Interview de Fabrice Cousté : Directeur Général de CMC Markets France

Fabrice Cousté

Directeur Général de CMC Markets France

Nous sommes dans un contexte préélectoral, où il est donc de bon ton de venir taper sur les méchants financiers spéculateurs responsables de la crise

Publié le 16 Janvier 2012

On parle de taxe Tobin et de taxe sur les transactions financières, quelle est la différence ?
La taxe Tobin est une taxe sur l'ensemble des transactions financières sur n'importe quel instrument financier [les actions, les obligations, les matières premières, le Forex et les produits dérivés]. A l'origine toutefois, James Tobin avait imaginé une micro taxe de quelques points de base et devant être appliquée sur des dizaines de millions de transactions sur les devises dans un système de taux de changes fixe. Or lorsque les taux de changes sont devenus flottants, James Tobin lui-même a récusé cette taxe dont l'intérêt n'avait plus lieu d'être.

Cela étant, le nom de cette taxe sur les transactions financières est finalement resté.

Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il lancé cette idée de taxe ?
Nous sommes dans un contexte préélectoral, où il est donc de bon ton de venir taper sur les «méchants financiers spéculateurs» responsables de la crise. Dès lors, remettre au goût du jour cette taxe sur les transactions financières apparait davantage comme un coup politique.

D'autant qu'économiquement, cette mesure est très contestable, en particulier si vous êtes isolé et tout seul à la proposer. En effet, nous savons aujourd'hui que cette mesure aurait deux écueils majeurs: d'abord, si par exemple vous renchérissez le coût des obligations par une nouvelle taxe, le risque est immense de voir fuir les investisseurs internationaux vers des produits moins taxés comme les Bunds allemands. D’autant qu’actuellement nous ne sommes pas sûrs de pouvoir lever l’ensemble de l'argent dont nous avons besoin sur les marchés dans les meilleures conditions.

Ensuite, si vous taxez les transactions financières sur tous les produits boursiers, les salles de marché iront se délocaliser rapidement dans d'autres centres financiers névralgiques comme Londres, Singapour ou New York. Donc in fine, cette taxe appauvrirait la place de Paris qui perdrait en compétitivité...

Les Allemands ont déjà refusé cette taxe, laquelle est d'ailleurs en train d'être détricotée. A terme, nous devrions donc parvenir à quelque chose qui devrait ressembler très fortement à l'impôt de bourse supprimé par Christine Lagarde en 2007 et qui touchera principalement non pas les financiers, les hedge funds ou les investisseurs institutionnels, mais les "boursicoteurs" qui sont déjà très déprimés...

Cette mesure reste toutefois une bonne idée dans son principe, puisqu'elle permettrait, rien qu'au niveau européen, de récolter près de 55 milliards d'euros, mais cela ne peut être envisageable en pratique que si ce sont tous les pays du G20 qui ratifient et appliquent cette taxe.

Au total, les marchés financiers, comme n'importe quel particulier, ont besoin de clarté et de visibilité, or en faisant ce genre d'annonce à l'emporte-pièce, les politiciens remettent de la tension et obscurcissent l'horizon fiscal ce qui est bien la dernière chose à faire actuellement...

Son application au niveau mondial parait impossible...
Si on fait le parallèle avec d'autres sujets comme le protocole de Kyoto, on voit que même parmi les pays l'ayant ratifié, il y en à certains qui ne l'ont pas encore appliqué chez eux... Autrement dit, ces grands accords internationaux sont très difficiles à mettre en œuvre. Mais une vraie taxe Tobin ne sera possible que si tous les grands acteurs économiques sont d'accord. Or on sait bien que les Etats de tradition anglo-saxonne, Etats-Unis et Grande Bretagne en tête, seront hostiles jusqu'au dernier moment à ce genre de taxation, parce qu'une bonne partie de leur économie reste surpondérée par le secteur banque, finance et assurance à hauteur de 32% en Angleterre et de 33% pour les Etats-Unis (Source OCDE).

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