Interview de Thierry Million : Directeur de la gestion obligataire – Allianz GI Investments Europe

Thierry Million

Directeur de la gestion obligataire – Allianz GI Investments Europe

Grèce : le rollover ne pourra être qu'une solution temporaire, la restructuration devra intervenir à un moment ou à un autre

Publié le 15 Juin 2011

De quelle manière percevez-vous le débat autour des modalités de la nouvelle aide qui devrait être accordée à la Grèce pour résoudre son problème de liquidité ?
Un bras de fer oppose la BCE et les autorités européennes. Jean Claude Trichet a répondu jeudi par la négative à la proposition de Wolfgang Schäuble de faire participer le secteur privé à cette aide, menaçant de ne plus prendre en collatéral les titres grecs dans le cas où cette option serait retenue.
Pour le gouverneur de la BCE aucune restructuration n’est possible pour l’heure. Une restructuration, quelle qu’elle soit, pourrait mettre en danger les banques et le système financier européen encore très fragile. Cela pourrait déclencher un phénomène systémique que l’on ne maitriserait plus. Il y a lieu d’attendre que le ce système soit entièrement assainit quitte à envisager cette restructuration plus tard.
L’Allemagne, principal contributeur de l’aide octroyée à la Grèce, refuse d’attendre et souhaite prendre le taureau par les cornes dès à présent.

Nous ne savons pas encore ce qui sera décidé. Il est trop tôt pour anticiper.

Aura-t-on plus d’éclairage sur la question la semaine du 20 juin ?
Je l’espère fortement. Le marché est anxieux. Il est conscient de ce bras de fer entre la BCE et les autorités européennes. Le risque systémique va en s’accentuant.
Aujourd’hui, on se dit que s’il y a autant de difficultés sur la Grèce, alors qu’en sera-t-il sur le Portugal, l’Irlande ou même l’Espagne. La dette espagnole à long terme se traite 250 bp au dessus de la dette allemande, à 5,5%. C’est un pic a été atteint en mai.

Le montant de l’aide supplémentaire, initialement estimé à 60 milliards d’euros, a été relévé à 120 milliards d’euros. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai été étonné par ce chiffre de 120 milliards. Mais en fait, cela correspond à environ 60 mds supplémentaire qui seraient fournis par l’UE et le FMI, auquel s’ajoutent 30 mds de participation du secteur privé et 30 mds de privatisation (sur 50 mds).

Plusieurs options sont envisageables. Pensez-vous qu’un rollover, un échange de titres courts par des titres longs, serait une solution à privilégier ?
A mon sens, ce rollover ne pourra être qu’une solution temporaire dans la mesure où il ne résoudra pas le poids de la dette grecque qui est colossale. Cette dette représente 350 milliards d’euros (150% du PIB), sans compter les intérêts. En 2012, le pays devrait avoir plus de 10 milliards d’euros d’intérêts à payer. Cette dette n’est pas soutenable. Même avec des réformes massives, un programme de privatisation de 50 milliards, la péninsule hellénique ne sera pas tirée d’affaire avec ce rollover.
La restructuration devra intervenir à un moment ou à un autre. Le marché parie actuellement sur une décote significative de 50 à 75% de la valeur faciale de l’obligation grecque.

Portez-vous un regard préoccupé sur la situation ?
Je suis préoccupé à court terme. Cependant, je suis convaincu que le pragmatisme reprendra le dessus et que l’on trouvera une solution. La zone euro peut gérer les dossiers grec, portugais et irlandais. Nous sommes sur des centaines de milliards et non des milliers de milliards.

Pour vous il sera primordial de surveiller l’Espagne ?

Un défaut de la dette grecque ne sera pas sans impact mais sera gérable. Si l’Espagne est mise en danger, nous serions confrontés à une situation bien plus difficile. Il ne faudrait pas que le taux de refinancement de l’Espagne approche les 7%. Ce qui est inquiétant sur l’Espagne aujourd’hui c’est le débat qui tourne autour des régions. Ces régions ne veulent pas tenir les objectifs de réduction de déficit et donc annoncent des chiffres supérieurs à ceux qui étaient prévus.

Il faut absolument que l’Espagne ne soit pas touchée. Le pays est solvable mais peut dans des conditions de marché difficiles rencontrer un problème de liquidité. Jusqu’à présent les investisseurs ont allégé leur position sur l’Espagne mais n’ont pas massivement vendu la dette espagnole. Ils continuent à participer aux nouvelles émissions.

Cependant nous ne sommes pas à l’abri. Cela tient beaucoup à la psychologie des marchés. Un sentiment d’insécurité sur des titres espagnols pourrait émerger. Certains investisseurs face à un spread qui continue à s’écarter pourraient à un moment donné décider de vendre sans attendre. Un comportement moutonnier pourrait s’enclencher. Pour le moment nous ne sommes pas en mode panique.

La situation pourrait elle devenir incontrôlable si nous n’avons pas d’amorce de réponse à l’issue de la semaine du 20 juin ?
Nous n’en sommes pas encore là.

Propos recueillis par Imen Hazgui