Interview de Patrice  Coulon : Directeur Général Délégué de General Electric Capital France

Patrice Coulon

Directeur Général Délégué de General Electric Capital France

Entreprises françaises : ma préoccupation ne concerne pas tellement 2012 mais avril 2013

Publié le 26 Novembre 2012

Vous avez organisé jeudi dernier un colloque autour de la croissance des entreprises de taille moyenne. Deux tables rondes ont été organisées autour d’experts de renom afin de mettre en évidence les défis auxquels sont confrontées ces entreprises pour se développer : l’aide au financement, l’assouplissement de la réglementation, l’internationalisation. Quel est selon vous l’obstacle le plus important à faire disparaitre de toute urgence ?
Il est difficile de dire quel est le plus important défi entre les trois. Le financement est bien entendu le nerf de la guerre. Cependant, ce n’est pas parce que l’on résout ce seul problème de financement que la situation s’améliorera. La résolution des trois défis doit se faire de manière concomitante.

Quel vous semble dans ce cas le défi le plus facile à résoudre ?
De manière peut être paradoxale, l’obstacle le plus évident à lever est l’accès au financement.
Le processus de changement de la règlementation demande du temps. En outre, ce processus d’évolution n’est pas sans conséquences négatives : l’instabilité juridique et fiscale, l’effet rétroactif qui condamne des entreprises sur des orientations prises préalablement et remises en question.
Au même titre que le problème de la réglementation, le problème de l’internationalisation est plus difficile à résoudre car plus long dans le processus et plus aléatoire.

Pour remédier à ce problème de financement, quelle mesure vous semblerait la plus urgente à mettre en œuvre ?
Créer une incitation fiscale plus tranchée sur la possibilité d’investir dans les fonds propres de nos entreprises. Cette incitation serait la priorité des priorités.
Celle-ci aurait un impact immédiat sur les investisseurs potentiels que chacun d’entre nous pourrait être et serait un levier pour le renforcement des fonds propres qui faciliterait d’autant le recours au financement court terme.

Quelle forme prendrait cette incitation ?
Pour les entreprises cela pourrait prendre la forme d’un crédit d’impôt plus radical que celui envisagé jusqu’à présent. Pour les particuliers, il faudrait que ce soit une réduction fiscale plus significative.

Quel est votre sentiment sur l’évolution des ETM en France. Si l’on considère que ces ETM sont 36 300 aujourd’hui, quel objectif pourrait-on légitimement se fixer dans les deux à trois années à venir ? Quel pourrait être alors le poids de ces ETM dans l’économie française, dans l’emploi français ?
Au cours des prochains mois, la croissance étant ce qu’elle est, la donne ne va pas fondamentalement changer. Je table sur un statu quo.
Au cours des cinq prochaines années, j’ose espérer que nos entreprises de taille moyenne et intermédiaire représenteront un poids plus significatif dans l’économie française et deviendront le plus gros employeur de l’Hexagone avec une dynamique exponentielle à l’international et non pas seulement à l’exportation.
Je pense réellement que nous en sommes capables.
Il y a une prise de conscience quasi unanime que c’est dans cette direction qu’il faut concentrer tous les efforts.

L’étude que vous avez réalisée conjointement avec l’Essec sur le marché des entreprises de taille moyenne met en évidence l’absence d’un lien identitaire très fort autour des ETM françaises contrairement à ce qui existe avec le Mittelstadt allemand. Quelles répercussions à cette absence selon vous ? Pensez-vous cela remédiable. Comment ?
Il me semble que l’on a tort de vouloir se lancer dans une tentative de copier-coller avec ce que fait l’Allemagne. Nous n’y arriverions pas, ce d’autant plus que l’écart entre la France et l’Allemagne est conséquent, en particulier au niveau culturel.
Si le Mittelstadt allemand est ce qu’il est aujourd’hui c’est parce que la première puissance européenne fonctionne depuis plusieurs décennies de manière totalement décentralisée avec une image de l’entreprise intermédiaire quasi meilleure que la grande entreprise nationale.
En France, à défaut d’être parisien, on est encore trop Ile-de-France « addict ».
Le Cac 40 ou le SBF 120 sont les locomotives dans lesquelles toutes les entreprises souhaiteraient monter, notamment les talents pour parler de Ressources Humaines.

Les entreprises intermédiaires qui ont pour la plupart un caractère familial ont du mal à se reconnaitre dans une identité que quiconque souhaiterait bâtir autour d’elles. La réflexion des dirigeants de ces entreprises s’inscrit en un cercle fermé. La logique suivie est plus qu’ailleurs une logique de long terme et de transmission patrimoniale.
Le phénomène est tel qu’il empêche toute acceptation d’assimilation à une catégorie propre d’entreprises qui ouvrirait la porte à une attractivité plus importante de talents.
Au demeurant, la solution ne passe pas forcément par ce lien identitaire.

Le gouvernement a dernièrement annoncé plusieurs mesures visant à mieux intégrer les entrepreneurs français dans la dynamique de croissance du pays. Quel regard portez-vous sur le Pacte de compétitivité, le rapport Louis Gallois ?
Cela va dans le bon sens. Cela a le mérite de définir un cap. Le manifeste de l’intention est clair. Plusieurs problématiques phares sont envisagées et traitées. De grandes lignes sont tracées.
Il y a une volonté de s’engager autrement dans la durée, et ce, pendant toute la période du quinquennat.
Il faudra cependant rester attentif au vote final pour s’assurer, notamment sur les fameux crédits d’impôt qu’il n’y ait ni conditions ni contreparties qui soient trop lourdes pour remettre en cause leur bien fondé et l’avantage procuré.

Vous attendez-vous à d’autres annonces similaires, dans quels domaines en particulier ?
Je souhaiterais voir une révision à la hausse de certaines enveloppes. Le montant du crédit d’impôt, de 20 milliards d’euros, est insuffisant.

De quelle manière GE Capital tente-t-il d’influencer la cadence de ces mesures ?
Nous sommes proactifs dans tous les think tanks de manière à faire valoir notre expertise de terrain. Nous avons été un acteur moteur dans la crise pour soutenir les entreprises de toute dimension par un mode de financement alternatif au financement par crédit bancaire traditionnel.
Nous militons pour voir se développer les financements adossés à des actifs, aujourd’hui sous-utilisés en France et qui permettraient de donner un ballon d’oxygène important aux entreprises.

Qu’entendez-vous par là ?
En ce qui concerne le financement à court terme, tout ce qui peut être adossé à des créances commerciales -qui représentent en moyenne 40% des actifs du bilan d’une entreprise- à du stock ou des actifs encore plus tangibles (comme les matériels et équipements).
Ces actifs seraient des garanties apportées par l’entreprise pour obtenir du financement pérenne, compétitif et volumineux auprès d’acteurs alternatifs comme GE Capital.

A un mois et demi de la fin de l’année, quel regard portez-vous sur les difficultés de financement éprouvées par les entreprises ?
Sur l’ensemble de l’année, nous n’avons pas eu de changement significatif même si nous pouvons toujours trouver des exemples de difficultés d’octroi de crédit, de restriction des encours ou d’augmentation des prix.
Ma préoccupation ne concerne pas tellement cette année mais avril 2013, la sortie des comptes 2012. Les résultats devraient s’avérer largement inférieurs à ceux de 2011 en raison de la baisse significative de l’activité depuis plus de cinq mois en moyenne, qui rime souvent avec la baisse des résultats.
Il y a de fortes chances de voir une évolution restrictive dans le comportement des prêteurs traditionnels, ce qui sera problématique pour le financement de l’économie.

Propos recueillis par Imen Hazgui