Interview de Marc de Scitivaux : Economiste français. Fondateur et Directeur des Cahiers verts de l'économie

Marc de Scitivaux

Economiste français. Fondateur et Directeur des Cahiers verts de l'économie

Italie : une panique injustifiée du marché face à une situation économique et budgétaire qui n'avait rien de mauvaise

Publié le 15 Novembre 2011

Selon vous nous sommes avec le cas de l’Italie face à une auto prophétie ?
Nous sommes face à une situation extravagante, une panique injustifiée du marché vis à vis d'une situation économique et budgétaire qui n’avait rien de mauvaise.
L’Italie n’a pas un problème important d’équilibre de ses finances publiques. Hors charge de la dette, les comptes italiens sont excédentaires. C’est ce que l’on appelle l’excédent primaire.
On ne peut pas dire qu’il y a eu creusement de la dette italienne ces dernières années. Le pays affiche un niveau de dette presque équivalent à celui prévalant au moment de son entrée dans la zone euro. Le niveau était donc déjà très élevé dès le départ. Certes, il aurait fallu que l’Italie s’attelle à réduire cette dette, cependant elle aurait fait figure d’exception parmi les pays européens.
C’est la méfiance du marché qui entraine la dégradation de cette situation. C’est la peur qui créée la maladie. La dette italienne correspondant à environ 120% du PIB, une hausse de 1% de la dette italienne amène à un déficit budgétaire de 1,3%. Le passage du taux de rendement de l’obligation italienne de 4% à 7% en l’espace de quelques mois a conduit uniquement sous la pression aveuglée des marchés à une situation délicate.

Comment analysez-vous cette méfiance du marché ?
Si les marchés étaient intelligents et rationnels, cela se saurait. Le marché vit d’excès de crainte ou d’excès d’optimisme. Il suffit qu’une personne irresponsable clame que la situation est devenue grave pour qu’une autre personne tout aussi irresponsable avance la même affirmation. Je pense que ce qui a fait défaut à l’Italie ce sont les comportements moutonniers des investisseurs.
Par ailleurs l’action des agences de notation n’aide pas à calmer les tensions. Ces agences qui ne sont pas dans la prospective et qui ne font qu’enregistrer un fait avéré contribuent à augmenter le taux de rendement obligataire de l’Italie.
Il est surprenant qu’aucune voix ne se soit élevée dans ce chahut pour examiner les comptes italiens et aboutir à une conclusion objective.

Est souvent donnée comme excuse le rôle de Monsieur Silvio Berlusconi ?
Indépendamment des reproches que l’on peut faire à la personne, l’on ne peut pas critiquer M Berlusconi sur le fait qu’il ait mené pendant qu’il était au pouvoir une politique économique délirante. D’ailleurs, le déficit budgétaire italien est inférieur au déficit français. Le caractère fantaisiste de M Berlusconi ne justifie en rien les attaques répétées du marché contre l’Italie quand bien même la dernière mode des agences de notation est de prendre en compte la situation politique des pays. M Tallerand n’était pas une personne dont la morale était au dessus de tout reproche. Ce fut pourtant un bon ministre des affaires étrangères et un très bon négociateur du traité de Vienne.

M Berlusconi mettait tout de même en cause l’avancée du programme des réformes ?
Il est vrai que le fait que l’un des grands constituants de la majorité italienne ne soit pas pro Europe, la Ligue du Nord, n’est pas de nature à aider les choses.
L’avancée de la mise en place des réformes nécessaires n’était neanmoins pas plus compromise qu’en France.

Le départ de Monsieur Berlusconi n’est selon vous pas forcément une bonne nouvelle ?
M Berlusconi d’une certaine manière tenait la Ligue du Nord. Mario Monti aura-t-il l’autorité suffisante pour le faire ? Cela n’est pas sur. Nous pourrions bien avoir pour la première fois dans la zone euro dans la majorité au pouvoir un parti anti européen. Il pourrait y avoir la volonté de ne pas défendre l’euro quoi qu’il arrive.

Vous admettez que le risque que présente l’Italie réside dans la configuration politique qui pourrait se dessiner ?
Nous ne sommes pas assurés d’avoir une majorité qui serait prête à mettre en place les mesures d’austérité nécessaires pour remettre le pays sur de bons rails.

