Interview de Karine Hirn : Fondatrice associée de East Capital

Karine Hirn

Fondatrice associée de East Capital

D'ici peu, la place boursière chinoise sera la première place boursière dans le monde. La Chine veut accompagner comme il se doit cette évolution.

Publié le 18 Mai 2012

Quel regard portez-vous sur les récentes mesures annoncées par la Chine relatives à ses marchés financiers ?
Les dernières réformes prises par la Chine concernant ses marchés financiers constituent un sujet important qui à notre sens n’est pas suffisamment relayé par les médias.
Plusieurs mesures ont été annoncées. En premier lieu une augmentation des quotas des QFII autorisant les investisseurs étrangers à réaliser des transactions directement sur le marché intérieur chinois, autrement dit sur les actions A. Ces quotas sont passés de 30 milliards à 80 milliards de dollars. C’est un faible montant par rapport à la capitalisation boursière de la Chine, mais c’est un signal important allant dans le sens d’une plus grande ouverture. L’augmentation du poids des investisseurs étrangers pourrait permettre d’améliorer l’environnement pour les investisseurs sur le marché et d’en réduire la volatilité.

Au-delà de l’ampleur des quotas, la Chine a décidé d’agir sur le processus d’obtention des licences. Six mois sont dorénavant nécessaires au traitement d’une demande, au lieu de 2 à 3 ans auparavant.
Une certaine flexibilité a été également instaurée dans le type d’investisseurs pouvant faire son entrée sur le marché. Dorénavant des hedge funds pourront faire leur apparition.
La Chine a également affiché sa volonté de soutenir le marché local en encourageant les opérations de rachats d’actions par les entreprises à capital semi-public et poussant les fonds de pension ou les compagnies d’assurances vie d’être plus présents sur les marchés.

Quelle motivation se cache selon vous derrière l’adoption de ces réformes ?
Il est toujours difficile de dire avec exactitude quel est l’objectif recherché par la Chine. Ce que l’on peut a priori affirmer est que la direction prise s’inscrit dans une optique de long terme.
Le marché chinois est devenu le premier marché mondial dans des domaines aussi divers que l’automobile, les ordinateurs, deviendra bientôt le premier marché au monde pour les produits de luxe.
D’un autre coté, la capitalisation boursière de la Chine, si l’on prend en compte la bourse de Shanghai et la bourse de Shenzhen représente déjà aujourd’hui 10 à 15% de la capitalisation boursière mondiale. Selon certaines prévisions cette part pourrait évoluer à 20% d’ici 2020-2025. Ainsi la place boursière chinoise sera la première place boursière dans le monde. La Chine veut accompagner comme il se doit cette évolution.

Ces réformes ne suffiront pas à stimuler les marchés actions chinois qui ont fortement corrigé ces dernières années. Le regard des investisseurs restera essentiellement concentré sur les perspectives macroéconomiques et microéconomiques du pays ?
C’est vrai que le ralentissement macro-économique de la Chine est au cœur des préoccupations des investisseurs. Les autorités chinoises souhaitent mettre l’accent sur la qualité de la croissance plutôt que sur la quantité. Les prévisions tablent sur un taux d’inflation de 3-4% pour cette année et un taux de croissance de 8%. Nous sommes d’avis que ces objectifs seront atteints et que les autorités feront le nécessaire le cas échéant pour que ce soit le cas.

Certains spéculent sur un desserrement de la politique monétaire de la Chine ?

Tabler sur un tel desserrement revient à de la pure spéculation. La Banque centrale de Chine a assurément une marge de manœuvre pour agir et elle n’hésitera pas à le faire si le besoin s’en faisait ressentir. D’ailleurs, dernièrement l’institution monétaire a baissé le taux de réserve obligatoire des banques, troisième baisse depuis décembre dernier. Pour notre part, il y a d’autres indicateurs à suivre pour comprendre l’environnement bancaire, notamment le taux de couverture des banques chinoises (ratio prêts sur dépôts) et les quotas de prêts auxquels les banques chinoises sont soumises. Nous ne prévoyons pas de programme de relance basé sur l’injection monétaire par les banques comme pendant 2009.

Le marché présente-t-il des points d’entrée intéressants ?

Les valorisations des actions chinoises sont historiquement basses. Excepté les actions du secteur de la consommation et du secteur de l’énergie, ces valorisations sont inférieures à celles enregistrées en 2008-2009 alors que nous ne sommes pas du tout dans la même configuration. Nous n’avons pas du tout les mêmes incertitudes qui pèsent sur l’économie chinoise. La dépendance de la Chine à l’égard des exportations est aussi moins forte. De ce fait les impacts liés au ralentissement des grandes économies occidentales devraient être moindres. Mais les problèmes de la zone Euro ont un impact important sur le sentiment des investisseurs et leur appétit au risque.

Quels vous semblent être les secteurs porteurs ?

Le renforcement de la protection sociale, l’éducation, le logement, ont été érigés comme priorités du gouvernement et pourront stimuler la consommation des ménages. L’idée serait alors d’identifier les entreprises chinoises qui seront directement bénéficiaires des nouvelles mesures prises par le gouvernement liées à ces domaines.
L’innovation est également une thématique à appréhender, de même que les économies d’énergie, les énergies renouvelables, le développement durable également, ou encore la biotechnologie, la consommation. Dernièrement le plancher du paiement de l’impôt sur les revenus a été relevé, supprimant de ce fait l’imposition pour une partie des ménages à revenu faible. Ces mesures fiscales sont bien-sûr favorables au pouvoir d’achat.

Un dernier mot sur l’élargissement de la bande de fluctuation du yuan dont on a beaucoup entendu parler. Qu’en pensez-vous ?
Cette décision est consécutive à la baisse du solde de la balance commerciale chinoise. Une plus grande marge de manœuvre en a résulté pour la fixation du cours de la monnaie chinoise, que les autorités jugent avoir atteint un certain équilibre. A ce titre, il est intéressant de rappeler qu’entre 2005 et 2011, le yuan s’est apprécié de 30 à 35% contre la devise américaine, soit environ 5% par an. Le yuan devrait progresser de 2 à 3% d’ici la fin de l’année.

Propos recueillis par Imen Hazgui