Interview de Benjamin Louvet : Associé gérant chez Prim'Finance

Benjamin Louvet

Associé gérant chez Prim'Finance

Pétrole : nous devrions rapidement être fixés sur l'impact de la situation iranienne

Publié le 23 Décembre 2011

Que pouvez-vous nous dire concernant les fondamentaux économiques sur lesquels repose le prix du pétrole à ce jour ?
Le contexte est beaucoup plus difficile au niveau de la production.
La demande malgré la situation économique dans laquelle nous sommes continue d’augmenter tous les ans. En 2012 à moins d’avoir un ralentissement marqué de la consommation en Chine, malgré l’essoufflement de la demande en Europe et aux Etats-Unis, nous aurons une hausse de la demande de pétrole dans le monde.

Le bon maintien du cours des prix du brent s’explique notamment par un certain nombre d’incidents que nous avons eu sur les plateformes de la mer du nord...
Effectivement, la production sur ces plateformes est relativement faible. Dès lors le moindre arrêt non prévu pour maintenance sur l’une de ces plateformes peut immédiatement avoir un impact important sur le marché du pétrole. Par ailleurs, les tensions sur le marché libyen ont alimenté la demande pour ce pétrole et contribué à un maintien du prix du brent élevé tout au long de l’année.

Sur le marché physique, certaines anomalies ont été observées...
Un certain nombre de pétrole de moins bonne qualité ont couté plus cher sur le marché physique que des pétroles de meilleure qualité. Le pétrole de l’Oural, par exemple qui est un pétrole russe, coute habituellement moins cher que le pétrole brent de 4 à 5 dollars le baril. Depuis sept semaines, ce pétrole vaut sur le marché physique 50 centimes de plus que le baril de pétrole brent.

De quelle manière considérez-vous le besoin en investissements dans le secteur? 
Le pétrole reste un des acteurs majeurs du mixe énergétique aujourd’hui. Dans le rapport de l’Agence américaine à l’énergie, il faudrait d’ici 2035 trouver quatre fois la production de l’Arabie Saoudite.
L’essentiel de la hausse de l’offre ne pourra provenir que des pays de l’OPEP, Moyen Orient et Nord de l’Afrique.
Il faudra alors que des majors américaines ou européennes investissent dans ces pays. Ceci suppose une certaine stabilité politique. Cette stabilité n’est pas du tout assurée ni en Lybie, ni en Iran. Par ailleurs, il serait nécessaire d’avoir une hausse du prix du pétrole dans ces pays qui rende attractive la réalisation des investissements. Or dominent dans ces pays des prix alimentaires importés. Il y a une relation directe entre le prix de l’alimentation importé et le prix du pétrole. Qui dit hausse du prix du pétrole, dit hausse du prix de l’alimentation, et dit montée des risques sociaux, avec accentuation de l’instabilité à la clé, et baisse de l’intérêt à procéder à des investissements. Nous sommes ainsi dans un cercle vicieux.

La prime géopolitique est très importante à l'heure actuelle…

Le printemps arabe a eu des répercussions indiscutables sur le marché du pétrole. Pour éviter l’impact du printemps arabe sur les économies, un certain nombre de pays ont décidé d’injecter des sommes importantes pour financer des mesures sociales. L’Arabie Saoudite a ainsi injecté 35 milliards de dollars pour contenter la population et acheter la paix. Cela représente 20% de son budget annuel qui est de 190 milliards de dollars. Cela nécessite pour ces pays un maintien du prix du baril élevé.

Quel regard portez-vous sur le risque iranien ?
Ce risque s’est concrétisé par un certain nombre de faits avérés : des photos montrant des bases iraniennes détruites, des étudiants iraniens qui envahissent l’ambassade d’Angleterre à Téhéran, des iraniens qui annoncent avoir détruit un drone américain, des américains qui nient avoir perdu un drone et qui une semaine plus tard demandent à ce que ce drone leur soit rendu… enfin des iraniens qui indiquent avoir l’intention d’ici quelques temps de faire un exercice militaire dans le détroit d’Ormouz pour montrer leur capacité à fermer le détroit.
L’escalade des tensions dans la zone ne doit pas être négligée. Nous devrions assez rapidement être fixés sur l’évolution de la situation. La météo de cette région et le cycle de consommation de pétrole de l’hémisphère nord montrent que la meilleure période pour envisager une attaque sur l’Iran est le premier trimestre 2012. D’ici là soit nous aurons commencé à mettre des menaces à exécution, et nous pourrons prévoir une intervention des occidentaux en Iran, soit ce n’est pas le cas et le risque s’éloignera progressivement.

Considérer que l’on va continuer à payer un prix du pétrole peu cher est une illusion de l’esprit...
Les autorités publiques ont clairement le choix entre deux alternatives : une hausse des prix décidée et maitrisée ou une hausse des prix subie et qui finira par avoir des répercussions considérables sur le pouvoir d’achat des populations.

