Interview de Catherine Garrigues : Responsable Gestion Actions Allianz GI France

Catherine Garrigues

Responsable Gestion Actions Allianz GI France

Les actions de la zone euro présentent le potentiel de progression le plus important en 2013

Publié le 24 Janvier 2013

L’Eurostoxx 50 a gagné près de 3% depuis le 1er janvier et plus de 25% depuis l’été 2012. Quel regard portez-vous sur ce rallye haussier ?
Ce rallye s’explique principalement par une perception différente du risque au sein de la zone euro faisant suite à l’affirmation par Mario Draghi, le président de la BCE, de son intention de faire tout ce qui est en son pouvoir pour assurer l’irréversibilité de l’euro. Ayant joint le geste à la parole, il a ainsi fait état début septembre du lancement d’un outil puissant au cas où la dette souveraine serait de nouveau attaquée.
Cette simple annonce, qui prouvait que la BCE était bien aux commandes, a pu diminuer la défiance vis à vis de la zone euro et calmer la spéculation négative. Cela s’est manifesté par une détente rapide des spreads sur les titres de dette de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal qui a conduit à la contraction de la prime de risque sur le marché des actions.
Les flux positifs ne sont pas vraiment réapparus mais les flux négatifs se sont estompés.

Comment expliquez-vous l'accélération du rallye ?
Un mouvement prend toujours de l'ampleur. Au début les investisseurs y vont prudemment en se demandant si la tempête est véritablement passée. Dès lors que le rallye dure, il gagne en intensité, les investisseurs y croyant de plus en plus.

Pensez-vous que ce rallye est allé trop vite trop loin ?
Le rallye a surtout concerné les valeurs financières. L'assurance constitue même le meilleur secteur de l'année 2012.
Une pause s’est faite en revanche dans la progression des secteurs qui jusque là tiraient la cote, comme la pharmacie, la consommation, la chimie, quelques biens industriels.

Vous ne parleriez donc pas d’euphorie en décalage avec la réalité macroéconomique ?
Non. Je parlerais de rééquilibrage dans la hausse du marché.
Celui-ci était totalement binaire depuis trois ans en raison de la crainte fondamentale que la zone euro pourrait ne pas survivre. Jusqu'à la mi-2012, la moitié de la cote affichait un effondrement et l'autre moitié une très bonne performance.
D’un côté des valeurs comme Sanofi, L'Oréal étaient avant tout considérées comme des multinationales qui présentaient pas ou peu de risque de pertes en capital. De l’autre côté des valeurs comme Portugal Telecom, Telefonica, Telecom Italia étaient massacrées car elles exposaient de manière frontale l'investisseur international au risque de change.

Selon vous, le marché est en train de s'unifier…
Tout à fait. Cette unification a commencé avec les valeurs financières, en particulier les valeurs bancaires. Leur sort était totalement lié à celui des titres de dette qu'ils détenaient. Un « hair cut » de 20% de la dette espagnole aurait eu à coup sûr une incidence importante sur l'état de santé de ces institutions. Aussi, lorsque le risque systémique a été écarté, ces valeurs ont de nouveau eu l’engouement des investisseurs. Le resserrement des spreads sur les titres de dette de ces sociétés financières a d’autant plus contribué au mouvement d'achat
Un changement de regard est en train de se faire sur les opérateurs télécoms. L'hémorragie s'est arrêtée du fait de la préoccupation affichée par les régulateurs autour de la rentabilité de ces entreprises. Plus personne ne les vend. Dans un marché haussier, elles montent. Dans un marché baissier, elles ne corrigent pas.

Les télécoms devraient être aidées par la fin du débat concernant l'érosion de leur rentabilité ?
Les actionnaires ont compris que le cash disponible serait majoritairement orienté vers le financement de la dette et l’investissement dans la 4G et la fibre optique.

