Interview de Jézabel  Couppey-Soubeyran : Maître de conférence en économie à Paris I et conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique

Jézabel Couppey-Soubeyran

Maître de conférence en économie à Paris I et conseillère scientifique auprès du Conseil d'analyse économique

Les différentes actions de la BCE ne font pas craindre une remontée de l'inflation

Publié le 20 Septembre 2011

Comment analysez-vous le resserrement de politique monétaire décidé par la BCE en début d’année ?
La décision était sans doute prématurée mais pas complètement injustifiée. Le contexte était très difficile. D’un coté la BCE était confrontée à des tensions inflationnistes provenant d’une forte montée des prix sur les marchés de matières premières. D’un autre coté les signes de reprise étaient encore très faibles. Soit la BCE prenait la décision de se concentrer sur les pressions inflationnistes et choisissait de commencer à resserrer sa politique monétaire, soit elle se focalisait sur la faible croissance et poursuivait sa politique monétaire accommodante.
De par son mandat, la BCE a opté pour faire primer l’objectif de stabilisation des prix. Elle a donc relevé son taux directeur d’un quart de point. Une décision qu’elle a confirmée au début du mois de juillet en portant le taux à 1,5%, en hausse d’un nouveau quart de point.
Cette action s’est révélée après coup inappropriée dans la mesure où quelques semaines plus tard, on se retrouvait en pleine crise de la dette de la zone euro et on allait sans doute eu devant d’une nouvelle récession.
La BCE qui entendait mettre un terme à sa politique monétaire accommodante a dû rebrousser chemin. Elle ne pourra vraisemblablement pas envisager un resserrement avant un bon moment.

Pour donner une bouffée d’oxygène à la zone euro, nombreux sont ceux qui anticipent une baisse des taux de la BCE ?
Si la BCE a en tête de baisser ses taux, il faut qu’elle le fasse rapidement. Cela peut arriver dès sa prochaine décision.
Elle peut aussi laisser son taux inchangé et continuer ses mesures non conventionnelles de quantitative ou de qualitative easing.

Crise de la dette et crise bancaire obligent, la BCE a dû relancer sa politique de rachat de titres de dette publique sur les marchés secondaires pour faire baisser les taux à long terme de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne. Jusqu'où peuvent aller ces politiques non conventionnelles ? Est-ce que ces politiques non conventionnelles vont se révéler dangereuses ?
Il semble que ces mesures fortes d’assouplissement, de fourniture de liquidité soit au secteur bancaire soit aux Etats soient nécessaires dans la situation actuelle.
Certains craignent que ces opérations ne nourrissent une inflation future. Je pense que cette crainte repose sur une confusion entre la base monétaire, monnaie émise par la banque centrale, et la masse monétaire correspondant à la quantité de monnaie en circulation dans l’économie.
Augmenter la base monétaire ne se traduit pas nécessairement par une augmentation proportionnelle de la masse monétaire. Tout dépend de ce que les banques font de la liquidité que les banques centrales mettent à leur disposition. Si les banques conservent cette liquidité et la mettent en réserves auprès de la banque centrale, cela ne se traduit pas du tout par une augmentation de la masse monétaire. Si en revanche le secteur bancaire est totalement détendu par ces interventions et utilise cette liquidité mise à disposition par la banque centrale pour relancer le crédit, alors cela pourrait effectivement se traduire par une augmentation substantielle de la masse monétaire et alimenter de l’inflation.
On observe cependant que dans l’environnement actuel, les banques ne sont pas du tout enclines à ouvrir le robinet du crédit. De ce fait il n’y a pas trop à craindre une remontée de l’inflation.

En revanche ces opérations ont une incidence sur la qualité du bilan de la banque centrale. Ce n’est pas tant la taille du bilan qui pose problème. La banque centrale est en mesure de neutraliser l’incidence de ces opérations sur la taille de leur bilan. Elle est en mesure de stériliser ces opérations. Ainsi, le bilan peut ne pas trop gonfler.
Ceci étant, la BCE ne peut pas trop contrôler l’incidence que ces opérations ont au niveau de la composition, de la structure de son bilan. En se portant acquéreuse de titres d’une qualité inférieure à celle qu’elle acceptait auparavant, elle dégrade obligatoirement la qualité de l’ensemble de son bilan. C’est une chose qu’il faudra qu’elle résorbe.

Comment ?
Si par son action, la BCE parvient à restaurer la liquidité des banques et des marchés, alors les titres dont elle s’est portée acquéreuse finiront par retrouver leur valeur. Dans ce cas, le bilan ne se retrouvera pas qualitativement trop dégradé. En revanche, si l’action de la BCE se révèle insuffisante et si les titres qu’elle a acceptés de porter ne retrouvent pas leur valeur, alors elle risque de subir des pertes.

Avec quelles répercussions ?
Pourrait se dessiner un cercle vicieux. La banque centrale pour éponger ses pertes éventuelles pourrait être amenée à émettre à nouveau de la monnaie.

