Interview de Philippe Waechter : Directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Philippe Waechter

Directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Zone euro : il n'est pas nécessaire que le taux à dix ans espagnol atteigne 7% pour voir l'Espagne demander de l'aide

Publié le 30 Avril 2012

Quelle vision avez-vous de ce qui se passe actuellement dans la zone euro ?
Il me semble que nous pouvons entrevoir quatre problématiques au sein de la zone euro.
La première est liée à la conjoncture dégradée en Zone Euro. Les enquêtes menées suggèrent une plus grande fragilité de la conjoncture au printemps. En outre, l'enquête de la Banque Centrale Européenne indique un comportement très attentiste des entreprises de la zone. Cela ne plaide pas pour une reprise rapide.

La deuxième problématique concerne l’Espagne. Jusqu’à présent, les pays qui ont eu besoin d’une aide financière extérieure ont été des petits pays, la Grèce, l’Irlande, le Portugal. L’Espagne représente 10% du PIB de la zone euro, ce qui n’est pas négligeable. Si le pays venait effectivement à devoir solliciter une aide, la question serait posée différemment et l’impact serait plus important.

Une autre problématique est liée à la dimension politique engendrée par l'épisode des Pays-Bas. Jusque là les enjeux étaient essentiellement économiques et financiers. Avec la démission du cabinet hollandais, la configuration est quelque peu changée en prenant une dimension politique. La situation s’avère plus tendue. Même si les choses sont rentrées depuis dans l'ordre, la situation européenne a pris une dimension nouvelle.
Cette mésaventure intervenue dans les Pays-Bas pose montre avec plus d’acuité les dangers sous jacents aux politiques d’austérités conduites tous azimuts par les pays membres de la zone euro.

Le dernier point d'interrogation est celui sur le diagnostic qui avait été fait et qui est peut être en train d'être remis en cause. La rigueur budgétaire avait été imposée à la fin de l’année dernière pour atténuer les incertitudes et la volatilité qui ont dominé dans la zone euro depuis l’été. Il semble aujourd’hui que ces politiques restrictives, à elles seules, ne suffisent à pas à conduire à un rétablissement de l’union monétaire et à enrayer l’effet de contagion de la crise de la dette. Le schéma élaboré parait remis en cause et un changement de méthode est requis. La réflexion autour d’un volet croissance est de plus en plus indispensable. Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne l’a rappelé devant le Parlement européen, la semaine dernière.
Sans cette réflexion, la sortie de crise sera si ce n’est impossible, tout du moins très compliquée.

Aviez-vous prévue ce regain de tension sur la dette espagnole et italienne ?

Nous nous attendions à des soubresauts en raison des inquiétudes sur l'activité. Cependant le timing et l’ampleur du prochain soubresaut étaient difficiles à déterminer.
L’activité est en baisse en Espagne depuis un moment. Il n’y a pas eu de signes d’inversion de tendance. Les enquêtes d’opinion ne tablaient pas sur un redémarrage prochain. En cela, l’équilibre des finances publiques était depuis un moment un objectif difficilement atteignable.
De nouvelles tensions sur les titres de dette espagnols étaient dans les tuyaux. Des facteurs ont permis ensuite de déclencher des tensions supplémentaires : la fin des opérations de refinancement de long terme des banques européennes par la Banque centrale européenne, la remise en cause de l’objectif de réduction du déficit par le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, et dernièrement l’abaissement de la not de crédit de long terme de l’Espagne par l’agence Standard & Poor’s.

Selon vous, il ne fait nul doute aujourd’hui que l’Espagne sera contrainte à solliciter une aide extérieure pour stabiliser sa situation économique et financière ?

Jusque là les banques espagnoles ont été massivement acquéreuses de titres de dette de l’Etat espagnol. Or nombre de ces banques sont devenues très vulnérables. Elles étaient déjà affectées par l’éclatement de la bulle immobilière en 2008. L’entrée en récession du pays laisse présager une augmentation des prêts non performants qui devrait davantage ébranler certains établissements.

Face à cette situation risquée, nous pouvons penser qu’un nombre significatif de banques espagnoles pourrait changer de comportement à l’égard des titres de dette émis par l’Espagne.

D’après vous, il n’est pas nécessaire que le taux à dix ans espagnol atteigne 7% pour voir l’Espagne demander de l’aide...

Le seuil des 7% était le seuil fatidique à ne pas dépasser à l’été 2011. La conjoncture économique du pays n’était pas aussi mauvaise qu’elle ne l’est maintenant. Le taux à dix ans espagnol est proche de 6% mais la croissance en volume du PIB est négative en glissement annuelle de 0,4% alors que l'inflation ralentit rapidement.
Eu égard au cout de la dette, et à l’absence de hausse des recettes, l’Espagne est beaucoup plus fragile qu’elle ne l’était il y a un an.

Auprès de qui sera-t-elle sollicitée?

Si aide il y a, il est fort probable que cette aide soit sollicitée auprès du Fonds européen de stabilité financière. L’équation est cependant ardue. Nul ne sait avec exactitude de combien l’Espagne aura besoin. Il est trop tôt pour avoir un montant précis en tête.
La banque centrale espagnole a fait état d’un besoin de recapitalisation des banques espagnoles de 50 milliards d’euros. D’autres économistes sont allés jusqu’à avancer un chiffre de 80 milliards d’euros.

Peut-on d’ors et déjà anticiper sur le moment où l’Espagne pourrait demandera cette aide ?

Il n’est pas évident de répondre à ce question.

