Interview de Fabrice  Cousté : Directeur Général de CMC Markets France

Fabrice Cousté

Directeur Général de CMC Markets France

Banque centrale européenne : Mario Draghi n'a pas fait marche arrière. Sa crédibilité s'en trouve renforcée.

Publié le 07 Août 2012

Vous attendiez-vous à l’annonce faite par le gouverneur de la Banque centrale européenne jeudi dernier selon laquelle l’institution monétaire réfléchirait sérieusement à adopter de nouvelles mesures non conventionnelles ?
Nous pensions pour notre part, que la BCE sortirait du bois dès le mois de juin. Elle ne l’avait pas fait en raison du sommet européen des 28 et 29 juin au cours duquel les dirigeants politiques s’étaient engagés à aller plus loin, à faire plus d’intégration, et davantage de réformes structurelles. A l’issue de ce sommet, les politiques ayant fait le pas attendu par la BCE, celle-ci a pu renchérir et annoncer un nouveau train de mesures pour gagner du temps.

Gagner du temps ?

L'on sait pertinemment qu'il n'y a aucun moyen de sortir de la crise de la dette par davantage d'endettement. Des réformes structurelles sont indispensables pour récupérer de la compétitivité et retrouver de la croissance. Or ces réformes mettent du temps à produire leurs effets. En attendant, l’institution monétaire aide à palier aux dysfonctionnements patents, le risque de liquidité bancaire avec les opérations de refinancement à long terme, la fragmentation du marché obligataire avec un rachat massif de titres de dette.

A ce sujet, la BCE s’est dite notamment prête à intervenir sur le marché pour racheter les titres de dette émis par l’Espagne et l’Italie, en vue de réduire les taux obligataires, mais non sans conditions. Les gouvernements doivent prendre l’engagement de poursuivre leurs réformes pour assainir leurs finances publiques et doivent solliciter une aide soit du FESF, soit du MES ?

La première condition n’est pas surprenante. La deuxième condition l’est davantage.

Pour ce qui est du premier point, depuis plusieurs mois, le gouverneur de la BCE ne cesse de marteler la nécessité pour les politiques de montrer leur détermination à rentrer dans les clous. Mario Draghi en a fait son cheval de bataille. Ce message s’était accompagné de l’interruption du programme de rachat de titres de dette par l’institution monétaire afin d’exercer une certaine pression.

Pour ce qui est du second point, la BCE entend se rapprocher du mécanisme du Fonds monétaire international. En cela la BCE se conduit habilement, en ce qu’elle n’impose pas de diktat aux Etats membres de la zone euro-par l’ouverture d’une boite à refinancement à tout va-mais fait en sorte que cette boite de refinancement soit sollicitée par les Etats qui en ont besoin.
Le passage par un Fonds de secours européen est également un moyen d’encadrer la conditionnalité, autrement dit de surveiller le respect par les Etats qui bénéficient de l’intervention de la BCE, des engagements pris pour redresser leurs finances publiques.

Enfin, c’est une manière de ménager la sensibilité des Allemands.

Cette sensibilité a également été ménagée par le refus d’accorder au MES une licence bancaire lui permettant de se refinancer de manière illimitée auprès de la BCE ?

Effectivement. Mario Draghi s’est clairement montré opposé à faire du MES un mécanisme de prêteur en dernier ressort qui puisse ouvrir grandement les vannes de la liquidité entrainant un fort risque d’aléa moral et un fort risque inflationniste.

Selon vous Mario Draghi a été d’une grande habilité. Or, beaucoup pensent qu’il aurait du attendre d’avoir plus de détails pour communiquer sur le sujet lors de la conférence sur l’investissement mondial à Londres ?

Cette remarque a été faite au gouverneur dans le cadre de la séance des questions-réponses qui ont suivi la conférence de presse. Calmement, M Draghi a répondu qu’à aucun moment dans sa déclaration il n’avait indiqué son intention de mettre en place un pare feu phénoménal à partir du 4 aout. Les marchés n’ont fait que broder autour d’une déclaration relativement neutre. Comme souvent les marchés achètent la rumeur... et vendent la nouvelle.

Vous comprenez donc les propos tenus par Mario Draghi, lors de cette fameuse conférence selon lesquels la BCE fera tout le nécessaire pour ne pas laisser tomber l’euro ?
De nombreuses mesures non conventionnelles ont déjà été adoptées par la Banque centrale européenne : programme SMP, opérations de refinancement à long terme, baisse des taux sans précédent … Ces mesures n’ont pas pour autant permis de sortir de la crise. Au contraire, les tensions ont cru davantage et les taux de refinancement-de l’Espagne et de l’Italie en particulier-se sont fortement accentués. C’est cette situation qui a conduit Mario Draghi à adopter une position étonnamment ferme dans le cadre de cette conférence à Londres en avançant que la BCE fera tout le nécessaire pour ne pas laisser tomber l’euro, et que ce nécessaire sera suffisant.
Nous avons une pause estivale des gouvernements. Nous pouvons avoir des à-coups importants sur le marché, comme en 2011. Mario Draghi par cette annonce vise à gagner du temps et botte en touche au moins jusqu’à la rentrée.

