Interview de Kurt  Kotzegger  : Directeur de la gestion chez Raiffeisen Capital Management

Kurt Kotzegger

Directeur de la gestion chez Raiffeisen Capital Management

BCE, Fed, BoJ, BoE : les banques centrales ne sont pas des magiciennes

Publié le 13 Juin 2013

Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés financiers aujourd’hui ?
Il est intéressant de constater que le mouvement des actifs financiers est impulsé par la liquidité massive injectée par les banques centrales, et non par la croissance. Plusieurs signes apparents le montrent.
En premier lieu, nous pouvons observer une reprise seulement aux Etats-Unis et au Japon, nulle part ailleurs.
De plus, si nous considérons les différents segments de marché, dans les obligations, les actions, les matières premières, certains d’entre eux habituellement poussés à la hausse par la croissance, affichent une sous performance. C’est le cas des actions émergentes, et des métaux industriels. Ces instruments historiquement performent lorsque les investisseurs anticipent une croissance mondiale. Or ce n’est pas ce que nous constatons.
Parallèlement, certaines obligations notées triple A, comme les obligations allemandes et les obligations américaines se situent à des niveaux très faibles mêmes si nous avons eu une légère augmentation ces derniers jours.
Si le marché prcait véritablement une croissance plus importante, les taux à dix ans américains ne seraient pas montés de 1,50% à 2,20% mais à 3% ou plus.

Par conséquent, le risque principal que nous percevons n’est pas lié à une dégradation de la croissance mais à un retrait de la liquidité. En Europe, par exeple, le marché table sur une croissance atone, quoi qu’il en soit.
Le risque réside dans une mauvaise compréhension par le marché de la stratégie de sortie de certaines grandes banques centrales. Celles-ci pourraient décider d’interrompre leur programme de rachats abondants de titres de dette sur le marché, d’abord aux Etats-Unis mais aussi au Royaume-Uni et au Japon.

Il y a un risque que le marché ne parvienne pas à appréhender correctement l’intention de la Réserve fédérale américaine ?
Je le crains. Le marché pourrait réagir très négativement lorsque la Fed commencera à réduire ou accentuera la préparation de la fin de son programme de rachats. Cette perception négative a déjà commencé du fait que la Fed est en train de parler de plus en plus de la probabilité d’une sortie de sa politique d’assouplissement quantitatif (ou quantitative easing).

Que voulez-vous dire ?
Le marché pourrait croire que la Fed va totalement sortir de sa politique actuelle d’ici la fin de l’année.
Par ailleurs, lorsque la Fed commencera à normaliser sa politique monétaire, le marché pourrait anticiper un taux positif réel à 1% ou 2%.
Or, même après avoir absorbé les effets les plus restrictifs de la politique budgétaire qui pourrait être conduite, la croissance américaine sera de 2%. Il n’y a de ce fait, plus aucune raison d’avoir un taux réel négatif mais pas de raison non plus d’avoir un taux réel positif bien plus élevé.

La Fed rachète à ce jour, tous les mois, 85 milliards de dollars de titres sur le marché. Quel pourrait être le prochain montant de rachat annoncé par la Banque centrale américaine ?
Je ne saurai prétendre pouvoir donner une telle précision. Je ne sais pas si la Fed va ajuster l’ampleur de son programme de 85 milliards de dollars par mois à 40 milliards par mois, puis à 0 ou si elle ira de 85 milliards à 60 milliards, puis à 40 milliards, puis enfin à 0.
Je ne pense pas que cela soit le plus important pour le marché. Ce qui sera primordial, ce sera la progressivité de la contraction de ce programme de rachat.

Au delà de la fin des rachats de titres de dette sur le marché, une autre question qui se pose est celle de savoir ce que la Fed envisage de faire avec les instruments obligataires qu’elle détient dans son bilan?
La Fed pourrait décider de réduire davantage son bilan en décidant de ne pas remplacer les instruments détenus qui arrivent à leur maturité par des instruments nouvellement émis.
Ce comportement dépendra énormément de l’évolution des statistiques économiques.

Redoutez-vous une sortie massive des investissements des obligations souveraines américaines ?
Oui, nous pourrions effectivement avoir un mini krach obligataire.

