Interview de Patrick Moonen : Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Patrick Moonen

Stratégiste au sein d'ING Investment Management

Zone euro : Mario Draghi a simplement remis les pendules à l'heure

Publié le 13 Août 2012

Quel regard portez-vous sur les dernières interventions de Mario Draghi ?
L’intervention de Mario Draghi que ce soit à Londres ou à l’issue de la réunion du conseil des gouverneurs le 2 aout, était nécessaire pour calmer les marchés.
La crise s’était aggravée et un éclatement de la zone euro était devenu plus probable. L’Espagne avait quasiment perdu l’accès au marché obligataire.

Pensez-vous qu’il y a eu une erreur de communication de la part de Mario Draghi. Après une forte déclaration lors de la conférence sur l’investissement mondial à Londres, il a semblé revenir en arrière en montrant plus de prudence lors de la conférence du 2 aout à l’issue de la réunion du Conseil des gouverneurs ?
Il se peut que l’annonce faite à Londres n’ait pas été préméditée. Toutefois, bien qu’il se soit montré ferme de par sa tonalité, le contenu du message de M Draghi à Londres n’était pas en tant que tel exagéré. Le gouverneur a simplement répété que la BCE fera tout son possible pour éviter que la zone euro éclate.
Le marché a ensuite extrapolé les propos du président de la BCE, mais cela n’est pas de la responsabilité stricte de ce dernier.
Cela me rappelle une expression d’Alan Greenspan, ancien gouverneur de la Réserve fédérale américaine : « si vous m’avez bien compris, alors je me suis doute mal exprimé ».
Bien entendu, il incombe à un gouverneur de Banque centrale d’avoir conscience que chacun de ses mots, chacune de ses intonations seront analysés et mis en perspective. En cela je ne crois pas qu’il ait fauté. Le message transmis lors de la conférence du 2 aout, allait dans la droite ligne du message de Londres. Mario Draghi a simplement remis les pendules à l’heure.

Comment avez-vous accueilli la proposition de Mario Draghi de lancer un nouveau programme de rachats des titres de dette pour les Etats les plus en difficultés ?

La BCE va pouvoir utiliser son bilan pour acheter de manière illimitée les obligations espagnoles et italiennes. En cela la problématique selon laquelle la taille du MES, doté de 500 milliards d’euros, pour le faire serait insuffisante est résolue.

Partagez-vous l’avis de certains experts selon lequel nous devrions avoir une intervention du MES sur le marché primaire et de la BCE sur le marché secondaire ?
Oui


Quelle analyse faites-vous du passage obligé par le MES ?
Par le passage obligé par le MES, Mario Draghi veut amener les Etats à assumer leur responsabilité, en montrant que la balle se situe dans leur camp.

Comprenez-vous que la BCE se concentre uniquement sur les titres de courte maturité ?
En se concentrant sur les titres de courte maturité, la BCE maintient la pression sur les gouvernements. Ces derniers devront revenir sur les marchés assez rapidement pour se refinancer de nouveau. Si l’institution s’était engagée à acheter des obligations de 10 ans et plus, les dirigeants ne seraient pas incités à mettre en œuvre les réformes nécessaires.

Comment pensez-vous que sera résolue la question de l’antériorité des titres achetés par l’institution ?
La BCE est a priori prête à laisser la séniorité des obligations achetées. Il a dit que la question serait traité, sous entendant qu’une solution favorable devrait en principe être dégagée.

Quelle est votre position s’agissant de la question de la stérilisation ?

La question de la stérilisation n’a pas beaucoup d’importance. Il y a une injection de liquidité suffisante sur les marchés. La liquidité auprès des banques est assurée de manière quasi illimitée.

Pensez-vous que l’Espagne et l’Italie formuleront une demande officielle d’aide auprès du MES ?
Nous pensons que l’Espagne formulera une demande officielle d’aide au MES avant fin septembre. Le pays doit refinancer encore 40 milliards d’euros d’ici la fin de l’année.
Sauf si la pression des marchés devient trop importante, nous ne nous attendons pas à ce que l’l’Italie fasse cette demande à court terme.

Pensez-vous que Mario Draghi a posé un cadre nouveau à la zone euro à la fois en réitérant à plusieurs reprises le caractère irréversible de l’euro et en imposant des engagements aux Etats pour bénéficier d’une intervention de la BCE ? Selon certains ces engagements sur le plan budgétaire, structurel, institutionnel, qui doivent être validés en amont par le MES signifient en quelque sorte une perte de souveraineté et un premier pas vers plus de fédéralisme ?
Je n’avais pas vu les choses sous cet angle. Cependant, effectivement nous pouvons l’envisager ainsi. Ceci étant l’Espagne est déjà soumise à plusieurs conditions en contrepartie de l’aide financière accordée pour soutenir son système bancaire.
Demander une nouvelle aide officielle au MES ne changera pas beaucoup la donne pour ce dernier pays.
C’est cette perte de souveraineté risque de retenir certains pays de demander une aide officielle.

La BCE a fait référence dans le cadre des questions-réponses à l’adoption éventuelle d’autres mesures non conventionnelles : une autre opération de refinancement à long terme, des changements dans les règles du collatéral…
Nous pensons que la Banque centrale va encore réduire son taux directeur à 0,50%. Nous prévoyons une troisième opération de LTRO d’ici la fin de l’année. L’institution pourrait se porter acquéreuses d’autres titres de dette que les obligations souveraines.

Avez-vous une idée du montant de cette troisième opération de LTRO ?

Non. Les banques non espagnoles et non italiennes disposent déjà d’une abondante liquidité. La demande pourrait être plus faible.

Cet épisode a-t-il changé des éléments dans votre stratégie d’investissement ?
Oui, à deux niveaux. Nous privilégions les actions européennes aux actions américaines. Avec les actions prévues de la BCE, le risque systémique est en diminution en Europe. En revanche, ce risque est en hausse aux Etats-Unis suite au défi budgétaire auquel le pays devra faire face à la fin de l’année.
Ainsi la balance des risques est en train d’évoluer en faveur du Vieux continent.
Parce que nous envisageons un assouplissement monétaires des grandes banques centrales de la planète : BCE, Fed, Banque centrale du Japon et Banque centrale de Chine, l’environnement général pour les actifs à risque devrait s’améliorer.
Nous observons une stabilité dans les prévisions bénéficiaires et dans les estimations économiques qui devrait être encore plus propice aux actifs à risque.
Les pays dans lesquels la prime de risque était la plus élevée, Espagne et Italie, vont relativement davantage profiter de l’engouement des investisseurs que l’Allemagne et les Pays Bas.

Propos recueillis par Imen Hazgui