Les utilities continuent néanmoins à être en mauvaise posture…
Ce secteur rencontre un problème d'endettement et de déflation des prix. Une surcapacité s’est développée consécutivement à la récession économique.
Pour que ces valeurs se remettent à monter, il faudrait qu'une réelle reprise économique soit au rendez-vous. Le retour à la performance ne sera pas pour 2013.

Certains s’attendent à une très prochaine consolidation vers fin février- début mars. Celle-ci permettrait d’avoir des points d’entrées plus intéressants. Est-ce votre avis ? Si tel est le cas, jusqu’où pourrait aller la correction ?
Beaucoup d’investisseurs s’attendent effectivement à cette consolidation -en raison d’un échec dans les discussions budgétaires aux Etats-Unis ou encore du fait d’une issue défavorable des élections en Italie. Ils peuvent alors attendre longtemps.
Dès lors que l’on ne peut pas parler d’euphorie, on ne peut pas parler de consolidation, à savoir un marché baissier pendant deux-trois semaines.
Il va y avoir des tensions, mais elles ne seront pas de nature à casser la dynamique haussière sur le marché.

Pensez-vous, en conséquence, que les actions européennes présentent le potentiel de progression le plus important cette année ?
Ce sont effectivement les actions de la zone euro qui présentent le potentiel de progression le plus significatif.
D’un côté le marché américain est cher. De l’autre côté, je n’arrive pas à très bien saisir ce qui se passe sur le marché japonais. Un plan de relance, par le déficit public, de 100 milliards d’euros est envisagé, alors que le pays a le ratio dette sur PIB le plus élevé. Ce plan de relance aura pour effet de creuser le déficit, actuellement de 8%, de 2-3% supplémentaires.
Si l’inflation est à ce jour faible, pour autant, le fonctionnement de la planche à billets ne sera pas sans répercussion négative. La hausse des prix pourrait bien avoisiner les 2-3%. Dans ce cas, le taux à dix ans passerait de 1 à 3%.
Assurer le financement d’un déficit de plus de 10% avec un taux à 3% n’est pas la même chose que l’assurer avec un taux à 1%.
Les actions japonaises peuvent donc monter jusqu’à ce que les investisseurs réalisent qu’ils font face à un désastre économique.

Quel potentiel de progression anticipez-vous pour ces actions de la zone euro ?

Nous pourrions avoir une très belle année boursière comme nous n’en avons pas eu depuis longtemps. Le potentiel de progression se situe, selon moi, entre 20% et 30%.
Il est intéressant de noter que25% de hausse ont été réalisés en 6 mois. En juin le marché était en baisse par rapport au début d’année.

Quels seraient les éléments qui contribueraient à cette hausse ?
Un premier élément réside dans le fait qu’il n’y a pas à l’heure actuelle d’alternative d’investissement.
Les épargnants ne veulent pas investir dans l’immobilier de peur que cela ne baisse.
Ils ne veulent pas aller vers le monétaire, ni vers les taux, en raison de la répression financière et des très faibles rendements.
Le crédit a épuisé ses munitions. Il n’y a quasiment plus de spread.
Il y a bien les obligations d’entreprises à haut rendement ou encore les obligations convertibles, mais ce sont de petits marchés qui offrent donc une moindre liquidité.
Si les épargnants veulent avoir du volume et du gain, ils n’ont pas d’autres choix que d’aller vers les actions.

Le retour des flux entrants se fera très progressivement…
Les particuliers ont été tellement écœurés par la volatilité qu’ils ne veulent massivement plus entendre parler des actions.
Les investisseurs institutionnels rencontrent des problèmes de réglementation.
Les banques n’ont pas d’actions dans leurs fonds propres. Pour les assureurs la règlementation a été reportée, mais pas modifiée.