Quel regard portez-vous sur le cas de l’Italie ?

Les inquiétudes ne sont pas de même nature, et de même intensité sur l’Italie. La capacité de rebond de la croissance en Italie est plus importante qu’en Espagne. Le problème espagnol a avivé par l’éclatement de la bulle immobilière en pleine crise de 2008. Un tel phénomène n’a pas eu lieu en Italie. La nervosité des marchés à l’égard de l’Italie à l’été 2011 était étroitement liée au manque de confiance dans l’aptitude de Silvio Berlusconi à bien gérer les finances publiques.
La question qui se pose à présent pour Rome réside dans la cherté du cout de sa dette. En cela, à l’inverse de l’Espagne, il me semble que l’Italie peut encore tenir avec un taux de rendement élevé un certain temps. Le déficit budgétaire de l’Italie n’est pas aussi significatif que celui de l’Espagne. Le solde primaire est, qui plus est voisin de 0. Il n’y a pas en Italie au niveau de l’administration du pays de division entre gouvernement central et gouvernements régionaux que l’on a en Espagne.
En attendant, Mario Monti, l’actuel chef de gouvernement, mettra tout en œuvre pour rassurer les marchés. Celui-ci se montre très actif dans l’exécution de ses réformes. Je crois que le marché laissera M Monti faire ses preuves d’ici cet été, avant de se prononcer plus clairement sur le cas de la troisième puissance européenne.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous du coté de la Banque centrale européenne ?
Je tablais en début d'année sur une baisse du taux directeur de la BCE de 0,50%. J’ai changé mon fusil d’épaule après les propos de Mario Draghi en mars et en avril. Cette possibilité pourrait cependant revenir.

Quid d’un troisième LTRO (opération de refinancement de long terme des banques européennes) ou d’une reprise du programme SMP (programme de rachat des titres de dette des Etats en difficultés) ?
Il est vain d’essayer de prévoir ce que la BCE fera au juste. Le constat selon lequel la situation n’est pas bonne est une chose, la détermination des moyens à utiliser pour que la situation aille mieux en est une autre. Je ne crois pas que les mesures prises seront renouvelées en tant que telles.
Il semble que M Draghi ne soit pas enclin à lancer une troisième opération de refinancement de long terme des banques européennes.
Aucun élément ne pousse à envisager une intervention plus directe sur le marché obligataire.
Nous devrions avoir plus de signaux à l’issue de la conférence de presse de ce jeudi.

Une solution pourrait être apportée par une transparence renforcée sur les intentions de la BCE ?
Une des forces de la Réserve fédérale américaine est d’avoir clairement indiqué son intention de laisser le taux directeur à un niveau bas au moins jusqu’en 2014 de manière à aider l’économie américaine.
La BCE devrait aller dans ce sens. Cela aurait un impact important sur les anticipations.
Jusqu’ici, Mario Draghi a décidé de suivre les pas de son prédécesseur Jean Claude Trichet et de ne pas s’engager sur l’orientation à venir de la politique monétaire. A chaque fois qu’une question lui est posée sur le sujet, il répond qu’il n’est pas dans les habitudes de la BCE de s’engager à l’ avance. En résulte alors une incertitude contre productive pour le bonne marche de l’activité.
Je suis d’avis qu’elle devrait être plus transparente sur ses intentions.

J’aimerai revenir un instant sur la problématique de croissance évoquée au début de cette interview. Une divergence de point de vue semble opposer l’Allemagne et le reste des pays de la zone euro. La semaine dernière, Angela Merkel a encore répété qu’il était hors de question de revenir sur le Pacte budgétaire qui a été arrêté en fin d’année dernière pour lui adjoindre un volet croissance ?
Nous allons incontestablement entrer dans une période de négociation au cours des prochains mois. Mme Merkel ne peut décemment pas lâcher du leste spontanément sur la croissance même si elle y a fait allusion.
Déjà un pas en avant a été fait par les autres pays de la zone et par le gouverneur de la BCE. Début décembre 2011, tout le monde s’était aligné derrière la position allemande. A présent, il y a une prise de conscience généralisée que quelque chose ne va pas et que ce Pacte doit être amendé.
Outre Rhin, des élections sont prévues pour la mi-mai. Le rapport de force peut changer. Je suis convaincu qu’un compromis finira par être trouvé de manière à ce que personne ne perde la face.

Pour ce qui est de ce volet croissance, deux thèses s’affrontent parmi les économistes. Ceux qui prônent une relance keynésienne et ceux qui sont partisans de réformes structurelles allant dans le sens d’une plus grande libéralisation, privatisation, dérégulation…
A mes yeux, les deux thèses ne sont pas antagonistes. Elles peuvent être combinées. Elles ne répondent pas au même horizon temporel. Pour faire face à la récession que l’on connait actuellement, un soutien immédiat est requis par l’intervention des autorités publiques.
Parallèlement, des réformes au niveau du marché du travail, des services, des biens devront être entreprises pour un meilleur fonctionnement.
L’impératif d’une relance implique une question sous jacente qu’il faut résoudre. A quel niveau cette relance doit elle se faire au juste ? Au niveau européen, par les euro obligations, la Banque européenne d’investissement, les Fonds structurels ? Des transferts de souverainetés seraient vraisemblablement indispensables.
Au niveau de chaque pays ? Le risque serait alors d’être confronté à des inefficiences manifestes dans les efforts déployés.
En d'autres termes, la solution doit être européenne pour être efficace.

Propos recueillis par Imen Hazgui