Interview de Jean-Aymon  Massie : Président de l'AFGE (Association Française de Gouvernement d'Entreprise)

Jean-Aymon Massie

Président de l'AFGE (Association Française de Gouvernement d'Entreprise)

Une France forte et unie changera l'Europe

Publié le 13 Juin 2012

Bien que le contexte politique européen évolue lentement et que les réactions des dirigeants à l’élection présidentielle française soient prudentes, les observateurs objectifs reconnaissent que l’alternance politique à l’Elysée a suscité en Europe une forte aspiration au changement. Elle a réveillé la conviction, mise en sommeil par la crise, qu’il faut repenser l’Europe : respecter les engagements budgétaires du pacte de stabilité, aller vers plus de fédéralisme budgétaire, limiter les déficits publics à 3 % et harmoniser la fiscalité, c’est bien ; mais ajouter un pacte de croissance, proposer une politique de financement communautaire de grands travaux, de ré industrialisation et de création d’emplois qualifiés, c’est mieux.

Une des conséquences d’une Europe renouant avec la croissance et la compétitivité serait sans aucun doute la transformation de l’Union Européenne en une Fédération des Etats-Unis d’Europe à moyen terme.
La France a le devoir de répondre à cette aspiration et de ne pas décevoir l’espoir suscité par l’alternance à la tête de l’Etat : car une France forte et unie pourra changer l’Europe.

Une France forte devrait s’affirmer à l’issue des élections législatives de juin 2012, qui apporteraient au Président une majorité confortable au Parlement. Le Gouvernement social démocrate, qui sera formé, aura une légitimité forte ; il sera soutenu par une majorité large de citoyens et par les deux chambres, acquises à la nouvelle politique définie par le Président de la République. Dans le passé, les politologues préconisaient l’équilibre des pouvoirs, fondement de la démocratie. Aujourd’hui l’heure est grave, la situation économique et sociale de la France est très dangereuse ; il faudra à terme réviser la Constitution afin de réformer le régime présidentiel, corriger les excès des 5 dernières années et tenir compte des transferts de souveraineté. Ce sera la fin de la Vème République, une nouvelle période devrait s’ouvrir : la VIème République avec un Président qui préside et un Gouvernement qui gouverne.

Dotée de ce partage des responsabilités de l’Etat, la France sera plus forte, plus efficace et plus écoutée. Le Président de la République pourra présider avec efficacité les différents sommets du G8 ou du G20, l’Euro groupe, impulser une diplomatie active et constructive sur la scène internationale, restaurer l’autorité et la réputation de la France, enfin travailler concrètement à la construction européenne et à la marche vers le fédéralisme. Simultanément le Gouvernement, dirigé par un Premier Ministre énergique, s’attachera immédiatement à la réalisation des réformes structurelles et au rétablissement des équilibres économiques et sociaux. Lorsque le Président et le Premier Ministre français se rendront ensemble à la prochaine réunion de Bruxelles pour proposer une nouvelle orientation de l’Exécutif Européen, une actualisation des traités, examiner le plan de sauvetage d’un pays membre en difficulté, ou bien l’élargissement du champ d’action de la BCE, ils auront une autorité incontestée et une efficacité redoutable.

Une France unie ou réunie est souhaitée par les citoyens français et attendue par les Européens. La crise et les atermoiements des dirigeants politiques ont divisé les français ; des clivages et des confrontations entre catégories de citoyens ont été suscités par des décisions politiques hâtives ou partisanes, par des provocations de toute nature…Le bilan est lourd : un pays divisé entre « nantis » et « indignés », des politiciens coupés des citoyens, refusant de les entendre, préférant recourir à la menace et à la peur.
Une victoire franche aux législatives donnera au Président les moyens nécessaires et la légitimité pour entreprendre la mutation de l’Etat et obtenir l’adhésion des français à une stratégie pour les 5 ans à venir, que le Gouvernement mettra en œuvre et dont il devra rendre compte aux citoyens régulièrement.

Une France forte et unie changera assurément l’Europe. En effet au 2ème semestre 2012 et durant l’année 2013, la crise institutionnelle, conséquence de la crise financière économique et sociale va s’amplifier en Europe : les pays du sud, l’Europe de l’Est et l’Allemagne pourraient connaître une alternance sociale démocrate ; le cas étonnant du « hanged Parliament » britannique est aussi source d’incertitude politique. Dans ce contexte la France, 2ème puissance économique de l’UE, sera le seul pays ayant un Président et un Gouvernement légitimes, forts de la confiance des citoyens pour une durée de 5 ans. C’est un atout considérable pour remplir une mission qui ne peut attendre : impulser la mutation de l’Europe, proposer des réformes afin de maîtriser la crise, mettre en œuvre les conditions du retour de la croissance.

Dès juin 2012, la France devra engager les consultations pour l’adoption d’une part d’un Pacte de croissance, et d’autre part d’une procédure de mutualisation des dettes souveraines : précisément, la part supérieur à 60 % du PIB pourrait être mutualisée, afin de rendre supportable le service de la dette par les économies que des plans d’austérité désastreux ont affaiblies.