Comment expliquez-vous que la dégradation par Standard & Poor’s ait conduit à une baisse des taux américains et la simple crainte d’une dégradation de la note de l’Italie entraine une hausse importante des taux italiens ?

En premier lieu les investisseurs sont plus avisés sur la dette américaine que sur la dette italienne. De plus, les Etats-Unis comme le Royaume-Uni ont l’énorme avantage d’avoir un taux de change flexible. Il y a deux manières de faire perdre de la valeur à une dette : une augmentation des taux d’intérêt, une baisse de la valeur de la monnaie domestique.
Si nous avions été avant la zone euro, nos amis grecs auraient dévalué de 80%, et nos amis italiens auraient dévalué d’environ 40%. Ainsi les porteurs de la lire italienne se seraient retrouvés avec une perte de la valeur de leurs titres de dette par le fait d’une dévaluation de la monnaie.
Dès lors que la monnaie est bloquée, comme c’est le cas dans la zone euro, si les investisseurs veulent se débarrasser à tort ou à raison de la dette italienne, se produit automatiquement une hausse des taux.

La zone euro souffre d’un phénomène fondamental qui réside dans l’instauration d’un taux de change fixe entre des pays qui ne présentent pas la même situation compétitive et la même politique économique et budgétaire...

La zone euro a perdu la possibilité d’ajustement lorsqu’il y a une crise de change. Les conséquences sont alors bien plus graves que si l’on avait eu la possibilité d’une flexibilité des taux de change.
Nous sommes ainsi dans une confrontation manifeste entre une construction intellectuelle et une réalité économique que subissent les populations. On demande aux concitoyens d’accepter des sacrifices de plus en plus importants non pas parce que la situation économique l’imposerait dans l’absolue, mais pour sauver une idée. On a ainsi une lutte entre la vie et l’abstraction. Cela est très dangereux comme situation. Et je pense que cela ne peut pas bien se terminer.
Monsieur Papandréou a été contraint de lancer son idée de référendum pour éviter un dérapage dans la rue.
Pas sur que les italiens soient aussi conciliants que les grecs et qu’en cela ils soient prêts à faire des sacrifices importants avec le seul prétexte que les taux sont en train de monter sous la pression injustifiée des marchés et parce que l’Italie n’a pas les moyens de faire baisser la valeur de sa monnaie.

Ne pensez-vous pas qu'une sortie de l’Italie de la zone euro aurait des conséquences bien plus désastreuses qu’une résolution de la crise actuelle ?
Cette thèse serait valable sans doute pour la Grèce car le pays a peu de choses à exporter, ce qui n’est pas le cas de l’Italie. La dette libellée en euro devenant de la dette libellée en lire dépréciée, l’Italie gagnerait au change. Fiat deviendrait ainsi un gros exportateur de véhicules.
Les partenaires financiers et commerciaux de l’Italie auraient en revanche beaucoup à perdre.
Si l’on posait la question aux italiens : préférez vous sortir de la zone euro et subir une dévaluation ou vous serrer étroitement la ceinture, de toute évidence la réponse ne sera pas favorable à Angela Merkel et à Nicolas Sarkozy.

Une sortie de l’Italie n'entrainerait-elle pas une flambée de son taux obligataire ?
Je pense exactement l’inverse parce que l’expérience l’a montrée avec la Corée. En 1997, l’attaque des spéculateurs a conduit à une cassure du lien entre le won coréen et le dollar américain. Le won a dévalué de manière extrêmement forte. Les taux d’intérêt coréens ont significativement baissé. Pour les spéculateurs, la dette coréenne devenait une manière inouïe de jouer la remontée de la monnaie. Une dévaluation est toujours trop forte au départ. Les investisseurs se sont rués sur les titres de dette coréenne pour à la fois jouer le rendement obligataire et l’appréciation du won et ont gagné gros.

L’Italie pourrait donc a priori, si la situation venait à s’envenimer, sortir aisément de la zone euro ?

L’Italie ne pourrait pas sortir de la zone euro si elle tenait farouchement à maintenir la valeur de sa monnaie. Si l’Italie laisse s’effondrer la parité, la lire dévaluerait de manière colossale, et il deviendrait très intéressant d’acheter de la dette italienne.

Finalement quelle suite des évènements imaginez-vous pour l’Italie ?

