Interview de Philippe  Waechter  : Directeur de la Recherche au sein de Natixis Asset Management

Philippe Waechter

Directeur de la Recherche au sein de Natixis Asset Management

Banque centrale européenne : Mario Draghi a posé un nouveau cadre pour la zone euro

Publié le 09 Août 2012

Selon vous, par ses récentes interventions, Mario Draghi a donné un cadre relativement neuf à la zone euro ?
Jusque là, dès qu’un pays de la zone euro rencontrait des difficultés, on imaginait qu’il puisse sortir de l’union monétaire.
A différentes reprises, le président de la Banque centrale européenne a fait état de l’irréversibilité de l’euro. Cet élément d’information a une forte connotation politique en ce qu’il sous tend que la zone euro doit fonctionner quelque soit l’environnement. Aucune échappatoire n’est permise par une éventuelle sortie. D'une certaine manière la zone Euro doit fonctionner comme la zone dollar aux USA avec à l'esprit que l'appartenance à la zone n'est plus un enjeu comme c'est le cas des Etats américains.
Par cette position, Mario Draghi pose effectivement un nouveau cadre pour la zone euro, plus fédéral.

Ne pensez-vous pas qu’il y a eu une erreur de communication de la part de Mario Draghi. Après une forte déclaration lors de la conférence sur l’investissement mondial à Londres, il a semblé revenir en arrière en montrant plus de prudence lors de la conférence du 2 aout à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs ?

J’avoue que cela a été ma première réaction. J’avais notamment rédigé une note sur le sujet indiquant que l’on attendait un bazooka- les propos tenus à Londres ayant laissé penser que des moyens considérables allaient être mis sur la table pour résoudre enfin la crise. Finalement on a eu une orientation a priori plus modérée et moins directe.
Sur le coup cela a créé un risque sur la crédibilité de la zone euro et de la BCE.
Lors de sa conférence de presse, Mario Draghi a présenté une méthodologie d'intervention mettant les gouvernements à l'origine de l'initiative, l'EFSF puis la BCE n'intervenant alors que dans un deuxième temps en fonction du respect de certaines conditions. Nous devrions avoir en septembre un cadre plus défini qui permettra à l’institution d’affirmer davantage sa position et les conditions qu'elle souhaite voir respecter afin et de donner plus de cohérence à l’ensemble.

La BCE s’est dite notamment prête à intervenir sur le marché pour racheter les titres de dette émis par l’Espagne et l’Italie, en vue de réduire les taux obligataires, mais non sans conditions. Les gouvernements doivent prendre l’engagement de poursuivre leurs réformes pour assainir leurs finances publiques et doivent solliciter une aide soit du FESF, soit du MES. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’une répartition des rôles devrait se dessiner. Le FESF ou le MES, quand il existera interviendra plutôt sur le marché primaire et la BCE interviendra sur le marché secondaire.
Pour que tout fonctionne il a été souhaité par Mario Draghi que les pays demandeurs respectent un certain nombre d’engagements sur le plan budgétaire, concernant des réformes structurelles et les institutions à mettre en place. L'EFSF/MES aura pour charge de valider ou de corriger ces engagements. Ce ne sera qu’après validation que la BCE pourra intervenir.
Pour le moment, il n’y a aucun élément d’information concernant ces engagements. Il sera important de les avoir rapidement afin de répondre à une des vives interrogations que se pose aujourd’hui l’Espagne. Le premier ministre espagnol Mariano Rajoy se montre hésitant car l’orientation présentée par le gouverneur de la BCE implique pour l’Etat qui voudra bénéficier de l’intervention de l’institution monétaire de délester une partie non négligeable de sa marge de manœuvre pour déterminer la stratégie économique à déployer dans le pays. C'est aussi cette orientation et ce changement dans les institutions que Mario Draghi souhaite mettre en avant pour garantir un meilleur fonctionnement de la zone Euro dans la durée.

Etes-vous d’accord avec la mise en parallèle faite avec le mécanisme de financement du FMI ?

Nous ne pouvons pas faire de parallèle avec ce mécanisme. Nous ne sommes pas dans le même cas de figure que pour la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, où a été conclu un mémorandum prévoyant un certain nombre de contreparties en échange de l’aide financière consentie.
Dans le cadre de l’orientation de Mario Draghi, des engagements seront définis par les gouvernements, de leur plein gré. Et c’est au regard de ces engagements qu’il sera décidé d’activer ou pas l’intervention. Nous ne sommes donc pas tout à fait dans la même logique.

