Interview de Daniel Lebègue : Président de l'IFA

Daniel Lebègue

Président de l'IFA

On va assister dans les années à venir à une montée en puissance de tous les aspects extra financiers de l'entreprise

Publié le 18 Juillet 2011

Vous avez été un acteur du Grenelle de l’environnement en 2008 puisque vous avez présidé le comité entreprises et RSE. Quelles ont été les parties prenantes et comment avez-vous pu appréhender la vision de celles-ci sur la notion d’extra-financier ?
Les cinq grandes familles de stakeholders ou parties prenantes que nous avions réussi à réunir autour de la table du grenelle étaient les dirigeants d’entreprises et les acteurs de la gouvernance, les actionnaires, les parties prenantes internes (soit les salariés, leurs porte-paroles, les clients et les consommateurs), les acteurs organisés de la société civile et les acteurs publics locaux et nationaux (régulateurs, collectivités territoriales). Un consensus régnait autour de l’idée que la dimension RSE et autre que strictement financière de l’entreprise était un enjeu de première importance. Les parties prenantes de l’entreprise accordent beaucoup d’importance, plus sans doute qu’on ne l’imaginait, à l’extra financier, dès lors qu’il s’agit d’évaluer la stratégie, la performance, les risques et les perspectives de l’entreprise. Aujourd’hui, pour tous ceux qui travaillent dans ou avec l’entreprise ou qui l’évaluent de l’extérieur, l’extra financier a pris une importance croissante. Ma conviction que l’IFA partage : on va assister dans les années à venir à une montée en puissance de tous les aspects extra financiers de l’entreprise.

Quelle définition donnez-vous de l’extra-financier ? Quelles sont les difficultés qui sont rattachées à cette notion ?

La définition peut être plus ou moins extensive. J’en ai une approche large : c’est l’environnemental, le social, le capital humain, le sociétal, l’éthique (comme le fait de se comporter conformément à ses valeurs et à ses engagements, dimension qui a pris énormément d’importance), ce à quoi j’ajoute la gestion par l’entreprise de sa réputation, de son crédit vis-à-vis de tous les acteurs qui l’entourent. Lorsqu’on parle d’extra financier, on parle stratégie, performance, risques et perspectives, ce sont les quatre aspects qui sont de première importance. Mais tout le monde n’a pas la même approche globale : un juriste ou un dirigeant peut privilégier un ou plusieurs aspects sur les autres, ce qui est réducteur. On ne peut limiter l’extra financier aux simples risques par exemple, car la performance, son évaluation et bien sûr les perspectives sont des dimensions associées tout aussi fondamentales.
Il faut cependant reconnaître les difficultés de l’exercice de l’appréhension de l’extra-financier. Pour la performance financière, un référentiel existe qui s’appelle la comptabilité, avec laquelle, depuis des millénaires, on a appris à mesurer les performances d’une entreprise, d’un commerçant, d’un artisan. On tient ses comptes et dans certains cas on les rend publics. Le référentiel comptable, certes en pleine évolution avec les IFRS, permet de quantifier, d’évaluer, de comparer. Le référentiel est de plus en plus international, européen, on cherche à organiser une convergence des référentiels comptables de manière à faire émerger un référentiel mondial. Malheureusement, le référentiel de l’extra financier n’existe pas pour le moment, ni au niveau national, ni européen encore moins mondial. Bien qu’existent des tentatives, des outils (comme la GRI) proposant un cadre, une liste d’indicateurs et quelques outils, on est devant une vraie difficulté puisque aucun ne fait l’objet d’une reconnaissance officielle. Les entreprises font des choix qui peuvent être différents d’un métier ou d’un secteur d’activité à l’autre. En Europe, on observe un mouvement fort en faveur d’une prise en compte de l’outil GRI dans l’industrie et la finance : on commence donc à avoir quelques structures d’un référentiel commun avec des indicateurs de mesure. Mais tout ceci reste partiel et ne permet pas véritablement de dire aux entreprises voici le référentiel extra financier à utiliser. Il y a donc une attente de plus en plus forte des parties prenantes autour de l’extra financier mais les entreprises n’ont pas les outils communs, simples et opérationnels pour répondre à cette attente.

Pouvez-vous retracer les grandes évolutions dans le sens du reporting unique et les progrès qui ont été fait dans ce sens ? Quelles sont les avancées concrètes du grenelle de l’environnement à cet égard ?

