Interview de Franck Dixmier : Directeur de la gestion chez Allianz Global Investors France

Franck Dixmier

Directeur de la gestion chez Allianz Global Investors France

Espagne : les pertes anticipées pour les banques nationales devraient être bien supérieures au final

Publié le 31 Mai 2012

Comment pressentez-vous la suite des évènements pour l’Espagne ?
L’Espagne souffre de la vulnérabilité de son secteur bancaire consécutivement à l’éclatement de la bulle immobilière de 2008.
Le gouvernement espagnol a réitéré son opposition à faire appel à une aide financière extérieure pour soutenir ses banques. Je ne crois pas qu’il tiendra cette ligne de conduite longtemps.
Le pays a annoncé un nouveau plan de redressement et la mise en place d’une structure de défaisance. Deux organismes devraient voir le jour, ayant pour mission de donner des prix externes aux actifs immobiliers de manière à mettre en lumière la réalité de l’ampleur des pertes.

Le problème majeur avec l’Espagne est que nous n’avons pas encore connu un point bas sur le marché de l’immobilier. Les pertes anticipées liées aux crédits non performants sont minorées. Elles devraient être bien supérieures au final. Nous avons eu en moyenne une baisse des prix de 20% par rapport au pic de 2007. Parallèlement, les prix de l’immobilier en Irlande ont chuté d’environ 50%. Jusque là, les prix en Espagne ont été maintenus artificiellement par les banques par les saisies faites sur les promoteurs. Il y a encore près d’ 1 million de logements vacants dans le pays.
Nous devrions avoir une poursuite de l’ajustement des prix de l’immobilier d’au moins 20% additionnels. Certains analystes tablent sur des pertes totales de 250 milliards d’euros.
C’est principalement ce qui pousse le marché à douter de la solidité du plan annoncé qui sous estime le besoin de recapitalisation.

Le gouvernement veut se satisfaire du Frob, autrement dit le fonds de secours national pour renflouer ses banques ?
Le Frob aide en émettant des cocos avec un intérêt de 10% et potentiellement une conversion en capital au bout de 5 ans. Ce Fonds de secours devrait voir sa dotation en capital augmenter à 10 milliards par le biais d’un appel au marché obligataire et son levier rehaussé. Ce levier était de 3, il pourrait monter jusqu’à 6. Cela lui donnerait une capacité d’action de 60 milliards d’euros.
S’il sera d’une grande aide, ce Fonds ne sera pas suffisant. D’autant plus que son renforcement supposera de la part du gouvernement de devoir de nouveau s’adresser aux marchés financiers et donc une en conséquence une détérioration les finances publiques nationales.
Le ratio dette sur PIB de l’Espagne est encore inférieur à celui de la France ou de l’Allemagne. Toutefois, la dynamique de dégradation est bien plus importante. Les cibles fixées de réduction du déficit ne seront probablement pas respectées.

L’Espagne devrait finir par faire appel au Mécanisme européen de stabilité ?
Je ne pense pas que l’Espagne aura besoin d’un plan de secours analogue à celui défini pour la Grèce, l’Irlande ou le Portugal. Ceci étant, une solution européenne sera requise pour soutenir son système bancaire, et passera vraisemblablement par le Mécanisme européen de stabilité.

Vous êtes relativement serein sur le devenir de l’Espagne ?
Je suis convaincu que l’Espagne est un pilier de la zone euro et qu’elle restera dans l’union monétaire, de même que l’Italie. Nous sommes face à de la pure irrationalité découlant d’une perplexité des investisseurs qui manquent de visibilité et qui ne comprennent plus ce qui se passe. Nous sommes davantage face à du risk management qu’à une politique d’investissement.
Tout est une question de confiance. Le taux à dix ans espagnol était à 5% il y a à peine quelques semaines. Si le gouvernement continue à adopter des réformes crédibles pour assainir ses finances publiques et des mesures de soutien suffisamment importantes pour recapitaliser son secteur bancaire, alors cette confiance reviendra.

Quelle vision avez-vous de la situation italienne ?

Nous ne sommes pas fondamentalement inquiets sur l’Italie. Mario Monti, a pris des mesures d’envergure. Les plans de réformes successifs représentent environ 235 milliards d’euros d’efforts. Il sera difficile au pays de tenir le cap, dans un contexte d’accentuation de la crise et d’essoufflement prononcé de la croissance.
Le pays est quasiment à l’équilibre budgétaire cette année et le sera tout à fait en 2013. Il y a un problème de stock de dette publique. L’Italie a su montrer par le passé qu’elle savait générer de manière récurrente les excédents budgétaires. A priori le pays a toutes ses chances de retrouver des conditions de refinancement sur les marchés plus adaptées.

Quid de la France ?

Nous anticipons un élargissement de l’écart entre le taux français et le taux allemand. Mais le statut de la France dans le marché ne reflète pas encore totalement ses fondamentaux économiques.
Un niveau d’équilibre se situerait autour de 150 points de base.
Dans un contexte de normalisation des marchés – que nous n’anticipons pas pour demain- nous voyons un Bund 10 ans, aujourd’hui totalement déconnecté de la réalité économique, à un niveau de 2,5% donc une OAT autour de 4%.

L’Hexagone semble peu enclin à mettre en place les réformes structurelles pour restaurer la compétitivité de son économie et pour convaincre les marchés du caractère soutenable de son endettement. Nous avons eu une série de réformes sans aller véritablement jusqu’au bout. Il nous faut aller plus loin, sur les retraites et sur le flexibilité du marché du travail. Sur les dix dernières années, le coût du travail en France a crû de 40%.Ce n’est pas tenable dans une économie mondialisée, en particulier lorsque les pays voisins font de grandes avancées à ce sujet.
Il y a aussi un problème de coût de notre modèle social, la France est championne d’Europe en matière de dépenses publiques et 46% de ces dépenses sont liées à la protection sociale.

Ne pensez vous pas que le gouvernement de François Hollande sera en mesure de redresser la barre ?
La marge de manœuvre existe bien qu’elle soit étroite. Cependant la France a une certaine culture du déficit. Le dernier budget équilibré date de 1974. On n’a cessé de reporter sur la génération future le poids de nos dépenses. Je crains que le gouvernement ne s’attelle pas vraiment au problème.

Craignez-vous les conséquences d’une dégradation de la note du pays par les agences de notation ?

Selon moi ce n’est pas un danger. Lorsque l’on se fie à la hiérarchie des rendements sur le marché obligataire, la note de la France n’est pas triple A aux yeux des investisseurs. La mauvaise nouvelle est déjà intégrée.

Propos recueillis par Imen Hazgui