Interview de Dominique Barbet : Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

Dominique Barbet

Responsable de la recherche économique de marché chez BNP Paribas

Je suis sceptique sur la volonté des banques de se porter acquéreur des titres de dette des Etats européens

Publié le 29 Décembre 2011

Quel regard portez-vous sur l’évolution du compartiment obligataire européen en 2011 ?
La volatilité a été conséquente tout au long de l’année 2011, également sur l’éonia. Il s’est tantôt rapproché du taux de refi, et tantôt du taux de dépôt. Il s’est tantôt comporté dans une situation d’excès de liquidité et tantôt dans une situation de retour à la normale.

On remarque une bien meilleure performance des obligations internationale versus les obligations européennes…
Que les obligations internationales aient fait mieux que les obligations européennes n’est pas très surprenant compte tenu de la crise de la dette qui a fait rage dans la zone euro.

Si l’on se replace au 1er janvier 2011, les résultats de cette fin d’année  sont ils conformes à vos prévisions ?
Les résultats ne sont certainement pas conformes aux prévisions faites en début d’année 2011. Nous étions en janvier dans une situation de reprise mondiale dont on pensait qu’elle serait durable. D’ailleurs, la BCE a été amenée à remonter le taux directeur.
Progressivement au cours de l’année, on s’est aperçu que le scénario de la reprise ne se concrétisait pas. Dans le cas de l’Europe, le panorama économique s’est même totalement inversé. Personne ne s’attendait à ce que la crise grecque se propage dans de pareilles dimensions. Nous nous attendions compte tenues des mesures d’austérité devant être adoptées que la péninsule hellénique se retrouverait en récession et qu’elle ne serait pas en mesure de respecter ses objectifs. Nous n’imaginions pas en revanche une telle accentuation de la crise financière.
Il y avait certes des craintes de contagion à l’Italie et à l’Espagne.
Néanmoins, cela ne constituait pas le scénario le plus probable, tout du moins pas dans la proportion que l’on a observée.

Que vous inspire la performance du Bund allemand à +3% et du BTP italien à
-5% ?

La performance du Bund n’est pas très étonnante en soit. Cela a toujours été une valeur refuge. Ce qui a été plus surprenant c’est la brutalité de la dégradation de la situation italienne.
La différence de perception des investisseurs entre ces deux pays est plus importante que la différence qui existe entre les fondamentaux économiques de l’Italie et de l’Allemagne.
Su le plan du déficit budgétaire, les deux pays ne sont pas si éloignés l’un de l’autre. Au niveau de la dette, il y a moins de dissemblance entre l’Italie et de l’Allemagne qu’entre l’Espagne et l’Allemagne.

Comment voyez-vous l’année 2012 ?

L’année 2012 sera bien entendu pour l’Europe éminemment politique. Sur le terrain économique, le Vieux continent devrait connaitre une année morose.
En cette fin d’année 2011, un relatif resserrement se dessine au niveau des spreads des Etats. Nous devrions continuer à avoir beaucoup de volatilité en début d’année prochaine. En fin d’année 2012, les spreads de l’Italie et de l’Espagne ne peuvent que se réduire. A l’heure actuelle les rendements des obligations de ces deux pays se situent à des niveaux intenables. Il n’est pas possible de continuer à émettre à ces niveaux de rendement sans compromettre sérieusement l’avenir des finances publiques.

Peut-on mentionner un chiffre d’équilibre pour le rendement des obligations
de ces deux pays pour leur permettre d’assurer le refinancement de leur
économie sans grandes difficultés ?

Non, je ne dirai pas qu’il existe un niveau prédéterminé d’équilibre. Cela
dépend de beaucoup de facteurs.
Si le taux à long terme est trop élevé, les pays peuvent essayer de contourner le problème en empruntant à plus court terme. Mais dans ce cas, cela supposera de devoir retourner sur les marchés plus fréquemment. Cela ne devrait pas être un souci majeur dans l’absolu. On remarque que même la
Grèce parvient à lever des titres sur le court terme. Des investisseurs
domestiques sont enclins à se porter acquéreurs de ces titres. Souvent, ces
investisseurs sont plus ou moins contrôlés ou influencés par les pouvoirs
publics.

La charge correspondant au niveau élevé des taux dépend également des  remboursements. Ces remboursements excèdent largement le déficit. Pour ce
qui est de l’Italie, qui a d’importantes échéances en février à rembourser, elle va devoir émettre un volume important de titres. Cela peut s’avérer très pénalisant.

La crise a eu pour conséquence la conduite d’une politique monétaire inversé par rapport à ce qu’elle devrait être…
Les pays qui ont une croissance plus forte sont les pays qui ont les taux d’intérêt les plus bas et la politique budgétaire la moins restrictive. A l’inverse les pays en récession sont ceux qui souffrent des taux d’intérêt les plus élevés et de politique budgétaire plus restrictive.

