Interview de Alexandra  Estiot : Economiste spécialisée sur les Etats-Unis chez BNP Paribas

Alexandra Estiot

Economiste spécialisée sur les Etats-Unis chez BNP Paribas

Etats-Unis ; il n'y a pas de crainte à avoir du côté de l'inflation

Publié le 20 Mars 2012

Selon vous une troisième vague d’assouplissement quantitatif de la Fed est possible, mais pas certaine…
Dans le doute, la Fed préférera faire plus d’assouplissement que moins. Le taux de chômage demeure élevé, à 8,3% contre un taux d’équilibre compris entre 5,2% et 6% selon les estimations de la banque centrale. Nous sommes encore dans une zone d’inconfort.

Ensuite, nous sortons d’une crise très violente, la plus importante depuis 1929 qui a conduit à une modification en profondeur de l’économie américaine et à un grand traumatisme aussi bien de la population que des responsables politiques.

La prudence sera d’autant plus de rigueur, qu’au début de l’année 2010, la Fed avait entrevu des signaux positifs et était partie de l’idée qu’elle allait pouvoir normaliser sa politique monétaire.
Au final, la reprise a calé et l’institution a du reprendre un discours plus activiste.

Les chiffres sur l’emploi seront déterminants…

La Fed attendra de voir des chiffres de créations d’emplois aussi élevés que lors des trois derniers mois sur une période prolongée avant d’affirmer qu’elle ne poursuivra pas sa politique d’assouplissement quantitatif.
Le rythme de création d’emplois semble pour le moment suffisant pour abaisser le taux de chômage.
Néanmoins si nous avions deux mois consécutifs de création d’emplois autour de 100 000, cela inciterait la Fed à tirer la sonnette d’alarme.

Quelle probabilité donneriez-vous aujourd’hui à la concrétisation d’un scénario de QE3 ?
Il est difficile de répondre à cette question mais je dirais qu’elle se situe en dessous de 50%. Il y a de nombreux éléments à prendre en compte.
Les indicateurs annoncent une reprise économique réelle aux Etats-Unis. Nous avons donc tendance à penser qu’il n’y a pas besoin d’un QE3. Elle ne serait pas utile en l’état.

Son efficacité pourrait par ailleurs être limitée, les conditions d’octroi de crédits hypothécaires restent difficiles, en termes de revenu minimum, d’apport personnel... Nous ne faisons pas uniquement face à une problématique de faible demande de crédit. Ceci étant, ce n’est pas non plus une problématique de credit crunch stricto sensu. Dès lors, la politique monétaire est relativement impuissante.

Pour Nomura et Goldman Sachs la probabilité que ce QE3 ait lieu est bien plus importante. Les analystes de Nomura avancent une injection éventuelle de la Fed de 500 milliards de dollars, par le rachat de 400 milliards de titres de crédits hypothécaires (des MBS) et de 100 milliards d’obligations du Trésor. Pour atténuer le risque d’inflation, il y aurait stérilisation de l’argent injecté par des dépôts à terme, des opérations de reverse repo ou encore le prolongement de l’opération Twist actuellement en œuvre (vente de titres courts remplacés par l’achat de titres longs). Qu’en pensez-vous ?
Faire du quantitative easing stérilisé, n'est pas du quantitative easing. Dès lors, la portée sur l’économie réelle serait limitée.
Il faudrait soit détendre les conditions d’octroi de crédit aux ménages, soit améliorer la "note de crédit" des ménages. La Fed n’est pas dans la capacité d’agir là-dessus.
Seules des créations d’emplois, une augmentation des prix de l’immobilier amélioreraient leur solvabilité.

La Fed reste donc en alerte et réagira au moindre signe de retournement. Quel est le principal risque auquel est confrontée l’économie américaine à ce jour ?
De toute évidence, le prix du pétrole qui est reparti à la hausse et qui affecte le revenu disponible des ménages.

A partir de quel cours du baril, la Fed pourrait s’inquiéter ?
Il ne s’agit pas que de niveau, mais aussi et surtout d’une dynamique (du rythme et de la durée de la hausse). Le marché du pétrole est tellement tendu qu’il réagit à la moindre nouvelle négative sur les grands pays producteurs.

Quid du marché de l’immobilier ?
Le marché de l’immobilier est déprimé depuis longtemps. Les prix sont au plus bas, dans un territoire de sous évaluation manifeste.
L’ajustement semble derrière nous. Le segment du résidentiel neuf redémarre quelque peu. Des emplois ont été générés dans le secteur de la construction. Les stocks de maisons neuves rapportées aux ventes mensuelles sont revenus à leur moyenne de long terme.
Si nous ne pouvons pas annoncer d'ores et déjà la reprise du marché de l’immobilier on peut évoquer la fin de sa détérioration. En cela ce marché devrait arrêter de peser sur la croissance.

Qu’en est-il du risque que représente l’Europe ?

Nous avons eu ces derniers mois un certain nombre de bonnes nouvelles sur l’Europe. Le ralentissement de la croissance dans la région paraît moins prononcé que redouté en début d’année. La France et l’Allemagne résistent bien.
Par ailleurs les exportations américaines vers l’Europe sont de moins en moins importantes. Les Etats-Unis se sont de plus en plus tournés vers les marchés émergents, en particulier la Chine et le Brésil.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’inflation ?
L’inflation ne devrait pas passer au dessus de l’objectif de la Fed qui concerne le déflateur de la consommation privée. Nous voyons ce déflateur évoluer à 2%, voire un peu en dessous.

Dans l’absolu, l’inflation à l’heure actuelle n’est pas très élevée.
En relatif cependant, comparé au taux de chômage, l’inflation est importante. Cela suppose la nécessaire normalisation de la politique monétaire à un moment donné. Mais pour l’instant il n’y a pas de crainte à avoir de ce coté là.

Au mois de janvier, la Fed s'est fixé pour la première fois de son histoire un objectif chiffré d’inflation. Cela tend à démontrer que bien que la banque centrale s’efforce de combattre le chômage, elle n'a pas pour autant oublié la seconde composante de son mandat, soit la stabilité des prix.

Quelles sont vos prévisions pour la croissance et l’inflation ?

Nous attendons une inflation annuelle proche de 2,5% cette année. Nous devrions avoir une décélération graduelle mais indéniable, qui ira au moins jusqu’à la mi-2013.
Nous tablons sur une inflation globale un peu au dessus de 2%, à 2,3/2,4% en 2013. L’inflation sous-jacente devrait se stabiliser autour de 2%.
Le taux de chômage devrait passer sous la barre de 8% d’ici cet été.

La Fed a publié ses résultats de stress test des banques américaines la semaine dernière. Pour beaucoup, les hypothèses retenues sont extrêmement sévères, allant au-delà de ce qui s’est passé pendant la Grande Dépression…
Les hypothèses retenues étaient clairement plus sévères que celles qui avaient été retenues l’année dernière. Je ne suis pas sûre cependant qu’elles soient plus dures que les conditions qui ont dominé pendant la Grande Contraction de 2008-2009. Dans le scénario de la Fed, le taux de chômage augmente de 5 points, passant de 8% à 13%. C’est à peu de chose près ce qui s’est passé récemment.

Propos recueillis par Imen Hazgui