Interview de Arnaud  de Dumast : Directeur de la gestion de Neuflize OBC

Arnaud de Dumast

Directeur de la gestion de Neuflize OBC

Actions européennes : parmi nos principales positions figurent Arkema, Air Liquide, Bureau Veritas, Syngenta, Saint-Gobain, Gemalto, Amadeus, Accor, Solveig, Crédit Agricole

Publié le 17 Janvier 2013

Comment expliquez-vous le redressement des actions européennes depuis plusieurs mois ?
Le redressement des actions européennes a commencé en juin. Le mouvement s’est ensuite accéléré avec le lancement par la Banque centrale européenne du programme de rachat des titres de dette des Etats membres de la zone euro en difficulté. Grâce à ce programme, la problématique de la dette souveraine a été mise de côté.

Pensez-vous que l’on connaisse une euphorie actuellement en décalage avec la réalité ?
Je ne parlerais pas d’euphorie. Ce qui s’est passé est avant tout une correction des excès des titres à la baisse.
Les entreprises se portent plutôt en bonne santé malgré le fort ralentissement de la conjoncture économique.
De nombreux investisseurs, sous investis en fin d’année, ont fait en sorte de se porter acquéreurs sur le marché afin de réduire leur sous investissement. C’est ce qui a entrainé l’accélération.

Vous attendiez-vous à un tel redressement ?
Compte tenues des considérations précédemment citées, je ne suis pas étonné.

Quelles sont les perspectives pour cette année ?
Nous nous attendons à une poursuite de la performance des actions européennes mais pas de façon linéaire. Des mouvements de consolidation ou de pause sont à prévoir.
Depuis le point bas des marchés, nous sommes sur une progression, en rythme annuel, de 25%. Ceci n’est pas un phénomène courant.

Certains voient une première consolidation en février-mars en raison du dénouement des discussions autour de la politique budgétaire aux Etats-Unis et des élections en Italie ?
Tout au long de l’année 2013, nous allons avoir des passages obligés, comme les négociations sur la dette américaine, les élections en Italie et en Allemagne, la situation espagnole. Ce sont autant de facteurs qui peuvent servir de déclencheurs à des consolidations.
Je ne saurais pas en revanche me prononcer sur les timings de ces consolidations.

Jusqu’où pourrait aller la correction ?
Nous pouvons avoir deux types de correction : une correction brutale comme en 2011, suite à une très mauvaise nouvelle, par exemple, une explosion en vol de l’Espagne. Dans ce cas, le marché aurait vocation à chuter.
Nous pouvons aussi avoir une érosion progressive, dans le cas par exemple ou les tensions dans les discussions aux Etats-Unis persisteraient. Nous serions dans une incertitude continue qui finirait par user les investisseurs et par les conduire à se porter vendeurs des titres.
Il est toujours possible de chercher à se protéger contre ce mouvement de consolidation. Ceci étant, je ne pense pas que nous aurons une correction qui aille au-delà de 8-15%.

Qu’est qui vous laisse penser que cette correction ne pourrait pas aller au-delà ?
Nous avons des forces de rappel. Nous sommes dans un environnement, qui toute chose égale par ailleurs, est relativement satisfaisant. Beaucoup d’investisseurs sont encore sous pondérés en actions et attendent pour acheter à des points d’entrée plus bas.

Quel est le potentiel de hausse des actions sur l’année ?

J’espère que l’on aura une progression de 8% sur toute l’année.

La volatilité ne devrait pas être aussi prononcée qu’en 2012 ?
A priori non.

Quels seront les catalyseurs du marché les plus importants ?
Le catalyseur le plus important me parait être les valorisations. Les PER prévisionnels, que ce soit pour le marché français ou le marché européen dans son ensemble, sont à des niveaux dégradés.
Le PER prévisionnel pour le Cac 40 se situe légèrement au dessus de 10. Un tel niveau se justifie en période de crise, mais pas en période de reprise.

Cela suppose une augmentation non négligeable des bénéfices. Le consensus table sur un taux de +10%. Qu’en pensez-vous ?
Notre stratégie est principalement basée sur la sélection de valeur. Les bénéfices sont davantage analysés titre par titre.
Ceci étant, cet ordre de grandeur nous semble tout à fait plausible.

Voyez-vous d’autres catalyseurs que les valorisations ?

Il y a certes les opérations capitalistiques, la prime de risque, la liquidité…mais tous ces éléments vont jouer à la marge.
La prime de risque est biaisée en ce que le marché obligataire ne se trouve pas du tout dans une configuration normale. Il est totalement guidé par la nécessité absolue de maintenir les taux à un niveau bas le plus longtemps possible.
Les opérations capitalistiques pourront animer le marché, mais pas le faire. Ils pourraient aussi être un indicateur de la faiblesse des valorisations. Contrairement aux gérants qui penseraient que les actions peuvent encore diminuer, les industriels seraient d’avis que les valorisations sont déjà très attractives et mériteraient que l’on s’y intéresse de près.