Dès 2013, la France devrait avec ses partenaires européens les plus réactifs stopper le processus actuel, qui amène l’Europe à s’enfoncer dans une récession durable, alors que les autres pays industrialisés ont surmonté la crise bancaire et économique. L’implication de la Présidence française sera déterminante pour la mise œuvre d’une politique européenne permettant le retour de la croissance et de la confiance des investisseurs. A cet effet, le Président de la France et son Gouvernement pourraient donner l’exemple : encourager par diverses incitations fiscales et financières l’épargne des français à s’investir dans l’industrie, particulièrement dans les PME (par exemple, la création d’un livret d’épargne industrie). Le niveau de l’épargne longue est au plus haut depuis 1983 : près de 1.380 milliards (G) €, épargne investie en livret A, dans l’immobilier et d’autres placements. Au niveau des 27 pays de l’UE, les montants d’épargne des ménages, dont le niveau de vie moyen est l’un des plus élevés du monde (PIB moyen 26 000 € per capita en 2010, supérieur à celui de l’ensemble des pays de l’OCDE), sont considérables. Les ménages européens, contrairement aux ménages nord américains ne sont pas contaminés par le surendettement et les incitations gouvernementales. Mais, ils n’ont pas confiance ; aussi une grande partie de l’épargne est improductive, elle ne contribue pas au financement de l’investissement des entreprises, donc à la production de biens et de services, à la création d’emplois, à la croissance. Si les Etats du Sud de l’Europe sont au bord de la faillite, les citoyens ne sont pas pauvres ; ils ont renforcé leur épargne au détriment de la consommation, afin de se prémunir d’éventuelles catastrophes économiques et politiques. Les dirigeants disqualifiés par la crise ont perdu leur confiance.

L’Union Européenne, forte de ses 500 millions d’habitants et d’un PIB élevé, est la 1ère puissance économique mondiale ; elle pèse 34,6 % du commerce mondial des marchandises en 2010 (soit 5 632 G. $) devançant l’Asie et l’Amérique du Nord ; 80 % du commerce mondial est contrôlé par 27 pays, dont 11 européens.

Arrêtons d’être pessimistes et d’écouter les lamentations des banquiers, des fonds spéculatifs et de beaucoup d’acteurs des marchés effrayés par Bâle III, Solvabilité II et par le renforcement de la régulation.

La remise en ordre de la BCE, l’arrêt des « usines à gaz » qu’elle a générées pour financer l’économie réelle en prêtant au FMI pour prêter à nouveau aux Etats, et aux banques nationales pour re prêter aux citoyens, en principe . Or, entre décembre 2011 et février 2012, la BCE a accordé 1 000 G.€ à 1 % aux banques nationales pour refinancer leur contribution à l’économie ; en fait, la plupart ont utilisé ces ressources pour acheter des obligations souveraines à 5-6 % d’intérêt ! Ainsi le 1er détenteur de la dette française serait le Luxembourg, le 2ème serait l’Allemagne, via des fonds d’investissement de ces 2 pays ; 75 % de la dette souveraine française passerait par les paradis fiscaux. Personne n’ose le dire.
Rappelons qu’une grande partie des dettes souveraines européennes est détenue par des hedge funds, liés aux grandes banques des pays industrialisés alléchés par la perspective d’opération à effet de levier (cf. notre précédent avis d’expert du 18 avril).
Après le recentrage du rôle de la BCE et de ses rapports avec les autres institutions, il sera possible d’adopter les modalités d’émission d’euro bonds associés aux fonds structurels et aux prêts de la BEI. Pour sortir de la crise, la solution concrète est la création d’un « guichet unique », pour financer plusieurs programmes de grands travaux au niveau de l’UE :
- infrastructures ferroviaires, routières, canaux (assurant le transport des conteneurs à travers l’Europe) et portuaires pour supprimer des nœuds ou blocages aberrants ;
- rénovation et isolation du parc immobilier afin de réduire la facture énergétique ;
- les énergies nouvelles, le génie médical, le numérique ;
- constitution de vastes technopoles à proximité de bassins industriels compétitifs, qui favoriseraient la création d’entreprises innovantes, la production d’une nouvelle génération de biens et de services à forte VA et de nouvelles filières (dépassant le modèle remarquable de coopération européenne d’EADS et Ariane Espace).

Des déficits publics voisins de 90 à 100% et un taux de dette publique supérieur à 5 % du PIB ne sont pas une fatalité. Arrêtons d’être pessimistes. La solution réside dans la volonté politique et dans la capacité d’une nouvelle génération de dirigeants déterminés à affronter la crise, les dysfonctionnements résultant des transferts de la dette privée vers la dette publique, l’émission et la souscription des obligations souveraines dans des conditions hasardeuses, le rôle des banques d’émission nationales dont la passivité durant la crise financière a surpris.

Volonté politique, courage et lucidité, ambition de construire une Europe fédérale forte et unie à l’image de la nouvelle France, génèreront certainement le retour de la confiance. Dans les prochains trimestres, l’Europe accouchera soit d’un ange, soit d’un démon. L’avenir nous appartient à condition que nos dirigeants soient ceux que l’on mérite : meilleurs, compétents, efficaces et audacieux.

Jean-Aymon Massie