Selon vous nous devrions en premier lieu constater le retour des investisseurs internationaux, et en particulier le retour des investisseurs américains ?
Aux Etats-Unis, la collecte actions en ce début d’année est colossale.
Certaines semaines, le niveau de la collecte a atteint des records historiques de plus de 20 ans.
Les Américains ont davantage l’habitude d’avoir des actions dans leur portefeuille que les Européens. Ils ont une plus grande culture financière.
Le retour des allocataires constituera aussi un moteur, les professionnels qui gèrent des portefeuilles diversifiés. La majeure partie des sociétés de gestion européennes sont encore sous investies.

Peut-on s’attendre à ce que les opérations capitalistiques stimulent également la classe d’actifs ?
Nous ne voyons pas beaucoup de rachats d’actions.
Pour ce qui est des acquisitions, nous avons ici et là quelques rachats de minoritaires par les maisons mères.
Les investissements des entreprises, que ce soit pour faire de la croissance organique ou de la croissance externe, sont globalement bas. Les entreprises ont profité des taux d’intérêt bas pour essentiellement se désendetter ou pour baisser le coût moyen de leur dette. Je m’attends à une poursuite de cette tendance.

Comment l’expliquez-vous ?
Ces entreprises ont une gestion de long terme. Voyant que les Etats ne parviennent pas à faire face à leurs problèmes de dette et de déficit, elles sont dans l’expectative.
Elles s’attendent à une multiplication des réformes : hausses des impôts, baisses des dépenses, changement de législation, rétroactivité des lois. Dans un cet environnement instable, elles ont tendance à suspendre leurs projets et à s’abstenir de prendre des décisions majeures très mobilisatrices de ressources.

Quels principaux risques entrevoyez-vous pour les actions européennes cette année. Certains évoquent des risques politiques ?
Les élections en Allemagne ne me semblent pas présenter un risque. Le consensus parie sur une coalition dirigée par Mme Merkel.
En Italie, une coalition se profile entre les partis de MM. Monti et Bersani. Le prochain gouvernement n’aura pas d’autre choix que de mettre en œuvre et même de renforcer les mesures prises jusque là, sous peine de voir la dette italienne de nouveau sous pression.
Un autre risque est lié aux réticences du Royaume-Uni à poursuivre et renforcer l’intégration européenne.

A partir de cette toile de fond macroéconomique quelles sont vos thématiques d’investissement ?
Le thème structurel du consommateur en Asie, en Amérique latine, en Afrique devrait perdurer. C’est un thème transversal qui peut concerner, au-delà des secteurs de la consommation courante, les secteurs du transport, de la publicité…
Il faudra être vigilant sur les valeurs de consommation cyclique (automobiles, luxe) dont le taux de croissance actuellement très soutenu peut s’affadir.
Le thème des matières premières est à mon sens terminé, en lien notamment avec le rééquilibrage de la croissance chinoise qui s’oriente vers plus de consommation et de services et moins d’investissement.
Le thème de la baisse du pétrole induite par le développement du gaz de schiste pourrait offrir des opportunités d’investissement.
La poursuite de la diminution de la prime de risque est un autre thème - déconnecté de la reprise économique - à ne pas négliger avec les financières et les télécoms.
Sur le plan géographique, le marché italien est très bon marché.

La moyenne des anticipations des bénéfices des analystes est de 12%. Qu’en pensez-vous ?
Le consensus a toujours tort.
Tout au long de l’année il va évoluer. Traditionnellement il démarre entre 10 et 15% en début d’année. Ensuite on termine très loin de ce chiffre initial, à la hausse comme à la baisse, selon les années.
Plus intéressant que le consensus, il faut surtout regarder l’évolution du ratio révisions en hausse-révisions en baisse divisé par le nombre de révisions totales. Cela rend compte du degré de fébrilité des analystes. Cela pourrait être un indicateur avancé pour le marché.
Historiquement, il faut acheter le marché actions quand cet indicateur est très négatif. Aujourd’hui c’est le cas.

Propos recueillis par Imen Hazgui