Interview de Philippe Weber et Malik Haddouk : Responsable Etudes et Stratégie et Directeur de la Gestion Diversifiée

Philippe Weber et Malik Haddouk

Responsable Etudes et Stratégie et Directeur de la Gestion Diversifiée

Une progression des actions européennes de 10% à 15% nous parait vraisemblable

Publié le 18 Janvier 2013

Comment expliquez-vous le fort rebond des actions européennes de ces derniers mois ?
?Malik Haddouk
Par la disparition du risque d’éclatement de la zone euro suite aux déclarations et annonces du président de la Banque centrale europeenne, Mario Draghi, concernant l’irréversibilité de la zone euro. L’arme de dissuasion, résidant dans le lancement du programme de rachat des titres de dette des Etats membres de la zone euro en difficulté, a été efficace.

?Philippe Weber
La surabondance de liquidités a également constitue un facteur explicatif. Il y a 1000 milliards d’euros de liquidités excédentaires dans la seule zone euro.

Enfin, ce sont les faibles valorisations qui ont justifie un tel rebond. Si l’on considère la capitalisation boursière rapportée au PIB, en corrigeant des taux d’intérêt (à 2% aujourd’hui contre 10% il y a vingt ans), les valorisations semblent très basses.
Nous sommes sur un plus bas ratio depuis la création du Cac 40 sur des niveaux moyens soutenus pendant un trimestre (sauf exceptions comme lendemain des attentats du 11 septembre ou de la faillite de Lehman Brothers).

Un effet d’attraction s’est dessiné. La montée de certaines actions en raison de la dynamique de l’activité réelle a entrainée le rebond d’autres actions.

Quel regard portez-vous l’évolution de la croissance dans la zone euro ?

?Philippe Weber
Nous pensons être au plus bas du cycle économique dans la zone euro. Le pire est sans doute passé. Une des raisons qui nous pousse à cette affirmation réside dans le fait que le risque systémique a pratiquement disparu.
Parallèlement aux propos de M Draghi, la batterie des sommets européens a permis d’améliorer les conditions monétaires et financières dans la quasi-totalité des pays de la zone euro. Un regain de confiance devrait pousser les industriels à investir de nouveau.

Certes la situation économique est désastreuse en Grèce, en Italie, et en Espagne. La croissance est au point mort en France et l’Allemagne est de plus en plus affectée.

Cependant des mesures budgétaires drastiques ont été prises et devraient enfin porter leurs fruits.
Ainsi, la Grèce devrait dégager cette année un excédent structurel malgré la profonde récession dans laquelle elle est embourbee. Cela a été permis par le serrage de ceinture extrêmement violent auquel s’est livré le pays depuis 5 années.

Les dernières enquêtes de conjoncture de la Commission européenne, de l’IFO, de l’INSEE, ou encore les indices PMI tendent à mettre en évidence une stabilisation.
Nous devrions revenir dans une zone de croissance de l’activité réelle au deuxième semestre.

A quoi vous attendez vous sur le plan de la politique monétaire cette année ?

?Philippe Weber
Nous escomptons une baisse du taux directeur de 0,25% d’ici la fin du premier trimestre. Les prévisions d’inflation de la BCE sont désormais inférieures à l’objectif. En décembre, une diminution de ce taux avait été discutée par les membres du Conseil des gouverneurs.

Ce mouvement pourrait donner de l’oxygène aux banques emprunteuses auprès de la BCE. Il aura en revanche très peu d’effet sur l’économie réelle dans la mesure où l’eonia est déjà très proche de 0.

Une interrogation concerne le taux de la facilité des dépôts qui est à 0%. Il a été question de mettre en territoire négatif ?
?Philippe Weber
Je ne pense pas que cela se fera. Si le BCE baissait ce taux à -0,25%, elle ferait un saut dans l’inconnu.

Nous avons déjà eu des taux négatifs en Suède pendant 14 mois en 2009-2010 et au Danemark depuis un an.
Les effets constatés sont assez faibles. Le taux au jour le jour s'est quelque peu réduit, et la courbe des taux quelque peu aplatie. Cependant, à chaque fois quelques millions d’euros ont été concernés.
Dans la zone euro, l’encours se chiffre à 250-300 milliards d’euros. Si l’on compte ce qu’il y a en réserves excédentaires, cela donne 800 milliards d’euros.
Prélever une taxe de 0,25% sur 800 milliards d’euros pourrait induire des conséquences négatives notamment au niveau des SICAV monétaires dont les encours sont considérables.

Le gouverneur a indiqué que la question avait été discutée mais que les modalités de mise en application étaient compliquées.