Ce problème de nature structurelle pourrait bien persister encore très longtemps et constitue une véritable préoccupation sur la manière dont est conçue la zone euro. Non seulement on ne tient pas compte des forces centrifuges, mais la politique monétaire unique qui devrait être une force centripète, s'avère être un facteur centrifuge supplémentaire.

Quels seront les éléments qui permettront d’apaiser les tensions sur les
taux de rendement obligataire ? L’opération de refinancement à long terme
des banques lancée par la BCE ?

L’opération de trois ans qui a donné lieu à un prêt global de 489 milliards d’euros correspond à un horizon de maturité sur lequel les banques ont d’énormes difficultés à trouver du refinancement. Cette opération vient en quelque sorte se substituer à un marché obligataire ou des notes à moyen terme qui n’est pas en mesure de fournir les ressources suffisantes au système bancaire.

Peut-on escompter un retour des banques plus important sur les obligations
souveraines à l’issue de l’opération de refinancement du 29 février ?

Je suis sceptique sur la volonté des banques de se porter acquéreur des titres de dette. Elles sont confrontées à des contraintes réglementaires rigoureuses. Il leur est beaucoup plus difficile de faire du portage de titres à long terme. Les positions qu’elles pourraient prendre devront être évaluées en mark to market, ce qui peut créer une forte volatilité dans les résultats des banques. Par ailleurs, ces positions devront consommer du capital à un moment où les exigences sont plus fortes en  matière de ratio de fonds propres. Une acquisition plus massive des titres d’Etat, couteuse et risquée, ne sera en cela pas une priorité pour les banques.

Le FESF, le FMI seront-ils des éléments en mesure d’apporter une accalmie ?
Je ne mets pas de grands espoirs dans ce FESF. Les premiers emprunts de la structure ont été émis à un taux bund +50 bp. La valorisation de ces titres sur le marché secondaire est montée à bund +150 bp. Le problème est que ces titres ne sont pas des euro obligations. Les investisseurs ne sont pas convaincus sur l’intérêt de ces titres émis. Ils n’ont pas de certitude sur la qualité de la signature à moyen terme.

Le FMI peut être un des éléments de soutien à la situation.

Ce qui vaut pour le FESF vaut aussi pour le MES ?
Pas forcément. Le MES est destiné à avoir des ressources pérennes. Il s’agit d’un instrument plus préventif. Il faudra analyser les contours de ce mécanisme qui seront définis pour savoir exactement quel pourrait être sa portée. Il devrait s’avérer plus cohérent et plus crédible.

Selon vous, ce qui pourrait véritablement changer la donner et calmer le jeu c’est un intervention plus massive de la BCE ?
Le big bazooka, comme le nomme les anglais, réside bel et bien dans la BCE
par le biais du SMP mais avec une philosophie différente. Aujourd’hui ce SMP est une sorte de filet de protection destiné à limiter la casse. Il faudrait qu’il devienne un véritable tremplin pour relancer les marchés financiers et l’économie de la zone euro.

De quelle manière ?
La BCE devrait annoncer une intervention massive et durable. Il n’est pas
nécessaire de mentionner comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, un montant
précis.
C'est la détermination qui compte; à preuve, dans ces deux pays quand la banque centrale est arrivée au terme de son programme d’achat, s’en est suivi une tranche supplémentaire du programme.
Cette intervention ne se fera pas sans condition. La BCE voudra s’assurer de la bonne gestion des finances publiques des Etats concernés. De ce point de vue le nouveau traité en discussion est un élément crucial. Il permettra de crédibiliser la politique fiscale des membres de la zone euro sur le long terme. C’est en avançant là-dessus, et en obtenant des garanties sur ce point que la BCE agira plus amplement en vue d’une normalisation des conditions de refinancement des Etats et de la stabilisation de la valeur des portefeuilles obligataires.

Un accord vous semble-t-il plausible pour le mois de mars ?
Cela parait un horizon raisonnable.

Il n’est pas exclu selon vous que le taux nominal du bund allemand baisse
l’année prochaine ?

Si on a un ralentissement économique généralisé en zone euro et une politique monétaire plus agressive de la BCE, nous pourrions avoir un taux nominal allemand plus faible.

Vous attendez-vous à la poursuite de la surperformance des obligations
américaines ?

Non. Après un passage à vide, l’économie américaine semble repartir. La perspective d’avoir un QE3 s’éloigne. Nous aurons très certainement une hausse des rendements des obligations américaines. Ils pourraient aller jusqu’à 3% pour le taux à dix ans.

Propos recueillis par Imen Hazgui