche, au sein du secteur il y a des poches de croissance intéressantes.
La progression de l’usage est une des tendances lourdes du secteur. On l’a perçoit dans l’augmentation du taux de pénétration d’Internet, dans la montée en puissance de la télévision numérique, et dans un moindre mesure de la vidéo à la demande. On l’observe également par l’utilisation de plus en plus importante des réseaux sociaux et par l’appel par les entreprises du cloud computing.

Un des enjeux du secteur est la monétisation de cette croissance des usages ?
Depuis une dizaine d’année, la monétisation est plus compliquée. La croissance de l’usage ne se traduit pas nécessairement par une croissance du chiffre d’affaires des opérateurs. On voit que certains opérateurs ont commencé à mettre des plafonds aux volumes de données que l’on peut utiliser sur les abonnements. Mais ces opérateurs se heurtent à des offres illimitées de concurrents robustes.

Un attrait du secteur est lié au versement des dividendes ?

Effectivement. Cependant nous essayons dans notre fonds LBPAM Actions Télécom d’aller au-delà de cette considération, auquel cas nous risquerions de nous retrouver avec un secteur qui performe bien quand le marché actions corrigent à la baisse et qui reste à la traine quand les marchés actions connaissent un rallye. C’est pourquoi nous misons beaucoup sur les poches de croissance que j’ai pu évoquées plus haut.

Mis à part ces poches de croissances, quels sont les autres catalyseurs sur lesquels vous vous appuyez pour générer de la performance ?

Tout d’abord, la consolidation. Ceci nous amène à être prudents sur les grandes sociétés consolidatrices qui ont tendance à payer des primes importantes injustifiées économiquement pour maintenir leur position de leadership. Nous privilégions de ce fait les sociétés susceptibles d’être des cibles à moyen terme.
Nous nous efforçons également de nous exposer aux marchés émergents.

Quelles sont vos principales convictions actuellement ?

Une première conviction est KPN, l’opérateur historique hollandais, n°3 du mobile en Allemagne et n°3 du mobile en Belgique. KPN présente un caractère défensif avec un retour du cash aux actionnaires attractif. Le rendement est de 6,9% contre une moyenne pour le secteur de 6,8%. Le groupe a également un programme de share buyback d’un milliard d’euros tous les ans.
KPN a montré depuis plusieurs années une bonne maitrise de ses couts lui permettant d’assurer une légère croissance de ses résultats en dépit d’une stagnation de son chiffre d’affaires. Les dirigeants ont abandonné toute idée de construction d’un empire et d’acquisitions déraisonnables.
Par ailleurs, KPN constitue une cible potentielle à moyen terme.

Hormis l’absence de croissance de chiffre d’affaires, le point faible de KPN est en 2011 et 2012 une baisse importante des tarifs des terminaisons d’appel qui représentent une part non négligeable des résultats des opérateurs mobiles. Une autre faiblesse concerne la vive concurrence du câble aux Pays-Bas.
Nous détenons ce titre en portefeuille depuis 2008. Le potentiel de progression sur cette valeur est d’environ 25% sur 12 mois.

Un autre titre que vous appréciez, c’est Ericsson ?
On aime jouer le thème de l’Internet mobile à travers les fournisseurs d’équipements. En cela nous détenons une position sur Ericsson.
On peut se poser des questions sur le maintien de la marge d’Ericsson du fait de la concurrence des sociétés chinoises. Cependant nous tablons sur une croissance significative du chiffre d’affaires et sur une marge assez stable.
Le marché des équipementiers télécoms n’est pas plus concurrentiel qu’avant. Nous avons le même nombre d’acteurs avec la différence que deux grands acteurs américains ont laissé place à deux grands acteurs chinois. Ericsson a en cela la même structure de parts de marché.
Nous sommes exposés sur la valeur depuis le mois d’aout 2010. Le potentiel de progression est de plus de 30%.

Dans le domaine des fournisseurs d’équipements que pensez-vous d’Alcatel Lucent ?
Le dossier est plus risqué. Le marché donne à la valeur beaucoup de crédit pour le retournement. Des interrogations demeurent.

Télé2 vous semble être un autre bon pari à jouer ?

Télé2 est le deuxième opérateur mobile en Suède et le quatrième opérateur en Russie. Le groupe a également une collection de petits actifs dans une multitude de pays européens, Norvège,
Allemagne, Pays-Bas…
Télé2 bénéfice d’un taux de croissance significatif du marché mobile suédois qui était de 5-6% en 2010.
Télé2 dispose d’un certain nombre de licences régionales qui lui permettent d’être au final le quatrième opérateur en Russie, pays qui affiche une conjoncture macroéconomique favorable du fait de la montée du prix du pétrole. La société renforce sa présence dans le pays progressivement, sauf à Moscou. La société bénéficie d’une forte progression de ses résultats grâce à la montée des marges d’ebitda de chacune de ses régions vers un niveau proche de 45%.

Nous voyons deux risques sur le titre. Pour le moment Télé2 n’a en Russie que des licences 2G. La société est en piste pour avoir une licence 4G, mais pour le moment elle ne l’a pas. Il y alors des questions sur le développement à moyen-long terme.
Un deuxième risque est lié à une baisse des tarifs des terminaisons d’appel en Suède.
Nous avons acheté le titre fin 2008. Le potentiel de progression est de 25%.

Combien de lignes avez-vous au total de votre fonds ?

Environ 35 lignes. Le taux de rotation (achats plus ventes divisé par deux) est de l’ordre de 50%.

Quels vous semblent être les risques majeurs du secteur ?

En premier lieu, le risque réglementaire. La règlementation est de plus en plus défavorable aux opérateurs en place. On a eu de multiples baisses de tarifs et plusieurs mesures destinées à accroitre la concurrence sur le marché.
Le risque de taxation est également un autre risque. Il s’est déjà produit en Grèce, en Hongrie. Nous sommes face à une industrie que l’on ne peut pas délocaliser et que l’on peut plus facilement taxer en conséquence. Ces taxes peuvent prendre plusieurs formes : taxes sur les prépayés, taxes sur les résultats distribués, taxes sur le chiffre d’affaires, taxes sur la TVA.
Cette taxation peut également être indirecte et se traduire par une augmentation du cout du spectre des bornes de fréquence. Les Etats sont de plus en plus regardants sur l’argent récupéré sur la vente des droits d’utilisation des fréquences aux opérateurs.
Un autre risque est le risque d’accroissement de la concurrence de fait indépendamment de la règlementation. On était initialement dans une situation de monopole, puis d’oligopole. Et la concurrence se renforce de plus en plus. La consolidation connait en cela des limites en ce sens que les autorités de régulation n’autorisent pas une trop forte concentration. On a pu le voir avec le refus par l’autorité de concurrence suisse d’autoriser le rapprochement entre Orange et Sunrise.
Un autre aspect négatif du secteur réside dans l’augmentation des dépenses d’investissement. Que ce soit France Telecom, Telefonica, Telecom Italia, Belgacom, ils ont tous annoncé des dépenses supérieures à ce que l’on anticipait en 2011.

Comment conseillez-vous d’investir sur ce secteur ?
Le secteur est un secteur de fond de portefeuille. Le rendement est important, le risque est limité. L’objectif de notre fonds est de faire plus que le Stoxx 600 dans un horizon de trois ans.

Propos recueillis par Imen Hazgui