Interview de Michael Nizard : Gérant senior sur les devises chez Edmond de Rothschild Asset Management

Michael Nizard

Gérant senior sur les devises chez Edmond de Rothschild Asset Management

Marché des devises : nous avons une très forte conviction sur la livre sterling

Publié le 21 Mai 2013

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les échanges sur le marché des devises ?
Depuis le début d’année, le fait marquant reste l’annonce du doublement de la base monétaire japonaise et la poursuite des politiques monétaires exceptionnellement expansionnistes des grandes banques centrales. Une liquidité abondante est injectée régulièrement dans le marché par la Fed, par la BoJ, par la BoE... Les banques centrales sont à la manœuvre pour reflater leur économie et/ou lutter contre les pressions désinflationnistes.
De ce fait, la volatilité s’est nettement accentuée par rapport à l’année précédente. Par exemple, l’ampleur de la volatilité de la parité franc suisse contre dollar américain a dépassé celle de la parité euro dollar américain. Or historiquement, les fluctuations anticipées sur le franc suisse contre dollar étaient relativement faibles.

Pour autant, malgré la hausse de la volatilité, deux tendances semblent se démarquer, la hausse du dollar et la baisse du yen …
Il me semble injustifié d’anticiper une poursuite de la diminution du yen à 105-110 dollars de manière durable. Nous tablons de notre coté davantage sur une normalisation du yen entre 95 et 98 dollars.
L’objectif clé de la Banque du Japon est de faire remonter le niveau de l'inflation à 2%. Or, Les anticipations d’inflation des agents économiques ont fortement remonté. Elles sont passées, sur une échéance de 5 ans, de 0,8% en novembre 2012 à 1,6% actuellement, soit un niveau proche de la cible assignée. Aussi, notre idée est de dire que l’atteinte du seuil des 2% par les anticipations devrait pousser à une normalisation de la parité yen dollar. Autrement dit, le cours du yen devrait s’élever quelque peu contre la devise américaine.

A quel horizon voyez-vous cette normalisation ?
Au cours du second semestre 2013. Il est possible que la parité touche momentanément un niveau plus élevé que présentement, 105 dollars, mais rapidement elle devrait fléchir de nouveau. Nous aurions alors un « overshoot » qui se corrigerait très promptement.

Quel regard portez-vous sur la parité euro-dollar ?
Après avoir alimenté des doutes sur le redressement des Etats-Unis pendant plusieurs mois, on constate que celui-ci est toujours d’actualité sur le plan industriel, sur le front de l’immobilier, s’agissant de la consommation, ou des investissements.
Parallèlement, l’Europe est engluée dans un marasme économique.
Il y a clairement un déficit conjoncturel entre l’Europe et les Etats-Unis. Ce gap fondamental milite pour une poursuite du dollar contre l’euro tout au long des prochains mois.

D’autre part, la prime de risque sur la zone euro s’est fortement réduite. Les taux à dix ans des pays de la périphérie comme le Portugal, l’Irlande, l’Espagne ont beaucoup reculé par rapport au taux à dix ans allemand.
Le potentiel d’une compression de cette prime est faible aujourd’hui. Ce levier peut ainsi moins contribuer dans la résistance à l’euro contre le dollar.

L’argument qui plaide aussi pour un renforcement du dollar réside enfin dans la divergence d’orientation de la politique monétaire menée par la Réserve fédérale américaine par comparaison à celle conduite par la Banque centrale européenne.
Alors qu'il est attendu de la part de cette dernière un allégement de sa politique -par une baisse supplémentaire de son taux directeur, la fixation d'un taux de rémunération des dépots négatif ou encore le rachat de titres adossés à des actifs sur le marché- les anticipations s’intensifient sur un début de sortie de la Fed de sa politique agressive d’assouplissement quantitatif d’ici la fin de l’année, ou en début d’année prochaine.
Le mois de septembre sera crucial sur la visibilité de l’évolution du comportement de la Fed. L’écartement entre le taux américain et le taux européen devrait s’élargir et devrait participer au mouvement d’appréciation additionnelle du dollar vis-à-vis de l’euro. Nous prévoyons une sous performance du taux 10 ans américain vis-à-vis du taux 10 ans allemand. Cet écart est aujourd’hui de 0,60%. Il pourrait s’élever à 0,80%-0,90%.

Les flux de vente et d’emprunt qui avaient fait diminuer le cours du billet vert jusqu’à janvier devraient se reporter sur d’autres l'euro offrant un plus haut rendement.

Vers quel niveau pourrait se diriger la parité ?
Nous avons commencé à nous positionner pour un renforcement du dollar contre l’euro lorsque la parité à atteint 1,35 fin janvier, début février. Nous tenons cette position et nous avons en ligne de mire la zone 1,22-1,25.

Vis-à-vis de quelles autres monnaies escomptez- vous une remontée du dollar ?
Vis-à-vis du franc suisse et du sterling principalement

Vous avez une conviction forte sur le sterling ?
La livre sterling devrait connaitre une dépréciation forte, particulièrement contre l’euro.
L’arrivée du nouveau gouverneur Mark Carney devrait donner un signal fort d’une politique monétaire plus agressive pour doper l’économie britannique.
Le déficit budgétaire est très élevé et ne cesse de se détériorer. La marge de manœuvre du gouvernement est donc serrée sur les leviers autres que la devise.

Mark Carney a évoqué le fait d’assigner un nouvel objectif à la Banque centrale, en plus de celui sur l’inflation, qui se focaliserait sur le PIB nominal. Pensez-vous que cela sera efficace ?

Nous pourrions avoir un objectif de croissance du PIB nominal relativement élevé. Cela pourrait constituer un catalyseur important pour la baisse de la livre.
La parité euro sterling devrait aller à 0,87 et évoluer donc de -4%,-5%. La parité sterling dollar devrait se situer à 1,45, contre 1,52 aujourd’hui.

Envisagez-vous dans votre scenario des réactions violentes de certaines banques centrales vis-à-vis de la stratégie agressive déployée par la Banque centrale du Japon ?
Nous avons pour le moment au niveau du G20 et du G7 l’expression d’une certaine satisfaction vis-à-vis de la stratégie de la BoJ.
Il me semble que nous aurons du mal à voir une levée de boucliers de la part d’autres pays, même si la Banque centrale de la Corée a diminué son taux directeur en réponse à la concurrence exercée par les exportateurs japonais vis-à-vis des exportateurs coréens.

Cela pourrait-il vous inciter à aller sur le won ?
Globalement nous sommes d’avis qu’il y a encore des gains marginaux à prendre sur les devises asiatiques. Nous n’avons pas de conviction sur le won a proprement parler.

Que pensez-vous des paris faits sur une baisse additionnelle du dollar australien, du dollar canadien et du dollar néo zélandais ?
Nous constations déjà une dépréciation de ces monnaies consécutivement au ralentissement de la croissance chinoise et à l’affaiblissement des prix des matières premières.
Le fait que la Banque centrale d’Australie ait procédé à un amoindrissement de son taux directeur a contribué davantage à la dépréciation du dollar australien.
Cependant, nous n’avons pas de forte conviction sur la suite des évènements. N’ayant pas de visibilité claire sur l’évolution des prix des matières premières, nous restons plutôt à l’écart de ces devises.

Propos recueillis par Imen Hazgui