Interview de Philippe Uzan : Directeur des gestions au sein d'Edmond de Rothschild Asset Management

Philippe Uzan

Directeur des gestions au sein d'Edmond de Rothschild Asset Management

Un des principaux risques pour la zone euro en 2013 : la lassitude de l'opinion publique

Publié le 28 Novembre 2012

Le marché attend impatiemment que l'Espagne demande de l'aide à l'Europe afin de bénéficier du soutien de la Banque centrale européenne. Jusqu’à présent, le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy s'obstine à refuser de le faire. Quelle suite des évènements escomptez-vous ?
L’annonce par la Banque centrale européenne du lancement d’un programme de rachat sur le marché de titres de dette émis par des pays en difficulté de la zone euro a clairement eu des effets favorables sur les taux obligataires espagnols.
A présent, le gouvernement de Mariano Rajoy joue la montre. Ayant déjà pris de nombreuses mesures de rigueur, les autorités espagnoles ne veulent pas avoir un important coût économique supplémentaire à payer. Elles cherchent aussi probablement à avoir plus de précisions sur ce que serait leur coût de financement en combinant les effets du MES et de l’OMT . Elles ont suivi de près les négociations qui viennent de se terminer sur la Grèce. Ce dernier pays a fini par obtenir des modifications substantielles sur les prêts du programme d’aide.

A quel horizon voyez-vous l’Espagne agir ?

Le gouvernement Rajoy a bouclé son financement pour 2012. A priori il n’a pas besoin de formuler une aide au MES d’ici la fin de l’année.
Il devrait en principe avoir besoin de placer 124 milliards d’euros d’obligations en 2013, ce qui est très conséquent.
Il encourt de plus un risque d’avoir la note de crédit long terme de l’Espagne dégradée au rang de « crédit risqué » par Moody’s et S&P.
Je ne vois pas comment il pourra traverser 2013 sans heurt s’il s’obstine dans son attente. Je m’attends donc à ce que cette nouvelle demande d’aide soit faite d’ici la fin du premier trimestre de l’année prochaine.
La question qui se pose est celle de savoir si l’Espagne agira à froid ou sous la pression. A ce titre, on peut observer que les taux obligataires ont terminé leur tendance baissière entamée cet été et évoluent désormais dans une fourchette.

Croyez vous que le dossier grec sera remis sur le devant de la scène l’année prochaine ?
Le dossier grec ne sera pas un sujet au début de l’année 2013. Ceci étant, tout le monde a conscience que l’argent prêté par le secteur public ne vaut pas sa valeur comptable. Il est impossible, notamment pour l’Allemagne de le reconnaitre en 2013. Des élections vont avoir lieu. La chancelière Angela Merkel ne peut pas se permettre d’aller devant le Bundestag pour reconnaître que le pays ne reverra pas entièrement la couleur de l’argent prêté à Athènes.

Cette position officielle de déni est certes dérangeante d’autant plus que personne ne croit que le ratio dette sur PIB pourra atteindre 124% d’ici 2020, mais elle est compréhensible.

Si le nous devions de nouveau entendre parler de la Grèce, ce ne serait a priori pas avant le deuxième semestre 2013.

Pensez-vous qu’une mauvaise surprise pourrait provenir de la France ?
Il est difficile de répondre à cette question. Le gouvernement français porte bien plus d’attention aux enjeux économiques que ce que le discours moyen laisse transparaitre. Cet attachement n’est pas dicté par une idéologie mais par la réalité de la situation.
La France est par ailleurs un des pays qui a délivré un résultat en termes de réduction du déficit budgétaire. L’objectif de ramener ce dernier à 4,5% du PIB sera probablement tenu.

La cible de 3% pour 2013 semble en revanche difficile à atteindre. Mais je ne crois pas que le marché se révoltera si le gouvernement finit l’année 2013 à 3,4%.Le marché apprécierait moins, à mon sens, un énième plan de rigueur l’été prochain pour aller chercher les dixièmes qui manqueront.

Une trajectoire constructive sera plus significative au regard des marchés que le chiffre trop ambitieux qui a été fixé.

