Interview de Jean-Luc Buchalet : Co-fondateur du cabinet indépendant de recherche économique et financière, PrimeView*

Jean-Luc Buchalet

Co-fondateur du cabinet indépendant de recherche économique et financière, PrimeView*

Nous attendons une croissance en Chine de 4% cette année

Publié le 15 Avril 2013

Que pensez-vous du dernier chiffre du PIB de la Chine ?
Il y a clairement de la manipulation de l’information de la part des autorités chinoises du fait de l’absence de contrepouvoirs. Les occidentaux ont peu de contacts avec les opérateurs locaux chinois en raison de la barrière de la langue. Peu parlent le mandarin. Qui plus est la barrière culturelle est également significative. La vérification sur le terrain des propos avancés est donc difficile.
Le chiffre de 7,8% de croissance de 2012 se rapprocherait en réalité, selon nous, de 4% ou 5%. Le taux de progression affiché ce lundi, à l’issue du premier trimestre 2013, de 7,7% est également très certainement plus bas, autour de 4%.
Des éléments viennent corroborer cette affirmation. Si l’on considère le prix des matières premières, le chef d’orchestre en matière de consommation est la Chine. Sur certains métaux, la demande chinoise représente entre 40% et 50%. Les volumes d’importation et les prix de matières premières comme le zinc, le plomb, le pétrole, l’or… ne cessent de baisser.

Il y a un gap considérable entre les chiffres d’exportations chinoises délivrés par Taiwan et les chiffres d’exportations chinoises dévoilés par la Chine. D’un coté, nous avons +10% et de l’autre +50%.
La même anomalie a été observée avec les exportations annoncées vers Hong Kong. La dernière statistique relayée est exceptionnelle alors que l’Europe va mal et que la reprise aux Etats-Unis est molle.

Pensez-vous que cela soit délibéré de la part des autorités centrales ou est-ce le fait des autorités provinciales ?

C’est totalement délibéré de la part du gouvernement. Ceux qui pourraient penser le contraire sont totalement naïfs.

A quelle suite des évènements vous attendez-vous pour le pays ?

L’essoufflement devrait se prolonger en raison du ralentissement des investissements dans l’immobilier qui constitue un puissant moteur de l’économie. La tendance sera progressive. Nous n’aurons pas une crise cardiaque comme en Europe avec la Grèce ou bientôt l’Espagne.

A force de fausser toutes les règles du jeu, celles-ci ont fini par se retourner contre la Chine. Le pays doit dépenser beaucoup plus pour maintenir le rythme de son expansion. Or elle se retrouve dans l’incapacité de suivre la cadence.

L’objectif des 7,5% ne sera pas atteint ?

Certainement pas. La croissance devrait davantage se situer autour de 4%. Je trouve d’ailleurs aberrant que des organisations internationales comme la Banque mondiale ou le FMI aient des évaluations carrément supérieures à celles fournies par le gouvernement central.
Les anticipations de ces institutions étaient en début d’année 2012 de 8,5% alors que le gouvernement annonçait une cible de 7,8%. Finalement, le chiffre officiel a bien été de 7,8%.

De nombreux observateurs ont interprété l’affaiblissement de la croissance chinoise par la transition politique qui était en train de se dérouler dans le pays. N’ayant plus personne aux commandes, les réformes ont alors été gelées…

Ces observateurs ne veulent pas voir la réalité. La transition politique était organisée depuis longtemps. Elle n’explique en rien l’amoindrissement de la dynamique économique.
Le système est simplement à bout de souffle. Selon les propres estimations du Bureau national, qui sont toujours exagérées, la consommation chinoise est en forte baisse. Une hyperinflation est notable dans certains secteurs : l’alimentaire et l’énergie. Cela a pour conséquence de grignoter davantage le pouvoir d’achat des Chinois qui est déjà négativement impacté par la hausse des prix de l’immobilier et le coût important des emprunts.
Le poids de la masse salariale représente 42% de la valeur ajoutée. C’est le pourcentage le plus faible parmi tous les pays dans le monde. Pour diminuer le taux d’épargne, il faut augmenter les salaires et mettre en place un système de sécurité sociale. Cela a un coût.
Parallèlement les disparités se creusent. L’indice GINI est à 0,65. Une minorité des citoyens détient l’essentiel de la richesse créée. L’hyper liquidité conduit à de la spéculation dans certaines poches.

Aussi, face à cela, les marges des entreprises chinoises sont en train de s’effondrer...