Parallèlement au prix du  pétrole, comment voyez-vous évoluer le prix du gaz ?
Nous avons eu une explosion des réserves de gaz du fait du développement de la technique du gaz de schiste. Le cout de stockage du gaz a fortement progressé en conséquence. Porter une position sur le gaz pour financer coute très cher.
Le prix du gaz devrait rester déprimé un moment. Cependant, cette dépression devrait prendre fin consécutivement à la montée du prix du pétrole. Des effets de substitution sont effectivement possibles dans le domaine du chauffage ou de la climatisation.

De nombreux éléments ont conduit à un choc d’offre au niveau du cuivre cette année ? 
Des grèves importantes ont eu lieu dans des mines essentielles en Indonésie et au Chili, notamment dans la mine de Grasberg qui représente à elle seule plusieurs pourcentages de la production de cuivre. Dans cette dernière mine, qui est la deuxième plus grande mine du monde, les salariés sont en grève depuis deux mois.
Par ailleurs, il y a une tendance à confondre s’agissant du cuivre la demande et la consommation. La demande est en cela bien plus significative.
Le coût de l’argent est relativement faible aujourd’hui, certains taux d’intérêt réels sont négatifs. De ce fait, de nombreux agents achètent des métaux pour les stocker afin de les porter et d’encaisser la structure du prix à terme.
Autrement dit, ces agents contractent des prêts, font du stockage à faible cout et revendent à terme à un prix plus élevé ce qui leur permet d'encaisser un différentiel non négligeable.
Ce comportement s’est notamment beaucoup développé en Chine.

Un des éléments phares à considérer du coté du potentiel d’investissement dans l’or réside dans l’évolution des taux d’intérêt réels américains…
On s’aperçoit que la corrélation entre le cours de l’or et le niveau du taux d’intérêt réel aux Etats-Unis sur deux ans est étroite. Plus le taux réel baisse, plus le cours de l’or monte.

Si un quantitative easing devait avoir lieu aux Etats-Unis, cela serait clairement favorable à la progression du cours de l'or. Nous
devrions le savoir assez rapidement. Le pays entrant en période électorale, si la Fed souhaite intervenir, elle le fera avant la fin du premier trimestre.

Les fondamentaux de la demande sont très positifs aujourd’hui sur l’or à
deux niveaux...

Les banques centrales vendaient jusqu’en 2008 environ 500 tonnes d’or par an, ce qui représentait 10% de l’offre globale du marché. En 2010, ces banques centrales sont passées acheteuses nettes en or. Cette année, à la fin du troisième trimestre, elles avaient acheté 360 tonnes. C’est un record absolu. Jusque là le plus gros niveau d’achat d’or par les banques centrales avait été atteint en 1981 et était de 279 tonnes. On pense qu’elles finiront l’année en en ayant acheté 450 à 500 tonnes. Là où elles représentaient 10% de l’offre, elles vont représenter cette 10% de la demande.

Nous avons une demande d’investissement qui ne cesse d’augmenter, en particulier en Chine où la demande de l’or pour l’investissement a augmenté de 33% au troisième trimestre.
Cette demande devrait se poursuivre. Des autorités favorisent l’accès à l’or en développant de nouvelles plateformes. Le World gold Council, et la poste indienne ont signé un partenariat pour proposer de l’or dans 90 000 bureaux de poste en Inde.
En Chine, une plateforme pour traiter l’or est en train de se mettre en place pour permettre aux clients chinois particuliers d’acheter de l’or en quelques clics d’ordinateur. L’Agricultural China Bank, 4ème banque chinoise, 300 millions de clients particuliers, a indiqué son intention de se connecter à cette plateforme.
Ainsi les répercussions de cette nouvelles peuvent être considérables.

La demande indienne qui a baissé n’est qu’une baisse temporaire...
La roupie indienne a perdu environ 25% depuis aout face au dollar. Le cout de l’or pour les indiens n’a pas baissé. Le cours du métal était à son plus haut historique début décembre. Les indiens ont alors eu tendance à freiner leurs achats.
La consommation de base est cependant significative. Ainsi, on devrait voir un retour sur le marché dès l’année prochaine.

Il y a lieu de préférer l’or face à l’argent ?
Le marché de l’argent est plus étroit et plus travaillé par les hedge funds.
Les banques centrales sont absentes du marché de l’argent. Elles ne constituent pas un facteur supplémentaire à la demande.
L’argent pourrait avoir un comportement différent de l’or en cas de crise grave dans la mesure où 50% de l’utilisation de l’argent est industrielle à l’opposé de l’or pour qui cette utilisation industrielle n’est que résiduelle, soit 15%.

Les valeurs aurifères ne sont pas un substitut de l’or physique...
Une étude réalisée par Crédit Suisse fait ressortir qu’une action du domaine des matières premières n’a pas son cours rythmé uniquement par l’évolution du cours de la matière première.
Ce qui détermine le cours de l’action c’est 40% du risque actions pure(propre à la valeur, risque lié au management par exemple), 20% du risque systémique actions (tendance de fond du marché actions), et 40% de la variation du prix de la matière première.

Ainsi nous pourrions tout à fait nous retrouver dans une dépression économique sévère, avec un cours de l’or en ascension et des cours des valeurs aurifères en correction.

Propos recueillis par Imen Hazgui