Interview de Marc de Scitivaux : Economiste français. Fondateur et Directeur de la publication des Cahiers verts de l'économie

Marc de Scitivaux

Economiste français. Fondateur et Directeur de la publication des Cahiers verts de l'économie

Les agences de notation sont comme des pompiers qui viennent vous annoncer que la maison est en feu quand le feu a démarré depuis plus d'une semaine

Publié le 12 Août 2011

De quelle manière avez-vous accueilli la dégradation de la note des Etats-Unis par l’agence Standard & Poor’s vendredi 5 août ?
Cela fait de nombreuses années que les notations délivrées par les agences de notation me laissent de marbre. La capacité d’avoir un bon jugement de la part des agences de notation ne m’a jamais frappé. Si ces agences de notation avaient la moindre valeur, elles n’auraient pas , pour la plupart, donné à la Grèce et à l’Allemagne la même note il y a cinq ans. Ces agences n’auraient pas donné en 2006 des triple A à nombre de véhicules de crédits structurés. Cela prouve leur incapacité à prévoir l’avenir et ce n’est d’ailleurs pas leur fonction.

Il y a souvent une erreur qui est commise de la part des observateurs et acteurs sur la manière d’appréhender le rôle des agences de notation. Ces agences ne sont pas faites pour prévoir l’avenir. Ces agences n’informent pas sur le futur. En témoigne une nouvelle fois les notations qui ont été donné sur nombre de pays ou de produits et l’évolution de ces pays ou produits quelques années plus tard.
Un peu comme une compagnie d’assurance qui ne donne un malus qu’après l’accident, ces agences n’interviennent qu’une fois que l’accident est survenu. C’est le pompier qui vient vous annoncer que la maison est en feu quand le feu a démarré depuis plus d’une semaine.

Je me fiche donc comme de l’an 40, à titre personnel, de la décision récente de Standard & Poor’s de retirer le triple A aux Etats-Unis.

Ceci étant cette note que vous remettez en cause à tout de même une influence sur les marchés. Comment l’expliquez-vous ?

Par l’imbécilité humaine. Aujourd’hui nous ne connaissons pas une crise financière mais une crise du financement des Etats.
Peut-on vraiment croire qu’une entreprise mondialisée comme Google ou Saint Gobain soit impactée profondément par le fait que l’Espagne ou la France ait du mal à financer les cadeaux sociaux fait ces dix dernières années. Certes, un peu, si la consommation en Europe doit stagner, comme cela est probable mais en fait très faiblement. Et je ne vous parle pas de LVMH…

Le problème est que l’économie et la finance sont passées depuis plusieurs années, du monde de l’intelligible au monde du sensible, pour reprendre la célèbre division Platonicienne.
Le fait que tout le monde dise la même chose au même accentue la volatilité. Raymond Aaron disait qu’une idée fausse était un fait vrai… tant que les gens ne savent pas qu’elle est fausse.
C’est à force de croire n’importe quoi, de la machine à créer la richesse éternelle avec internet en 1998/1999 aux crédits structurés en 2005/2006 à l’explosion du système financier en 2008 et maintenant, à force de ne pas avoir d’esprit cela tourne au drame.

Selon vous, les gens se débarrassent de leur bon sens entre les mains des agences de notation ?

Je ne plains personne qui aurait perdu de l’argent sur la dette grecque. John Kenneth Galbraith avait dit que tôt ou tard les imbéciles étaient séparés de leur argent. Ces personnes auraient du faire appel à leur bon sens il y a quatre ou cinq ans qui leur aurait dit qu’un pays comme la Grèce qui passait son temps à s’endetter de plus en plus n’était pas l’Allemagne et que l’on ne pouvait pas souscrire une dette grecque au même taux qu’une dette allemande.
Le pire est que ces personnes n’ont pas tiré les leçons de la raclée qu’ils ont reçue. Ils en redemandent et s’affolent de la dégradation par S&P de la note des Etats-Unis.

La question de la légitimité des agences de notation se pose-t-elle ?
Le reproche n’est pas à faire à ces agences. N’importe qui a le droit de faire n’importe quoi. Si une personne fabrique un produit et parvient à le vendre au monde entier qui croit que c’est de l’or pur alors que c’est un matériau moins précieux c’est plus la faute de l’acheteur que du vendeur.
Ce qui pose un souci majeur c’est l’irresponsabilité et l’incompétence totale de gens qui gèrent l’argent qui au lieu de travailler sur la base des chiffres réels, lisent toute la journée des études dont la qualité est médiocre, lisent des journaux qui ont forcément tendance à amplifier les nouvelles, et se débarrassent totalement de leur capacité à former leur propre jugement.

Vous portez un avis très dur sur les gestionnaires ?
Nombre d’acteurs financiers, économistes, analystes, gestionnaires ne méritent pas les salaires élevés qu’ils reçoivent. S’enthousiasmer quand cela monte et paniquer quand cela baisse est à la portée de n’importe qui. La finance manque d’esprits « contrarian » qui ont à la fois la lucidité et le courage d’aller à contre sens.

Est-on condamné à rester dans l’imbécilité ?
Oui. Dans son livre, les bulles et contre bulles, John Kenneth Galbraith explique très bien pourquoi il est très difficile pour les gens de ne pas être entrainé constamment par l’esprit du moment.
En raison de la médiatisation et de la mondialisation, le traitement d’une information économique et financière subit le même traitement qu’une autre information politique ou sociale. Il n’y a jamais de juste milieu. Ou bien on va vivre des temps merveilleux grâce à Internet et à la titrisation ou bien c’est affreux et on va tous finir nu en mangeant des racines. Je ne le lis que très rarement des analyses approfondies faisant appel au monde de l’intelligible.

Jusqu’à quand ?

Je n’en sais rien. Heureusement l’être humain apprend de ses erreurs. On va s’apercevoir que croire constamment la même chose au même moment sans réfléchir ne produit pas de bons résultats. J’ose espérer que cette espèce de consensus général qui fait passer du bonheur éternel au malheur effroyable cessera. Il faudra cependant attendre longtemps.

Comment s’en sortir ?
Je crois beaucoup à la théorie du coup pied au cul qui remet les idées en place. Au bout d’un certain temps, les esprits de bon sens devraient se réveiller. Prenons le cas des agences de notation, c’est une source d’information comme tant d’autres mais si vous croyez que c’est l’alpha et l’omega de la connaissance vous leur donnez un rôle qu’elles ne méritent pas.
Vous n’êtes pas obligés d’abandonner constamment vos décisions entre les mains des autres.
Je suis un homme optimiste et je crois sincèrement qu’à la fin de la fin de la fin les gens apprennent de leur expérience malheureuse et qu’ils s’apercevront que faire appel à ses propres compétences et à sa propre intelligence ne produit pas de si mauvais résultats. Et si cela ne marche pas, qu’ils changent de métier !

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Propos recueillis par Imen Hazgui