Vous ne pensez donc pas que la crédibilité de Mario Draghi et de la BCE ont été entachées ?
Mario Draghi est d’accord pour avancer dans l’inventivité, parce qu’il faut de la créativité dans cette crise, mais ne l’est pas pour ouvrir la boite de Pandore. Il montre habilement qu’il veut garder la main, et avancer de manière mesurée et utiliser les instruments adéquats en temps utile. En cela il calque son comportement sur celui du gouverneur de la Fed, Ben Bernanke, qui la veille avait également déçu les attentes des opérateurs de marché en ne dévoilant pas grand chose sur les prochaines actions de la banque centrale américaine.
Cette prudence aurait pu secouer les marchés et refroidir les opérateurs mais au contraire elle est plutôt bien accueillie. Par conséquent, la crédibilité s’en trouve renforcée.

Un mini séisme a tout de même été observé sur les marchés…
Comme souvent en bourse, la rumeur a été très achetée-la petite phrase de Londres- et la nouvelle vendue- l’annonce de mesures effectives floues, avec un timing de mise en place pas avant septembre.
Il y a eu un tel engouement irrationnel à la suite de cette petite phrase que l’on ne pouvait qu’être déçu. Chat échaudé craint l'eau froide. La prochaine fois que Mario Draghi fera une déclaration fracassante, les opérateurs réfléchiront à deux fois avant de penser qu’il va sortir le bazooka.
Après qu’ils se soient fortement effondrés, les indices ont repris dans la foulée. Les investisseurs ont pris conscience que le puzzle était progressivement en train de se constituer, qu’il y avait une véritable détermination de la part de l’ensemble des responsables de la zone euro, politiques et monétaires à résoudre la crise.

Ainsi vous estimez que Mario Draghi n’a pas fait marche arrière ?
Il n’a pas évolué vis-à-vis de sa position de défenseur de la zone euro. Il a mis en avant à plusieurs reprises l’irréversibilité de l’euro. Cet élément a été repris, en outre, par d’autres gouverneurs de banques centrales nationales. Cela tend à calmer les ardeurs de tous ceux qui étaient en train de vendre le marché de manière agressive. Mario Draghi veux faire sienne l’expression américaine , « don’t fight the Fed», so «don’t fight the ECB».

L’institution s’est engagée à ne racheter que des titres de dette de court terme. Le comprenez-vous ? Cela sera-t-il efficace pour faire reculer les taux obligataires de plus long terme ?
Cela suffira dans un premier temps dans la mesure où elle endiguera la spéculation sur la dette espagnole.
La simple expectative de l’ouverture du robinet pour racheter des titres de dette espagnols a d’ailleurs entrainé une détente des taux espagnols à ce jour. Mais une détente durable n'interviendra pas sans une amélioration de la trajectoire de la dette dans les pays en difficulté et cela prendra des années. En attendant la BCE ouvre la porte d'une nouvelle intervention, ce qui est à mon sens nécessaire.
Cela ne sera pas gratuit pour autant. Le collatéral exigé sera plus important que d’habitude.

Les détails de cette intervention doivent être précisés. Deux questions doivent notamment être traitées, celle de la stérilisation des instruments rachetés, et celle de l’antériorité de la BCE découlant de ces investissements vis-à-vis des investisseurs classiques. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet ?
La question de l’antériorité peut paraitre inquiétante. L’investisseur qui prête de l’argent veut savoir quand il sera remboursé, et dans quelles conditions.

Croyez vous in fine que l’Espagne et que l’Italie vont effectivement demander de l’aide au Fonds de secours européen ? Si oui dans quel timing ? Avec quelle ampleur ?
L’Italie est sur une pente moins négative. La trajectoire s’améliore. Elle ne devrait pas solliciter une aide d’ici la fin de l’année contrairement à l’L’Espagne qui paie les conséquences d’une bulle immobilière qui a des ramifications sur les banques, et les provinces espagnoles. Nous pensons que le premier ministre espagnol Mariano Rajoy, mettra un mouchoir sur son orgueil, et demandera un nouveau plan de sauvetage au cours des prochaines semaines. La démarche sera certes politiquement couteuse, mais nécessaire.

Quelle conséquence cette intervention devrait elle avoir en termes de stratégie d’investissement ?
Si l’on observe à terme une aide et une détente, cela aura mécaniquement un impact sur les marchés actions, en particulier sur le secteur bancaire. L’indice Ibex se situe à ses plus bas niveaux de 2003. Il me semble plus avisé de se replacer sur les marchés actions que les marchés obligataires car le potentiel de rebond est plus important.

Propos recueillis par Imen Hazgui