Interview de Sébastien Thevoux-Chabuel : Analyste extra-financier chez ODDO Securities

Sébastien Thevoux-Chabuel

Analyste extra-financier chez ODDO Securities

Un coup de pouce des autorités semble nécessaire pour une meilleure communication extra-financière, plus que souhaitable

Publié le 17 Août 2011

Le capital immatériel représente plus de 60% de la capitalisation boursière des sociétés européennes, pensez vous que cette importance soit prise en compte dans le management et la communication de ces sociétés ?
Il existe une prise de conscience grandissante par les entreprises de l’importance des enjeux soulevés par les actifs immatériels. Cependant, un constat s’impose : la communication sur ces actifs reste insuffisante. Pour partie, peut-être cela traduit-il une certaine crainte de la part des entreprises de divulguer trop d’informations stratégiques à la concurrence.

Quels actifs immatériels vous semblent primordiaux ? Sont-ils correctement appréhendés par les acteurs des marchés financiers ?
L’importance de ces actifs varie clairement selon le secteur étudié. On ne peut donc pas donner de priorité dans l’absolu. Cependant, je voudrais évoquer un actif immatériel primordial trop souvent négligé: le capital client. Il est en effet essentiel quel que soit le secteur, car c’est ce capital qui permet de générer du chiffre d’affaires. Il repose sur la capacité de l’entreprise à satisfaire ses clients et à les fidéliser en conservant leur préférence. Il suppose également un ciblage effectif des segments de clientèle.

L’immatériel n’est certainement pas assez pris en compte par les marchés. Ce n’est pas surprenant si l’on se penche sur le contenu des sources d’information qui alimentent le marché, où la part de l’immatériel est encore très faible. Le frein majeur à une reconnaissance de l’immatériel par les marchés est lié au manque d’informations disponibles.

D’où provient l’information sur l’actif immatériel des entreprises en France ?
On distingue trois principales sources d’information sur l’immatériel d’une entreprise. En premier lieu la communication financière qui intègre souvent des informations qualitatives. On peut citer ensuite les rapports de développement durable et enfin, le reste de l’information disponible publiquement.
Il faut souligner l’aspect important et positif que peuvent jouer les autorités, qui ont été à l’origine du rapport sur la responsabilité sociétale améliorant l’information pour les parties prenantes. Cependant la qualité de cette information est très inégale selon les entreprises car les indicateurs ne sont ni définis ni harmonisés par la loi.

Vous êtes donc pour une intervention des autorités publiques dans le sens d’une communication plus poussée sur l’immatériel ? Quels avantages cela procurerait aux entreprises ?
Les coûts de mise en place d’un rapport intégré sont vus par les entreprises comme trop importants, avec des risques de révélation d’information à la concurrence, qui peuvent être gérés car il est possible de respecter le secret des affaires. C’est pourquoi il faut absolument une intervention des autorités publiques pour donner un coup de pouce au développement de cette communication.

Une meilleure communication sur l’immatériel présenterait divers avantages pour les entreprises. Elle pourrait améliorer la réactivité dans le pilotage des entreprises qui disposeraient d’outils efficaces de reporting interne. Cela pourrait contribuer à une moindre volatilité des cours boursiers puisque les valeurs fondamentales seraient plus facilement identifiables avec une information ciblée de façon plus pertinente.

Que pensez-vous de l’initiative de l’IIRC visant à promouvoir le développement d’une communication intégrée ? Comment envisager la mise en place d’un tel référentiel international ?

L’initiative de l’IIRC est très louable : si ce référentiel était appliqué au niveau international, il permettrait une comparabilité des entreprises entre elles. De plus, si l’obligation de publication des informations sur l’immatériel est généralisée, le risque en termes de concurrence serait dès lors minimisé. Ce groupe de réflexion permet d’accélérer les choses autour d’une dynamique très positive.

La mise en place d’un tel dispositif pourrait se faire de manière progressive, en passant de recommandations à une obligation de publication d’informations. Le modèle des 3couches (3 Tiers) qui suit une logique de poupées russes me paraît très intéressant, avec une première couche d’indicateurs communs à tous les secteurs, une seconde spécifique au secteur de l’entreprise et une dernière couche particulière à l’entreprise elle-même. Cependant, la mise en place d’un tel référentiel n’aurait de sens que si celui-ci définit les indicateurs de manière précise et harmonisée.

Interview réalisée dans le cadre de la Tribune Sciences Po de l’immatériel, dirigée par Marie-Ange Andrieux, Deloitte.


Biographie: Sébastien Thevoux-Chabuel a débuté sa carrière en 1998 chez Deutsche Bank en tant qu'analyste buy-side.
Il a ensuite travaillé à la BFT (filiale du Crédit Agricole) en tant que gérant de fonds et analyste buy-side TMT, avant de rejoindre en 2005 Oddo Securities comme analyste sell-side sur le secteur européen de la technologie, puis d’en intégrer, en 2008, l'équipe ISR. Il est membre fondateur de WICI France (World Intellectual Capital Initiative) et membre de l’École française de l’immatériel, deux initiatives dont la vocation est de promouvoir la recherche sur les actifs immatériels et leur meilleure prise en compte à la fois par les entreprises et les investisseurs.
Membre de la SFAF, Sébastien Thévoux-Chabuel est diplômé de l'ESCP et titulaire d'un DESS de la Sorbonne en ingénierie financière.

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