Cette possibilité est-elle élevée ?

Non, c’est juste un risque.

De quelle manière considérez-vous la politique monétaire de la Banque centrale européenne?
En Europe, nous pouvons inclure les opérations LTRO, autrement dit les opérations de refinancement à long terme des banques européennes par la BCE comme une forme de politique d’assouplissement quantitatif. Dans ce cas, nous avons déjà eu une réduction de ce quantitative easing.

La BCE va essayer de faire ce qu’elle peut pour mettre fin à la crise de la dette de la zone euro. Nous pensons qu’il n’y a aucune raison pour douter de sa capacité à protéger la zone euro. C’est pourquoi, nous croyons que les investisseurs devraient aujourd’hui détenir des obligations des pays périphériques de la zone euro. Il peut encore y avoir par moment, des tensions, notamment si un autre pays membre vient à solliciter de l’aide auprès de la BCE. Cependant cela ne devrait pas aller jusqu’à raviver un risque systémique.

Qu’attendez-vous exactement de la part de la BCE ?
Le président de la BCE, Mario Draghi, a indiqué que l’institution monétaire était techniquement prête pour abaisser le taux de rémunération des dépôts fait par les banques européennes auprès d’elle, en territoire négatif. C’est une option que l’on peut donc écarter.
D’un autre côté, les banques centrales ne sont pas magiciennes. Elles ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent et obtenir les résultats qu’elles escomptent.
Ce que je veux dire, c’est qu’il n y a plus de demande de crédit en Europe. Le marché interbancaire n’est pas très dynamique. Il y a donc une limite dans ce que la BCE peut accomplir. Nous sommes d’avis, alors, que la BCE intensifiera certainement sa politique monétaire mais ne pourra pas changer l’environnement en Europe en raison de la passive attitude des ménages et des entreprises sur le plan du prêt bancaire.

Que pensez-vous de la situation au Japon ?
Le Japon est assurément loin d’arrêter sa politique d’assouplissement quantitatif. Toutefois, un risque psychologique plane sur le Japon. Le pays a été en déflation depuis de très nombreuses années. Les autorités doivent s’efforcer de casser l’appréhension des participants sur le marché. C’est très difficile à faire.


Quelle est votre allocation d’actifs ?
Si nous mettons tout dans un même sac, que l’on adopte une perspective d’investissement de long terme, et que l’on s’attache à se concentrer sur les actifs qui délivrent un rendement suffisant par rapport au risque pris, les meilleures opportunités sont contenues dans le marché des actions, spécialement en Europe, dans les pays émergents, au Japon. Les investisseurs devraient cependant rester à l’écart des actions américaines qui sont chères si l’on se positionne dans à un horizon relativement long.

Du coté des obligations, une exposition aux obligations indexées sur l’inflation est préférable aux obligations nominales. Les obligations d’entreprises sont plutôt à éviter, que ce soit les obligations d’entreprises bien notées (investment grade), les obligations d’entreprises plus risquées (high yield) ou des obligations émises par les marchés émergents.
Les obligations d’entreprises n’ont pas besoin de croissance pour performer, mais d’un bilan sain, et d’une forte probabilité de remboursement du capital investi.
Dans une optique d’investissement pour l’année prochaine, les investisseurs devraient s’éloigner des obligations d’entreprises. Dans une perspective absolue, les obligations d’entreprises sont trop chères.

Si nous nous intéressons aux matières premières, notre vision est cette classe d’actifs n’est pas une classe d’actifs traditionnelle mais une classe d’actifs alternative. Avoir des matières premières constitue une nécessité pour être couvert contre les incertitudes économiques et l’inflation. Ce n’est pas un investissement que l’on doit envisager pour du rendement.

Quelle pourrait être le plus important changement dans votre allocation d’actifs au cours des prochains mois ?
Il est difficile de le dire car cela dépendra beaucoup de l’évolution des marchés. Si les actions remontent de 20%, alors nous nous réorienterons massivement vers les actions, sinon nous nous redirigerons vers les obligations.
Nous pourrions au demeurant réduire la part des obligations souveraines dans les portefeuilles du fait du réajustement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine.












Propos recueillis par Imen Hazgui