Qui plus est, le déficit structurel devrait être à la fin 2012 à 2%. C’est ce déficit qui est au cœur du nouveau Pacte budgétaire.
Le Traité de Maastricht initialement envisageait un retour du déficit à 3% mais avec la possibilité de faire jouer les stabilisateurs économiques en cas de récession forte. Ces stabilisateurs ont été mis de coté après que l’Allemagne et la France les aient utilisés de manière excessive en 2003-2004. Or ces stabilisateurs avaient leur raison d’être. Il est logique que le déficit ait tendance à augmenter lorsque la croissance est faible.

La France est également attendue au tournant sur les réformes structurelles, le marché du travail, la compétitivité…

Il est probablement techniquement plus facile pour un gouvernement de gauche de réformer le marché du travail.
Un travail de fond a été engagé. Celui-ci n’est pas facile car les organisations syndicales et patronales ne sont pas habituées à trouver un accord. Sur la compétitivité, le gouvernement a surpris en reprenant sans délai une partie du rapport Gallois mais les milieux d’affaire resteront sceptiques tant que les discussions parlementaires ne seront pas closes.

Parmi les autres risques perçus à l’heure actuelle sur la zone euro, nous trouvons un embrassement du conflit au Moyen Orient qui pourrait faire envoler le cours du baril et le calendrier politique dans la région qui pourrait conduire à des instabilités ?

Une forte montée du prix du pétrole n’est pas un risque spécifique à la zone euro. Un embrasement du conflit au Moyen Orient ne serait bon pour personne.
Ceci étant, il y a dans le prix du baril une part du risque géopolitique non négligeable. Aussi, à contrario, si les tensions finissent par s’apaiser, cela fera baisser le prix de l’or noir.
Je vous rejoins sur le risque que constitue la lassitude de l’opinion publique et le risque politique. Nous avons pu observer une véritable ascension du courant eurosceptique.
Deux élections majeures auront lieu en 2013 dans la zone euro, en mars en Italie et en septembre en Allemagne. Il est extrêmement improbable que le courant eurosceptique l’emporte dans ces deux pays mais il pèsera sur les débats.
En 2014, aucune élection nationale majeure n’est prévue. Toutefois, des élections européennes devraient se dérouler. Il me semble que 2014 pourrait donc être intéressante pour voir des initiatives politiques être prises autour de l’Europe afin de « réenchanter » le projet auprès des peuples.

Vous mettez l’accent sur deux locomotives pour la zone euro sur le plan économique, les Etats-Unis et la Chine ?

Des négociations ont commencé entre la Maison Blanche et le Congrès afin de s’entendre sur un plan de réduction du déficit. Il y aura peu de changements au niveau de la composition du Congrès en janvier, les interlocuteurs d’aujourd’hui seront encore là dans 2 mois. 90 des sénateurs actuels seront encore là en janvier. Près de 400 représentants au sein de la Chambre seront encore les mêmes sur 435.
Nous sommes donc assez optimistes sur l’issue de ces discussions. Nous escomptons que sur les 600 milliards de dollars qui sont censés disparaitre (après la hausse des impôts et les coupes des dépenses), près de la moitié seront sauvegardés.
Dans le cas où cet accord est effectivement trouvé, la reprise des décisions d’investissement de la part des entreprises, la poursuite de la reprise du marché immobilier, les effets positifs sur l’industrie découlant de l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste et le niveau bas des taux d’intérêt plaident pour une croissance de l’économie américaine très correcte en 2013.
La contraction de l’activité publique ne sera pas de nature à remettre en cause cette croissance.

Les inquiétudes concernant la Chine ne se sont pas dissipées, au contraire. En témoigne l’état des actions chinoises qui sont à leur plus bas niveau depuis quatre ans ?
Les autorités chinoises tentent un pilotage fin pour faire calmer la spéculation et faire atterrir en douceur les prix du marché immobilier sans mettre à genoux le système bancaire.
En cela l’investissement dans les banques chinoises reste quelque chose de compliqué. Ce sont davantage des vecteurs de politique monétaire que des établissements gérés pour leurs actionnaires.
Toutefois, le marché immobilier et le secteur bancaire ne sont qu’une partie de l’économie chinoise, même si ils sont une partie significative des indices boursiers.
Les projets d’infrastructures continuent à se multiplier. Des dépenses sont faites dans la recherche, l’éducation, la santé… La consommation poursuit sa progression à un rythme supérieur à la croissance nominale.

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Propos recueillis par Imen Hazgui