Interview de Philippe Mimran : Directeur de gestion de La Francaise AM

Philippe Mimran

Directeur de gestion de La Francaise AM

La perte d'un triple A de la France rendrait caduque le plan européen

Publié le 22 Novembre 2011

De quelle manière avez-vous accueilli la mise en garde de Moody’s concernant la dette de la France lundi?
J'ai l'impression que Moody’s est en train de préannoncer la dégradation de la notation de la France. Cette précaution se justifie pour deux raisons. D'une part les agences de notation ont été beaucoup critiquées dans la gestion de leurs annonces de dégradation, notamment dans le cas de la Grèce. Par ailleurs, la France est un pays important. Une éventuelle dégradation de l'hexagone remettrait certainement en cause les plans signés entre les différents pays de la zone euro. Si la France n'est plus triple A, le FESF risque de ne plus l’être et il aura alors encore plus de difficultés à lever des fonds.

Vous pensez alors que les jeux sont faits?
Rien n’est jamais certain, mais je crains que ce soit le cas.

Quel regard portez-vous sur les annonces de l'Agence France Trésor. Le taux obligataire moyen de la France sur les 11 premiers mois de l’année 2011 est de 2,78%. Nous sommes loin du taux obligataire moyen pour la période 97-2007 estimé à 4,15%?
Je pense que les réponses apportées ne répondent pas tout à fait aux remarques de Moody’s. La configuration n'est pas la même que par le passé, pendant la période 97-2007 la croissance était plus forte qu’aujourd’hui. Pour Moody’s ce sont l'augmentation du taux obligataire et la faible perspective de croissance qui fragilisent grandement la situation de la France, à un moment où le niveau de dette a grandement monté. Enfin, c'est surtout la dynamique qui est inquiétante.

Le ministre François Baroin a tenu à rassurer de son coté en déclarant que les mesures d’austérité n’auront pas d’impact sur la croissance française…
Je ne pense pas que Moody’s ait spécifiquement pointé du doigt l'impact des mesures d'austérité. Et certaines, comme l’avancée de la réforme des retraites, ne sont pas particulièrement récessives.
Mais, même sans ces mesures les perspectives de croissance sont relativement faibles, car la France ne s'inscrit pas dans un environnement isolé. Elle subit le serrage de vis d'une partie importante de ses partenaires commerciaux.

A quelle évolution du spread Bund-OAT vous attendez-vous?
Ce spread devrait continuer à être volatil. On ne peut exclure que le taux obligataire français atteigne les 4% d'ici la fin de l'année.
Beaucoup d'investisseurs institutionnels, en particulier des banques, sont amenés à vendre leurs obligations OAT pour réduire leur bilan et faire face à leurs besoins en fonds propres.
En cela je ne peux pas m’empêcher de faire le parallèle avec le cas de l'Italie. Les attaques contre les titres d'Etat italiens ont commencé environ au niveau de spread auquel se situe la France aujourd’hui. La France n’est certes pas l’Italie, mais il n'est pas impossible que la même tendance se dessine.

Pour beaucoup d’experts, on assisterait à une normalisation des spreads des Etats membres de la zone euro en fonction de leurs fondamentaux économiques. Qu’en pensez-vous ?
Ce qu’ils appellent normalisation des spreads est un retour à la situation pré zone euro, je l'appellerai plutôt échec de la construction de l'Union Monétaire. L'objectif même de créer une zone de monnaie unique c'est d'aboutir a une certaine convergence des pays qui composent cette zone. L’absence de convergence s’explique certes par l’absence de solidarité budgétaire, mais aussi et surtout par l’absence de convergence des économies.
La création de la zone euro a nécessité de la part des Etats membres un abandon d’une partie de leur souveraineté. Aucun Etat de la zone euro n’a plus de banque centrale de type Fed ou Banque d’Angleterre qui lui rachète ses emprunts d’Etat le jour où il en a besoin. Cette souveraineté n’a pas été transmise puisque la BCE s’interdit d’exercer ce pouvoir.

A ce sujet, avez-vous l’espoir que la BCE finira pas s’acheminer vers un quatitative easing ?
Je pense qu’une telle intervention découlera d’une pure décision politique qui se prendra à Berlin. Aujourd’hui nous ne sommes pas dans une zone euro de 17 Etats décideurs à égalité, mais d’une zone euro avec un Etat prééminent, l’Allemagne. Le sort de l’euro dépend de la position du Bundestag.

Pensez-vous que le fléchissement de la position du Bundestag dépendra du seuil de douleur ?
Je pense effectivement qu’à un moment donné l’Allemagne fera le calcul de ce que lui coûte une sortie de la zone euro et de ce que lui coûte un maintien dans la zone. On peut imaginer que ce calcul a déjà été fait et qu’ainsi ayant fait des projections quant à une sortie éventuelle, Berlin cherche à limiter au maximum le prix à payer pour rester dans l’Union Monétaire.

A ce jour, il est impossible d’envisager la suite des évènements ?

Je pense que nous sommes toujours dans une phase où les allemands font pression pour obtenir le maximum dans la politique d’austérité menée par les Etats et d’engagements budgétaires sur le long terme en échange d’une avancée dans la mutualisation de la dette.

Iriez-vous jusque là ?

S’il ne se passe rien, un tel dénouement n’est pas inenvisageable. J’ai du mal à imaginer que l’on puisse continuer de cette manière sans explosion ou sans solidarité.

Avez-vous une préférence entre quantitative easing de la BCE et euro obligations ?
La solution la plus immédiate et la plus efficace serait un quantitative easing de la BCE. Si l’institution monétaire venait à déclarer qu’elle était prête à acheter des titres d’Etats pour une quantité illimitée et pour une durée indéterminée, cela aurait vraisemblablement un effet très rapide.

Peut-on penser pour qu’une telle décision soit prise qu’il faille que le taux obligataire français atteigne les 7% ?
Il faudrait qu’il n’y ait plus qu’un seul pays qui puisse se financer dans des conditions confortables, l’Allemagne. Il sera alors impératif de faire un choix.

Certains analystes s’inquiètent de la répercussion du spread OAT-Bund sur les spreads des financières. L’idée étant que si les banques devaient faire face à un coût plus important de refinancement sur les marchés, elles n’hésiteraient pas à le répercuter sur le financement de l’économie ce qui pénaliserait davantage la croissance ?
C’est le problème principal auquel on est confronté. L’augmentation des taux d’emprunt de certains Etats qui s’accompagne d’un assèchement de la liquidité bancaire amène les banques à réduire leur bilan, à vendre leurs actifs, et à durcir leurs conditions de crédit. Bien plus que les mesures d’austérités prises par le gouvernement français, la contraction du robinet du crédit aura un impact récessif.

Quelle est votre politique d’investissement sur les OAT ?
Nous sommes sous pondérés depuis un moment. Nous envisageons de maintenir ce cap prudent dans l’immédiat. Le risque reste important. Nous n’avons pas atteint un niveau de taux tel qu’il serait très privatif de ne pas en avoir.

Propos recueillis par Imen Hazgui