Interview de Christian  Déséglise : Responsable des marchés émergents au sein d'HSBC USA, professeur à l'Université de Columbia

Christian Déséglise

Responsable des marchés émergents au sein d'HSBC USA, professeur à l'Université de Columbia

« Les autorités chinoises n'ont donc pas perdu le contrôle de la croissance de leur économie »

Publié le 03 Octobre 2012

Le fort ralentissement de l’économie chinoise inquiète de nombreux observateurs. Qu’en pensez-vous ?
Le fort ralentissement de l’économie chinoise s’explique par une raison structurelle et une raison conjoncturelle.
Le grand défi des autorités chinoises est de modifier le mix de croissance-en donnant plus de poids à la consommation (par une hausse des salaires, une amélioration du système de protection sociale et de santé)- de manière à parvenir à une dynamique plus durable et plus soutenable. Ce faisant, les autorités ont du fixer, en connaissance de cause, un objectif de croissance plus faible.
Les années 2009-2010 s’étaient caractérisées par une hyper activité entrainant une accentuation des pressions inflationnistes, une flambée des prix de l’immobilier, une exacerbation de la spéculation. Pour apaiser la situation, la Banque centrale est intervenue agressivement en relevant le taux directeur, le taux de réserves obligatoires pour les banques. Les autorités ont aussi adopté plusieurs mesures-notamment la réduction des permis de construire- pour assurer un contrôle des prix de l’immobilier et limiter les mouvements erratiques.

A ce mouvement structurel initié pour ralentir la croissance, s’est ajouté un mouvement conjoncturel que la Chine n’avait pas vu venir, à savoir la détérioration de la conjoncture aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, et par là, le déclin des exportations chinoises vers ces grandes zones. Alors que les exportations vers le Japon et l’Europe progressaient habituellement d’environ 20%, la tendance a été quasi nulle cette année. La contribution des exportations dans la croissance chinoise est pratiquement égale à zéro aujourd’hui.

Pour certains, la croissance de la Chine serait plus faible que ce qui est annoncé. Les autorités chinoises auraient tendance à fausser les chiffres à la hausse comme à la baisse. Autant une évolution de 10% de PIB équivaudra à une hausse de 11-12%, autant une baisse à 7% correspondra dans la réalité à un fléchissement à 5-6%. Croyez-vous cela plausible ?
Un fléchissement à 5-6% n’est pas impossible. Pour autant nous dénotons une certaine stabilisation de la croissance à présent. Il n’est pas exclu qu’un redémarrage se dessine au quatrième trimestre 2012. Il y a lieu de relativiser les données chiffrées par le fait que la qualité de la croissance en Chine est meilleure, notamment moins consommatrice en énergie. Aussi, le recul de la production d’électricité à 5% n’est pas de nature à laisser penser que la croissance sera forcément moindre dans les mois à venir.

Clairement, les autorités chinoises n’ont donc pas perdu le contrôle de la croissance de leur économie ?
Il ne me semble pas.

On semble s’étonner que la Chine ne se soit pas lancée dans un plan budgétaire aussi important que celui déployé en 2009 de 800 milliards de dollars ?
Les autorités ne veulent pas répéter les erreurs du passé, à savoir trop investir. C’est ce qui explique que pour le moment, le montant des projets avancés s’élève à 120-140 milliards de dollars.

Le pays a-t-il vraiment le choix de ne pas aller vers un plan de relance keynésienne d’une ampleur plus importante. Ce d’autant plus qu’en 2008, l’économie pesait 4000 milliards de dollars, alors qu’à présent elle pèse 7000 milliards de dollars et que l’investissement représente plus de 50% dans le PIB ?
La croissance de la consommation continue à être très forte, de plus de 10% en réel et de 15 à 18% en nominal. Elle est donc en train d’occuper une place de plus en plus significative dans la croissance du PNB (37-38% contre 35% en 2011, et on s’achemine vers 40%).
La baisse des prix des matières premières devrait conduire à un moindre poids des importations dans la balance commerciale chinoise. De ce fait, les exportations nettes devraient davantage contribuer à la dynamique économique du pays, à hauteur de 1% d’ici la fin de l’année.
Les dépenses permettant d’assurer le fonctionnement de l’administration publique devraient participer à hauteur d’au moins 10%.

Les autorités auront ainsi moins besoin de recourir à l’investissement.

Faut-il s’attendre, pour autant à d’autres projets d’investissement ? A quel montant pourrait-on arriver in fine ?
Sans doute. Des plans importants restent à valider dans le cadre du 12ème plan quinquennal du Parti. Nous devrions encore voir des annonces au cours des prochaines semaines, ce d’autant plus que c’est le moyen le plus efficace pour agir sur la conjoncture.
Je n’ai pas vraiment d’idée sur le montant global que pourraient atteindre ces investissements. Nous ne nous attendons pas à ce que cela s’élève à 800 milliards de dollars comme en 2009. Il faudrait réellement que la situation devienne très préoccupante pour parvenir à un tel niveau.
Cela étant, parler d’un moindre poids des investissements dans la croissance ne signifie pas forcément une baisse en volume de ces investissements, mais un recul de la part de ces investissements comparativement à celle de la consommation.

Des dérives sont craintes par rapport à ces projets d’investissement ?
Beaucoup d’analystes mettent effectivement en évidence une surcapacité de production dans certains pans de l’économie. La vision chinoise est telle que c’est la production qui crée la demande.
La Chine étant un pays en pleine émergence, les besoins à moyen et long terme sont toutefois énormes. Les phénomènes de surcapacité sont, la plupart du temps, temporaires. Si la question de la rentabilité à court terme mérite d’être posée, il en est différemment s’agissant de la rentabilité à long terme.

Pour aider les exportations, les autorités pourraient alléger la fiscalité des sociétés exportatrices…

Cette fiscalité ne pourra aider qu’à la marge dans la mesure où les autorités ont peu d’influence sur l’évolution de la demande mondiale et dans la mesure où la devise chinoise continue à s’apprécier.

Un danger proviendrait des banques chinoises… Un crédit trop bon marché a été abondamment distribué ces derniers mois. 700 milliards de yuans ont été distribués en août…
Sur un plan historique, la distribution de crédits apparait encore modérée. Les conditions financières sont encore restrictives. Les créances non performantes ont augmenté compte tenu de l’essoufflement de l’économie. Selon les autorités, si la croissance tombait à 5-6%, le niveau de ces créances non performantes pourrait monter à 7-9% du bilan bancaire. C’est certes un montant conséquent, mais c’est un montant gérable. Ce d’autant plus que le ratio dette sur PIB est peu élevé, à 35% si l’on tient compte de la dette des provinces et des gouvernements locaux. Il y a suffisamment de réserves pour recapitaliser les établissements en difficulté ou procéder à des schémas de sécurisation.
Le ratio dette sur dépôt de 66% n’est pas exagéré.

Quelle est votre vision sur le marché de l’immobilier ?
Après le coup de frein de 2010-2011, le prix moyen de l’immobilier dans les cent principales villes chinoises a repris sa tendance haussière ces derniers mois. Les ventes ont considérablement augmenté.

Existe-t-il d’autres zones d’ombre que vous surveillez de près au niveau de l’économie chinoise à ce jour ?

D’autres zones d’ombre existent mais à vrai dire, je ne suis pas inquiet sur la capacité des autorités à agir en temps utile dans la mesure du possible pour influencer la conjoncture. Ils ont tous les outils, tous les leviers pour le faire.


Propos recueillis par Imen Hazgui