Avec cette fois ci un risque d’inflation ?
Pas nécessairement. Si l’argent émis par la banque centrale n’est pas remis en circulation par les banques, cela ne se traduira pas par de l’inflation.
Nous ne serions pas tellement face à un problème quantitatif. Les banques centrales ont toujours cette capacité d’émettre de la monnaie. Mais cela peut nourrir cependant une grave crise confiance. Elle perdrait de sa crédibilité et son action n’aurait plus la même efficacité.

Une autre conséquence fâcheuse de l’action de la BCE pourrait résider dans l’aléa moral.

La BCE doit secourir massivement les banques et les Etats les plus en difficultés. Elle joue en cela pleinement son rôle de préteur en dernier ressort. Ce rôle est indispensable en période de crise pour apporter de la sécurité et restaurer la confiance mais il y a effectivement le risque que cet agissement de la banque centrale entraine un aléa moral. Cela pourrait amener les acteurs qui bénéficient de ces mesures de garantie, banques et Etats, à relâcher leur vigilance à l’avenir étant convaincus que quoiqu’il arrive ils seront secourus.
C’est la raison pour laquelle il ne faut évidemment pas se contenter de mesures curatives. Il faut les accompagner de nouvelles mesures préventives. En cela il faut renforcer le dispositif prudentiel, aussi bien au niveau micro avec Bale III qu’au niveau macro avec la mise en place d’une politique macro-prudentielle de surveillance globale du secteur bancaire et financier (surveillance du crédit, des bulles en formation, …).

Ce dispositif macro prudentiel qui en est à son balbutiement pourrait constituer un instrument très important de la stabilité financière.

Comment voyez-vous la suite des évènements pour la BCE ?
Pour parvenir à ancrer les anticipations des investisseurs sur le scénario de sortie de crise, il faut que la BCE communique activement sur sa capacité et sa détermination à mener les actions qu’elles mènent en ce moment autant de fois et autant qu’il le faudra.
Si ces actions portent leurs fruits et si l’on s’achemine vers une sortie de crise, la question se posera alors de savoir comment et quand resserrer cette politique monétaire. Difficile toutefois de prévoir aujourd’hui à quelle date cette question de la stratégie de sortie de crise se posera.

Vous pensez que la BCE se doit d’annoncer à l’avance ce qu’elle envisage de faire ?
Je ne crois pas au bienfait de l’ambigüité constructive dans la situation d’incertitude que l’on connait aujourd’hui. Ceux qui considèrent que la banque centrale doit maintenir le flou sur ses décisions à venir pour ne pas favoriser l’aléa moral sont partisans de ce principe d’ambigüité constructive.
A mon sens, la banque centrale doit, au contraire, être claire dans sa communication en période de crise. On ne gère pas une situation d’incertitude très forte en rajoutant de l’incertitude.

Tout ne doit pas reposer sur les seules épaules de la banque centrale pour autant. On peut aujourd’hui regretter que les politiques budgétaires n’aient pas pu apporter longtemps leur soutien aux politiques monétaires.

Quoi qu’il en soit quand s’amorcera le début de sortie de crise (on peut tout de même l’espérer), il faudra faire évoluer les missions des banques centrales…
Pour éviter qu’une nouvelle crise ne se produise, il faudra réfléchir à un élargissement des missions des banques centrales.
Cette crise provient du fait que les banques centrales n’ont pas été suffisamment attentives au problème d’instabilité financière.
Les banques centrales et notamment la BCE ont beau être indépendantes, ce ne sont pas elles qui décident directement des missions qui leur sont confiées. C’est aux gouvernants de leur donner mandat.
Pour que les banques centrales puissent sortir de cette période au cours de laquelle elles ont dû mettre en place des politiques non conventionnelles sans être affaiblies et sans nourrir un problème d’aléa moral, leurs missions doivent évoluer dans le sens d’une plus grande attention à la prévention de l’instabilité financière.
Pour palier le problème éventuel d’aléa moral que l’action de prêteur en dernier ressort peut encourager, il faut qu’en amont des problèmes d’instabilité financière, la banque centrale soit présente.
A cet égard, il faut encourager une évolution des instruments et des institutions sur le plan prudentiel (en particulier sur le plan macro-prudentiel).

Il vous semble opportun de normaliser la politique de rachat de dette par la BCE ?
On pourrait en effet se demandert s’il ne faut pas normaliser ce type d’actions, faire en sorte que la BCE puisse le faire plus régulièrement. Mais, il est impératif de prévoir parallèlement des mesures permettant d’assurer dans la zone euro une meilleure coordination des politiques budgétaires et une meilleure discipline budgétaire.

Un point à retenir pour l’évolution du central banking réside dans l’action coordonnée des banques centrales…

On a pu constater avec l’action concertée des grandes banques centrales pour le refinancement des banques en dollar à quel point le marché était très sensible à une action coordonnée des banques centrales, et donc a contrario très sensibles aussi au manque de coordination qui caractérise le plus souvent leurs actions. Les actions coordonnées ont été peu nombreuses pendant la crise. Il faudrait peut-être les systématiser à l’avenir dès qu’une situation de tension s’amorce.

Propos recueillis par Imen Hazgui