L’institution s’est engagée à ne racheter que des titres de dette de court terme. Le comprenez-vous ?
Le risque actuel est d’avoir une courbe des taux inversée qui traduise le sentiment par les opérateurs d’un risque fort de sortie ou de tension excessive sur l’Espagne.
L’objectif de la BCE est double, peser sur la partie longue en intervenant sur la partie courte par effet de contagion et aplatir la courbe.
Dans la mesure où les engagements du pays demandeur seront validés par le Fonds de secours cela supposera qu’ils sont de nature à permettre un assainissement des finances publiques sur le long terme. Cela pourrait permettre alors un repli des taux d'intérêt long.

N’aurait-elle pas pu intervenir à la fois sur les taux courts et les taux longs ?
L’institution doit arbitrer entre les différents moyens qu’elle a à sa disposition.

Vous estimez que cette nouvelle orientation devrait produire davantage d’effets que le précédent mécanisme de rachat de titres de dette, dit programme SMP ?
Le programme SMP était mal conçu car on ne savait pas quelle serait la durée de l’intervention, et quels seraient les montants utilisés. A la fois l’absence d’automaticité de ce programme et l’affaiblissement constant de l’intervention de la BCE avaient conduit à sensiblement réduire l’efficacité de ce mécanisme. En d'autres termes personne ne pouvait lire correctement les intentions de la BCE. En conséquence, les taux sont repartis à la hausse.

Ne craignez-vous pas que ce jeu de la transparence pousse le marché à tester la capacité de la BCE à intervenir?
Probablement. La BCE devra alors montrer sa détermination.

De quelle manière ?
En fixant un objectif de taux de refinancement pour le pays demandeur, en avançant un niveau de spread donné avec le taux allemand, en intervenant avec un montant suffisamment important pour dissuader le marché de jouer là-dessus et d'aller au bras de fer.

Les détails de cette intervention doivent être précisés. Deux questions doivent notamment être traitées, celle de la stérilisation des instruments rachetés, et celle de l’antériorité de la BCE découlant de ces investissements vis-à-vis des investisseurs classiques. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet ?
Mario Draghi n'a pas apportée de réponse claire à la question de la stérilisation. La stérilisation de l’opération SMP a été in fine assez compliquée. La probabilité de non stérilisation de cette nouvelle orientation est assez forte.
Pour ce qui est de l’antériorité, il faudra prendre en compte le volte- face qui s’est produit avec le plan bancaire accordé à l’Espagne.
Dans le plan initial, il était prévu que le MES ait une séniorité par rapport aux autres investisseurs. Cela a été abandonné. Cet abandon ne plaide par pour un maintien de l’antériorité de la BCE vis-à-vis des investisseurs classiques.

La BCE a fait référence dans le cadre des questions-réponses à l’adoption éventuelle d’autres mesures non conventionnelles : une autre opération de refinancement à long terme, des changements dans les règles du collatéral…

Ces mesures pourraient-elles s’avérer opérantes pour faire baisser les taux obligataires de l’Espagne et de l’Italie ?
Récemment Benoit Coeuré a indiqué que la BCE n’excluait pas d’autres actions pour permettre le rétablissement du bon fonctionnement de la zone euro si le programme de rachats ne suffisait pas. Des baisses supplémentaires des taux d’intérêt ou d’autres mesures sont possibles.

Croyez-vous in fine que l’Espagne et que l’Italie vont effectivement demander de l’aide au Fonds de secours européen ?
L’Espagne représente 10% du PIB de la zone euro. La perte de souveraineté pour un pays de cette dimension est politiquement délicate. Mariano Rao n’agira que si véritablement le besoin s’en fait ressentir.
De même en est-il de l’Italie. Pour ce qui est de ce dernier pays, il me semble préférable que le gouvernement de Mario Monti ne sollicite pas cette intervention de la BCE. Cependant, compte tenu des difficultés intrinsèques de cette économie italienne sur le plan budgétaire et sur le plan de la croissance, il est possible qu’elle ne puisse pas parvenir à s’en sortir sans.

Propos recueillis par Imen Hazgui