Quels sont les principaux risques à surveiller ?

La dette des Etats.
Nous ne sommes pas tellement inquiets à propos d’un dérapage au niveau de l’Espagne. Contrairement à ce qui s’est passé avec la Grèce, où l’on naviguait totalement dans l’inconnu, aujourd’hui des mesures existent pour calmer le jeu. La BCE s’est montrée ferme sur le fait qu’elle n’hésiterait pas à intervenir le cas échéant.
La véritable préoccupation est davantage liée aux conséquences des politiques d’austérité menées par les pays pour réduire leur niveau d’endettement. Ces politiques peuvent avoir un revers de la médaille récessif. Cela ne sera pas sans incidence sur les bénéfices et/ou les cours des actions des entreprises.

Qu’entendez-vous par là ?

Certes de nombreuses entreprises du Cac 40 ont leur activité à l’étranger et sont en mesure de résister à ces mesures d’austérité prises en France. Leurs bénéfices pourraient ne pas être grandement affectés. Cependant, si le PIB national venait à fortement reculer en raison de la politique économique pratiquée, cela conduira les investisseurs internationaux à se détourner massivement des actions françaises.
Même s’il n’est pas pertinent, le lien entre l’état de l’entreprise et l’état du pays d’origine ne sera pas perdu de vue.

Un risque d’exécution pourrait également se concrétiser ?
Tout le monde essaie d’adopter plus ou moins les mêmes réformes pour être plus compétitif, gagner des parts de marché et redresser la balance extérieure.
Il est très possible que les objectifs assignés ne puissent pas être respectés. Cela pourrait exacerber la volatilité sur les marchés.

De quel pays au juste la mauvaise surprise pourrait provenir ?
De pratiquement tous les pays. Le pays le plus en risque est l’Espagne. La France n’est pas à l’abri.

Cette toile de fond macroéconomique et financière vous conduit à quelle stratégie d’investissement ?
Il n’y a aucune rentabilité à attendre du monétaire à court terme. Il n’y a pas non plus de rendements intéressants à escompter des obligations souveraines des pays core de l’Europe.
Pour avoir du rendement et faire croitre la valeur d’un patrimoine, les investisseurs n’ont pas d’autre choix que de prendre du risque et de s’orienter vers les actions.

Les actions européennes sont elles celles qui présentent le potentiel de progression le plus important, notamment par rapport aux actions japonaises ?
Nous misons clairement sur les actions européennes. Le momentum est plus dynamique sur le plan macroéconomique. L’inflexion est plus favorable qu’aux Etats-Unis.
Nous sommes absents des actions japonaises. Sur les vingt dernières années, l’investissement sur les actions japonaises a été très peu rémunérateur du fait de la crise de déflation et de l’environnement de taux 0 dans lesquels le pays se trouve encore.
Le changement des autorités au pouvoir et la politique accommodante de la Banque centrale peuvent être des moteurs à court terme, mais pas de manière durable.

Quelle sont vos thématiques d’investissement ?
Nous sommes essentiellement sur la sélection de valeurs.
L’allocation est ensuite très thématique.
Nous jouons la thématique de l’exposition à la croissance des pays émergents via des valeurs européennes. C’est une manière d’avoir le beurre et l’argent du beurre. S’inscrivent dans cette logique Arkema, Air Liquide, Volkswagen, LVMH, Bureau Veritas, Bic, Edenred, Legrand, Imerys.
Une deuxième thématique est liée au déséquilibre offre-demande, à la raréfaction des matières premières ou à l’efficience énergétique. Nous pouvons citer Syngenta, Total, Saint-Gobain, Saipem, Essilor.
Une autre thématique encore met en avant les valeurs spécialisées dans l’innovation technologique comme Gemalto, Ingenico, Iliad, Amadeus, Google.
Nous sommes également positionnés sur le thème de la restructuration avec Henkel, Accor, Solveig. Nous préférons ce thème à celui des fusions-acquisitions car nous sommes avec ce thème confrontés à de vives incertitudes. On peut attendre longtemps la finalisation d’une opération de fusion-acquisition. La société que l’on pensait susceptible d’être rachetée peut décider de se porter acquéreuse d’une autre.
Enfin, une dernière thématique concerne les opportunités d’investissement. Là dedans nous trouvons les banques. Nous avons BNP, Société Générale, Crédit Agricole, Intesa.

Vous êtes davantage positionnés sur des valeurs de croissance que sur des valeurs décotées ? Le PER d’un titre comme Essilor s’élève à plus de 25…
Nous pensons que ces valeurs, malgré leur cherté relative, offrent encore un potentiel de progression important.

Avez-vous des valeurs d’Europe du sud ?

Nous avons Luxotica.


Propos recueillis par Imen Hazgui