Aucune. On ne peut tabler sur un dénouement raisonnable dans un environnement dominé par la passion. Cette crise aura des issues, mais elle n’a pas de solution satisfaisante dans laquelle les italiens seraient heureux, les banques européennes ne perdraient pas d’argent, et tout le monde repartirait en sifflotant que tout va très bien.
Ce qui est certain, c’est que rien n’est jamais démentiel.

La zone euro est-elle compromise ?

Cette construction ne peut plus fonctionner en l’état parce que l’on n’a pas appliqué les règles du jeu. C’est comme si on avait fait un souffle et qu’on avait oublié de mettre de la farine. Il ne faut pas s’étonner si quelques heures après, le souffle ne monte pas.
Nous devions avoir avec l’euro des équilibres budgétaires, des sanctions…n’importe quoi a été fait pendant 12 ans. Les différences de productivité et de compétitivité se sont largement creusées. Il ne faut pas s’étonner du résultat.

Est-il trop tard ?
Il faut revoir la mécanique qui est arrivée en bout de course. Dans beaucoup de pays, on a distribué de faux droits, ce que l’on appelle des avantages acquis. Ces avantages n’ont pas été acquis mais empruntés. Les prêteurs réclament a présent que ces avantages leur soient rendus. De deux choses l’une, soit il y a une dévaluation et les avantages sont remboursés avec une perte de capital substantielle, soit il n’y a pas dévaluation et alors les avantages doivent être remboursés en totalité. Dans la zone euro, il ne peut pas y avoir dévaluation. Les concitoyens européens doivent alors non seulement abandonner les acquis sur lesquels ils avaient l’habitude de vivre (retraite, médecine gratuite...) mais également rembourser ces acquis empruntés par le passé. C’est impossible dans une démocratie d’espérer cela.
Penser que les populations vont accepter l’extraordinaire cure d’amaigrissement qu’on leur impose pour sauver l’euro n’est pas concevable. Il va falloir payer l’irresponsabilité des politiques et des concitoyens qui demandaient toujours plus.

Deux autres observations concernant l’intervention de la Banque centrale européenne et le Fonds européen de stabilité financière ?

Derrière ces deux instruments, il y a la théorie du prêteur en dernier recours. Ce préteur dans la zone euro est l’Allemagne qui ne veut pas payer pour tous les autres, notamment pour les mauvais élèves et qui de toute façon quand bien même elle le voudrait ne le pourrait pas sous peine de voir ses taux à son tour fortement progresser.
La BCE et le FESF sont des rustines sur un pneu crevé ou de l’aspirine administre à une personne à qui on vient de couper la jambe. Ces instruments permettent certes de gagner du temps mais n’ont pas vocation à résoudre la crise en elle-même. Il faut une véritable chirurgie. La Chine l’a dernièrement explicitement indiqué. Les Etats européens doivent cesser de vivre sous le régime de l’Etat providence et les européens doivent comprendre qu’ils sont obligés de travailler et d’arrêter de vivre de subventions.
Il faut que la BCE et le FESF permettent aux Etats de simplement étaler leurs réformes sur plusieurs années, non de les abandonner et de retourner dans les ornières du passé.

Croyez-vous un quantitive easing de la BCE possible ?
Je ne suis pas un adversaire a priori des quantitative easings menées par les banques centrales. La Fed a eu raison de le mener parce qu’elle avait à faire face à un problème d’ordre conjoncturel- diminution des crédits bancaires consécutive à la crise- et non structurel. Dans la zone euro, nous devons faire face à un problème structurel. Le jeu de la BCE est compliqué. Il faut à la fois soulager de la pression forte des marchés tout en maintenant une contrainte suffisante pour pousser les Etats à faire des efforts. Le risque que les gouvernements repoussent la douleur de l’échéance n’est pas nulle lorsqu’on leur donne une petite bouffée d’oxygène.
Même si ce QE devait avoir lieu, il réussirait à calmer le marché pendant quelques jours, mais pas de manière durable.

Que pensez-vous de la contribution des pays émergents et notamment de la Chine au FESF dans sa nouvelle forme ?
Il n’y a pas de contradiction avait ce qui était fait auparavant. Que la Chine achète des obligations européennes directement ou qu’elle le fasse en abondant le FESF, il n’y a pas de grande différence. La Chine a tout intérêt à ce que la zone euro tienne auquel cas la pression sur la réévaluation du reminbi risque d’augmenter.

Propos recueillis par Imen Hazgui