La France était le premier pays d’Europe à s’engager dans cette voie avec la loi NRE de 2001 qui prescrit en termes très généraux aux sociétés côtés de rendre compte de l’impact de leurs activités sur l’environnemental. La loi fixe un objectif général et renvoie à des textes d’application, lesquels n’ont jamais été élaborés de manière complète jusqu’à une date récente. Les entreprises ont donc répondu aux objectifs assignés de manière très hétérogène : intégration dans le rapport annuel des éléments de l’environnemental et du sociétal ou établissement (pour les très grandes d’entre elles) d’un rapport dédié à ce sujet, annexé au rapport annuel mais sans avoir dans leur esprit la même portée juridique. Certaines sociétés ont assimilé cette obligation à une opportunité de communication, en délivrant plutôt une information valorisante pour l’entreprise.
En 2008, les discussions du Grenelle ont surtout porté sur la manière de donner du contenu au reporting extra financier des entreprises. Nous voulions aussi étendre ce reporting au-delà des sociétés côtés, notamment aux entreprises de plus de 500 salariés. La loi, dans ses articles 224 et 225, a retenu un certain nombre de principes et a dessiné le périmètre de reporting des entreprises. Initialement, le projet de loi prévoyait de manière très souple et optionnelle que les entreprises associent les parties prenantes (mais le Sénat a supprimé cette consultation) et que ces informations fassent l’objet d’une évaluation par un organisme tiers, indépendant. Finalement, et c’est assez sage, on étale sur 3 exercices l’application de la création de ce reporting extra financier : d’abord les grandes sociétés de plus de 5000 salariés pour 2011, puis les entreprises de 2000 à 5000 salariés en 2012 et finalement toutes les entreprises de plus de 500 salariés en 2013. Ce n’est pas déraisonnable de laisser un délai supplémentaire pour les entreprises moyennes. Le contenu des indicateurs et des thèmes a suscité deux approches : certains syndicats souhaitaient que les entreprises renseignent de manière précise une longue liste d’indicateurs, surtout des indicateurs sociaux ; d’autres, c’était ma position, étaient pour une approche plus pragmatique : il s’agissait pour la loi de définir en facteur commun à toutes les entreprises, de tous secteurs et de toutes tailles, entre 10 et 20 thématiques environnementales, sociales et sociétales (comme diversité, bilan énergie carbone) à renseigner et de laisser aux entreprises le soin de compléter ce bloc par des indicateurs sectoriels pour des raisons évidentes. Les indicateurs de la chimie ne peuvent pas être les mêmes que ceux de l’assurance dès lors qu’on parle des risques environnementaux ! Pour l’essentiel, dans la dernière version du projet de décret, c’est cette dernière approche qui a été retenue

L’amendement par le sénat visant à supprimer la consultation des parties prenantes ne porte-il pas un coup au projet ?
Il faut rappeler que l’association des parties prenantes à l’élaboration du reporting extra financier était une option, une possibilité mais sans obligation. Les parties prenantes consultées peuvent bien souvent apporter une expertise, un savoir, exprimer les attentes de la société par rapport à certains sujets : il est donc vital pour une entreprise de les écouter. Je pense en particulier aux ONGs, aux associations mais aussi aux parties sociales internes. Cette incitation à consulter les parties prenantes à disparu du projet de loi mais on en fait désormais un thème du reporting extra-financier, sur lequel l’entreprise rend compte.

Selon vous, quels sont les éléments qui font défaut à la communication extra-financière aujourd’hui ?
Le véritable enjeu est de savoir comment faire en sorte que l’information extra-financière acquière le même degré de fiabilité, de complétude que l’information financière. Il n’est pas normal que les entreprises prennent très au sérieux comme elles le font les informations financières qu’elles publient, avec un souci de transparence et de communication claire et précise. Mais que parallèlement à cela, elles n’accordent pas le même niveau d’attention à la fiabilité des informations extra-financières. L’enjeu se situe donc dans la certification des informations extra-financières pour que celles-ci aient le même degré de qualité que les données strictement financières.


Biographie: Directeur du trésor, puis directeur général à la BNP et enfin directeur général de la Caisse des dépôts et consignations jusqu’en 2002, Daniel Lebègue devient Président de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) en 2003.
Il est également président de Transparence-international France, de l’ORSE (Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises), d’Epargne sans frontières.
Daniel Lebègue est administrateur et président de comité d’audit de TECHNIP et SCOR.

Tribune dirigée par M.A. Andrieux, ScPo-Deloitte