La BCE pourrait elle agir sur le taux de réserves obligatoires ?
?Philippe Weber
Ce taux a déjà été diminué de 2 à 1% ce qui a permis de libérer 100 milliards d’euros de liquidités supplémentaires.
Je ne crois pas que le problème soit aujourd’hui un problème de liquidités. La BCE semble s’attendre à un remboursement anticipé de la part de certaines banques européennes des prêts octroyés dans le cadre des opérations de refinancement à long terme.

Si l’on demeure dans cet environnement relativement stable, la seule action de la BCE résiderait donc au niveau de son taux directeur ?
?Philippe Weber
C’est ce que nous anticipons.

Quels sont les principaux risques que vous identifiez à ce jour pour les actions européennes ?
?Philippe Weber

Les élections italiennes semblent bien se profiler. Selon les derniers sondages, une coalition entre le Parti démocrate et M. Mario Monti devrait se dessiner.
La popularité de la chancelière allemande est à son plus haut depuis la création de la RFA malgré la perte de plusieurs élections régionales par la CDU. A priori même si Mme Merkel n’avait pas seule la majorité, elle pourrait s’allier aux socio démocrates. En revanche les libéraux pourraient ne plus être représentés au Parlement – ce qui, du point de vue de la construction européenne, ne serait pas la plus mauvaise nouvelle.

En Espagne, de très importants efforts ont été faits. La Catalogne semble beaucoup s’agiter mais sans grand danger.
Dans l’ensemble des progrès sensibles sont perceptibles, en particulier les exportations espagnoles ont bien redémarré. Le pays n’a plus de déficit courant. Il n’a plus besoin de capitaux extérieurs pour financer sa nouvelle dette.

C’est justement ce qui pousse de plus en plus d’observateurs à tabler sur l’absence de demande d’aide de la part de l’Espagne pour déclencher l’intervention de la BCE ?
?Philippe Weber
Je m’attendais à ce qu’une demande soit formulée après les élections en Catalogne. Ce ne fut pas le cas. A ce stade, la probabilité n’est pas négligeable que l’Espagne ne demande pas cette aide cette année.

Les taux obligataires ont beaucoup baissé. De l’avance a été pris dans le programme de refinancement.

Alors d’où pourrait provenir les mauvaises nouvelles pour la zone euro ? De la France ?
?Philippe Weber

Les taux français comme les taux allemands sont voués à remonter. Du point de vue de l’analyse macroéconomique, cela est même souhaitable, les niveaux actuels étant tout de même un signe de crise.
Toutefois, nous ne nous attendons pas, à ce jour à une crise provenant de l’Hexagone.
Les réformes jusqu’ici envisagées, notamment sur le marché du travail, ont été bien accueillies par certains commissaires européens.

En dehors de l’Europe, un échec dans les négociations sur les questions budgétaires aux Etats-Unis pourrait fortement troubler les marchés. Un accord a été trouvé sur la hausse de la fiscalité. Restent les problèmes de coupes des dépenses publiques et du relèvement du plafond de la dette.
En cas de blocage, nous aurions 10% de dépenses fédérales en moins. Cela fait 2 points de déficit, 1-1,5% de PIB en moins.
A ce stade, nous nous attendons à un accord in extremis.

Un choc sur le pétrole pour des raisons géopolitiques est possible. Cela ne fait pas partie des évènements prévisibles.

Quel serait le risque financier majeur ?
?Malik Haddouk

Que les bénéfices des entreprises soient in fine moins bien orientés qu’on ne le présageait. Les entreprises de la zone euro ont payé un lourd tribut à la crise de la dette des Etats périphériques. Les bénéfices par action ont chuté de 50%.

Depuis 6 mois nous assistons à une remontée des anticipations bénéficiaires des analystes. Nous sommes alignés avec le consensus d’une croissance de 10% avec 50% de croissance pour les banques. Cela marquerait un retour à une situation normale.
Les entreprises européennes sont parvenues à s’adapter au contexte économique.

Selon vous, quel serait le principal catalyseur qui conduirait à une progression des actions de la zone euro ?
?Malik Haddouk

Le plus important catalyseur est de manière évidente la sous valorisation des actions.
La zone qui a le moins bien performé comparativement aux autres grandes zones du monde est la zone euro c’est ce qui explique que nous soyons de plus en plus favorables aux actions de la zone sauf incident majeur.
Sur 5 ans, la décote des actions européennes vis-à-vis des actions américaines s’élève à 40%.
Une progression de ces actions de 10% à 15% nous parait vraisemblable.

A quelle stratégie d’investissement votre scénario central vous conduit ?
?Malik Haddouk

A un retour sur les valeurs décotées, sur les valeurs des pays périphériques, sur les valeurs bancaires, sur les valeurs industrielles, cycliques.


Propos recueillis par Imen Hazgui