Interview de Gilles Pelisson : Président du Groupement des Professions de Services

Gilles Pelisson

Président du Groupement des Professions de Services

L'immatériel traduit un management en profondeur : pérenniser la marque, la relation avec ses clients, ses collaborateurs, dans un environnement en perpétuelle mutation

Publié le 27 Juillet 2011

Vous avez une riche carrière dans les services, notamment chez Disney, Bouygues Telecom et Accor. Quel est l’actif immatériel majeur, selon vous ?
La marque est l’actif immatériel le plus important parce qu’intimement liée au produit ou au service acheté. Le poids de l’immatériel est particulièrement fort dans les services, davantage que dans les activités industrielles. L’immatériel est constitué de nombreux autres actifs sur lesquels appuyer le développement de l'entreprise, comme le capital client et la capacité à intégrer leurs attentes, l’histoire, la culture managériale, la réputation de l’entreprise. A titre d’exemple, au sein du groupe Accor, Novotel véhicule des valeurs différentes de marques comme Ibis ou Sofitel.

D’où des approches relationnelles et opérationnelles différentes avec les clients, collaborateurs et les fournisseurs. Je suis personnellement convaincu de la force de marques emblématiques comme Accor et Disney, que j’ai pu voir en action. Avec de telles marques à forte personnalité, il s’agit de "raconter une histoire" notamment via des hommes, le capital humain. Ce sont des savoir faire et savoir être, la culture d’entreprise. C’est elle qui, fondamentalement, représente les valeurs communes aux collaborateurs: par temps de tempête, comme nous l’avons vu en 2008-2009, la solidarité de l’équipage du navire est essentielle. En périodes plus sereines, la force de sa culture permet à l'entreprise de porter sa croissance.

Au cours des dernières années, la stratégie du groupe Accor de céder ses actifs immobiliers lui a permis de se concentrer plus sur la gestion d’actifs immatériels, les fonds de commerce , sa base clients et ses marques, les réseaux de distribution ,et après la scission avec Accor Services devenu Edenred, de devenir un pure player de l’hôtellerie.

Vous avez été à la tête d’Accor, quelles sont les politiques que vous avez menées pour développer les actifs immatériels du groupe ? Quels liens avec les politiques de RSE ?
Accor est un groupe à forte valeur humaniste, à la base. Il n’est pas possible de « plaquer » des valeurs RSE, si elles ne sont pas dans la culture originelle d'un groupe. La création de la Fondation Accor en 2008, avait d’ailleurs pour objectif de développer davantage encore l’envie des collaborateurs de s’impliquer dans la vie associative et de contribuer à des projets de la société civile. Sa réussite à « tisser des liens » fut possible car ce sont de reelles valeurs au cœur du groupe Accor : les projets soutenus émanent en effet exclusivement des salariés de la société et permettez moi d’insister sur le succès de cette méthode : près de 3.000 collaborateurs impliqués menant plus de 80 projets dans une trentaine pays !

Sur le plan du Développement Durable pour Accor, avec la volonté de sensibiliser les fournisseurs aux économies d’énergie, au traitement des déchets et des eaux, il est demandé par exemple aux entreprises de construction de batir des immeubles, respectant une série de normes contraignantes intégrant l’environnement. La facade d'un hôtel Ibis Porte de Clichy a été ainsi couverte de panneaux photovoltaïques. Les établissements en Chine et au Brésil veulent aussi se mettre au niveau occidental. Dans leur expansion à l'international, les groupes français doivent s’adapter à la culture, l’éthique, et les pratiques locales et ne pas chercher à imposer un mode occidental.

Cette démarche souple et opérationnelle de développement durable permet donc de valoriser la diversité des actifs immatériels d’un groupe.