Les entreprises chinoises n’ont aucune capacité de répercuter sur les prix du fait du déséquilibre entre une offre élevée et une demande atone. Il y a une surproduction des biens.
Dans le solaire, 50 giga watts ont été produits pour une demande intérieure de 10 giga watts. La Chine représente 65% du marché mondial du solaire. Les prix ont décliné de 75 %. La première société du secteur a fait 1 milliard de pertes. Les subventions sous forme de prêts à taux 0 se sont élevées à 17 milliards de dollars. Le même phénomène se répète dans un tas d’autres secteurs, tel que l’acier.

La compétitivité des entreprises chinoises devrait aller en s’empirant ?

Le taux de change réel effectif a dépassé ses plus hauts historiques. En termes de compétitivité, le pays perd grandement du terrain. Un salarié chinois dans les provinces côtières en tenant en compte le différentiel de productivité, coute 70% d’un salarié américain. En ajoutant le cout de l’énergie, le cout de l’efficacité, le cout du transport, il est devenu moins cher de produire à certains endroits aux Etats-Unis qu’à certains endroits en Chine. Le low cost outre-Atlantique est délocalisé dans d’autres pays du sud est asiatique : le Vietnam, le Bengladesh.
La société chinoise Foxcom a 1,4 million de salariés. Le chiffre d’affaires est en forte augmentation. Cependant la part qui revient à Foxcom est minime et la marge n’arrête pas de chuter. Celle ci est passée de 8% à 2%. La société Lenovo a 7% de parts de marché et est leader. Cependant la marge s’est également réduite drastiquement.

Quel regard portez-vous sur l’analyse de Fitch concernant les risques sous jacent au système financier dans le pays et notamment à la montée en puissance du "shadow banking system" ?
Les conclusions de l’agence de notation sont entièrement fondées. Derrière trois années de hausse aussi prononcée de la dette privée, ne peut que se cacher une catastrophe.
Ce constat a été fait à partir des données officielles. Il est fort probable que lorsque si l’on ouvre le placard, le bilan soit plus sombre que cela, à l’instar de la crise des subprimes aux Etats-Unis. Des dégâts non négligeables sont à prévoir.

Les autorités chinoises ont dernièrement tenté de prendre des réformes, notamment s’agissant des produits de gestion de fortune ?

Le problème est que le système n’est plus sous le contrôle des autorités. Dès qu’une vanne est fermée, une autre est ouverte.
Ce qui s’est récemment passé avec les dizaines de milliers de cochons jetés dans les fleuves doit mettre la puce à l’oreille. Cela rend compte de l’ampleur du déraillement de la Chine.

Tablez-vous sur un resserrement monétaire ?
Le pilotage de la politique monétaire se fait à vue. Ceci étant, vraisemblablement, je ne m’attends pas à un tour de vis supplémentaire dans la mesure où cela affecterait le marché immobilier dont la Chine a besoin pour résister encore un temps.

Dans ces conditions, comment-voyez vous évoluer le marché actions chinois ?
Ce marché connait une correction depuis septembre 2009. L’indice de Shanghai est à son plus bas par rapport à l’indice MSCI émergent depuis mars 2009.
La baisse devrait se poursuivre. Nous ne sommes pas du tout positionnés dessus.

Quelle est votre allocation d’actifs du moment ?

Nous sommes très prudents bien que je ne sois pas un pessimiste par nature. Les choses ne sont pas réglées en Europe. L’incertitude persiste sur le plan budgétaire aux Etats-Unis.
Nous avons beaucoup de cash en attendant que le marché des actions américaines et dans une moindre mesure le marché des actions européennes se dégonflent quelque peu. Nous avons une allocation très tactique et nous efforçons de saisir les opportunités découlant de la volatilité.
Nous sommes beaucoup sur les valeurs défensives comme la pharmacie ou l’agroalimentaire. Nous évitons les financières, les cycliques et les matières premières. Dans les valeurs de croissance, nous sommes très défiants par rapport aux valeurs technologiques en raison de la surchauffe qui s’est dessinée.

Nous avons également un fort pari stratégique sur le dollar face aux autres grandes devises. Nous sommes face à renversement fondamental du billet vert.

*Jean-Luc Buchalet est auteur du livre "Chine, la face cachée" et co-auteur avec Pierre Sabatier du livre " La Chine, une bombe à retardement". Ce dernier a obtenu le prix du Jeune Talent décerné lors de la cérémonie du 26ème prix Turgot jeudi 28 mars dernier au Ministère des Finances, succédant ainsi à Philippe Herlin et Nicolas Bouzou.


Propos recueillis par Imen Hazgui