Quelle est votre analyse de l’essor des problématiques de RSE, de développement durable pour les entreprises ? Quelle place tient la réflexion sur les immatériels dans le management de grandes sociétés ?
Avec un rythme de transformation du monde qui s’accélère, dans un environnement géo-politique de plus en plus changeant, l’immatériel peut refleter des approches de management, en profondeur : développer la capacité de l'entreprise à pérenniser sa marque , la relation avec ses clients, ses collaborateurs et son environnement même en pleine mutation, au delà de l'évolution des biens matériels qu’elle utilise.

L’Académie Accor cherche ainsi à inventorier, transmettre et donc capitaliser des savoir faire dans le cadre de la formation. Mettant à profit les atouts des NTIC, cette Académie est devenue aussi virtuelle dans certains pays du monde, du Brésil à l’Australie, avec le e-learning. Accor peut ainsi, aussi former ses franchisés, au service de l’accueil, au nom de la coherence du service du groupe, pour un enjeu considérable : il faut en effet que le client puisse avoir une expérience similaire dans chacun des établissements dans le monde. Cet actif immatériel formidable a été commercialisé à d’autres secteurs economiques, comme des entreprises de transport, services postaux ou dans le secteur du luxe.

Enfin, l'excès de réglementation peut être un facteur limitant la compétitivité de nos entreprises, au nom du Développement Durable. Les résultats du Grenelle de l'Environnement avaient beaucoup inquiété la profession hoteliere, en matiere d’investissements, aucun autre pays limitrophe n'ayant adopté de telles mesures...

Les marchés financiers intègrent-ils les actifs immatériels dans la valorisation des entreprises cotées ?
Les marchés financiers sont historiquement davantage rassurés par des actifs tangibles qui peuvent leur paraître représenter un risque moindre que des actifs immatériels, susceptibles de subir des dépréciations plus rapides. Les analystes financiers réagissent beaucoup aux accidents de parcours dans la valorisation d’une société et les immatériels souffrent d’une vulnérabilité supplémentaire à ce phénomène.

Une meilleure connaissance des valeurs immatérielles est toutefois en plein essor car arrive une nouvelle génération d’analystes financiers, concernés par les thématiques de RSE ou d’immatériel auxquelles ils ont été sensibilisés dans leurs études. Plus généralement, même si les immatériels tiennent une place encore relativement marginale (à l'exception des marques leaders...) dans les méthodologies de valorisation d’une entreprise par les marchés financiers, ne pas conduire de politique de responsabilité sociale ou d’immatériel est sanctionnable et sanctionné pour une entreprise.

Interview réalisée dans le cadre de la Tribune Sciences Po de l’immatériel, dirigée par Marie-Ange Andrieux, Deloitte.


Biographie: Gilles Pélisson est diplômé de l’ESSEC et titulaire d’un MBA de Harvard Business School. Il a débuté sa carrière dans le groupe Accor en 1983. Après six années passées aux Etats-Unis, en tant que directeur du Marketing des restaurants Seafood Broiler, puis Senior Vice Président d’Accor pour la zone Asie-Pacifique, il est nommé, en 1988, Directeur Général des restaurants Courtepaille, puis Co-Président de la chaîne hôtelière Novotel en 1993. En 1995, il devient Directeur Général d’Euro Disney, puis Président-directeur général en 1997. En 2000, Gilles Pélisson rejoint le groupe Suez pour prendre la direction du consortium Suez-Telefonica ST3G, candidat à une licence UMTS, et la Présidence de Noos, opérateur de réseau câblé leader en France. En septembre 2001, Gilles Pélisson rejoint Bouygues Telecom en tant que Directeur Général. Il est nommé Président-directeur Général de Bouygues Telecom en février 2004. En janvier 2006, il devient Directeur Général du groupe Accor et est nommé Président-directeur général en février 2009, poste qu’il occupe jusqu’en janvier 2011. Gilles Pélisson est également administrateur de Bic S.A, TF1, Lucien Barrière SAS. Il est membre du Conseil Exécutif du MEDEF, Président du Groupement des Professions de Service et Président du Comité Tourisme. Gilles Pélisson est Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

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