Interview de Jean-Luc  Buchalet : Président-directeur général de Pythagore Investissement BP

Jean-Luc Buchalet

Président-directeur général de Pythagore Investissement BP

Marchés financiers : nous devrions avoir un été chahuté

Publié le 26 Juin 2013

De quelle manière avez-vous accueilli les dernières déclarations de la Banque centrale de Chine ? Celle-ci a clairement fait savoir qu'elle n'agirait pas de manière agressive pour injecter davantage de liquidité dans le système financier chinois.
La décision de la Banque centrale n'est pas surprenante.

Une bulle immobilière s’est formée dans les villes de première, troisième et quatrième catégorie. Des crédits ont été massivement distribués par des acteurs financiers fragilisés du "shadow banking system" qui représente à ce jour 68% du PIB national.

Le volume de crédit a progressé de 20% à mai alors que le PIB n'a progressé que de 7,5%. Visiblement l’augmentation des prêts consentis n’a pas alimenté suffisamment l’économie réelle.

Les autorités chinoises s'efforcent de freiner la cadence...

Par la publication de sa note sur son site ce lundi, la Banque centrale a voulu envoyer un signal fort aux agents financiers locaux qu'il était grande temps de mettre le pied sur la pédale de frein.

Pensez-vous qu'elle parviendra à le faire?
Je pense que l'on a tendance à minimiser la gravite de la situation. Certains investisseurs considèrent que la croissance chinoise pourrait ressortir à 6% et que cela sera suffisant pour éviter l'accident. Tel n'est pas notre avis.

Les mesures prises pour calmer les ardeurs n’ont non seulement pas été efficaces mais pourraient, de plus, avoir des effets pervers. Le train à grande vitesse est lancé et il est difficile de le maîtriser.

Aux déséquilibres internes s'ajoutent une instabilité externe. Alors que la Chine éternue, les autres pays émergent s'enrhument. Le moteur des exportations est en panne. La dépendance à la demande des pays développés en forte ralentissement se fait ressentir.

L'indice PMI d'HSBC du secteur manufacturier est a son plus bas depuis neuf mois, ce qui témoigne d’une accélération de l’essoufflement de l’économie.

Comprenez-vous la réaction très négative des investisseurs à la position avancée par la Banque centrale. Celle-ci a tout de même agi en vue de baisser le taux interbancaire...
Suite à un défaut de remboursement d'une banque régionale, le marche interbancaire a été fortement perturbé. Cela a entraîné une hausse sensible du taux interbancaire qui naturellement s'est répercuté sur les taux variables des crédits bancaires. Pour limiter la survenance d'un dérapage, la Banque centrale est intervenue en injectant de la liquidité. Le taux interbancaire est passé de 12% à 5,6%.

Selon vous, nonobstant la substance de son dernier communiqué, la Banque centrale accentuera son intervention sur les marchés ?
La Banque centrale finira par lâcher du leste afin de limiter les répercussions négatives d'un trop fort resserrement du robinet de crédit a l'égard de certains entités confrontées a des difficultés de refinancement.
Elle aura néanmoins beaucoup de mal a régler le problème d'hyperliquidité dans le système.

Quel regard portez-vous sur la récente remontée du yuan ?

Le yen japonais s'est déprécié de l’ordre de 30% par rapport au yuan chinois.
La plupart des autres devises émergentes ont perdu de la valeur, en particulier contre le dollar et notamment la devise brésilienne et la devise indienne.
Seule la devise chinoise enregistre encore une appréciation depuis le début de l'année contre le dollar.
Il est ainsi assez logique que nous ayons une pause dans la réévaluation du yuan de la part de la Banque centrale de Chine pour éviter une trop importante perte de compétitivité, ce d'autant plus que le cours du billet vert ne cesse de s'élever depuis quelques temps.

Avez-vous un commentaire à faire sur l'accord d'échange de devises conclu entre la Banque centrale d'Angleterre et la Banque centrale de Chine ?
Cet accord s'inscrit dans la droite ligne des autorités chinoises de vouloir de plus en plus internationaliser l'utilisation du yuan. Plusieurs accords de ce genre ont été conclus avec d'autres grandes banques centrales de la sphère émergente.

Pour ce qui est du Royaume-Uni, c'est une manière d'ériger la City comme centre de négociation majeur pour la devise chinoise et de resserrer les liens d'affaires entre les entreprises britanniques et les entreprises chinoises.

Quelle est votre allocation d'actifs du moment ?
Nous sommes en retrait depuis un mois. A court terme, le marché est survendu et nous pourrions assister à un rebond technique qui ne remettra pas en question le bear market du marché actions à l’œuvre depuis quelques semaines.
Le marché obligataire se caractérise aujourd’hui par une bulle gigantesque.
Nous devrions avoir un été chahuté?
Très probablement.

Un petit rebond de 6-7% n'est pas à exclure dans un marche en recul de 13-14%.

La classe des actifs émergents est à éviter aussi bien dans le domaine obligataire que dans le domaine des actions...
Pour certains acteurs français, la pleine exposition aux actifs émergents a engendré une perte de performance à deux chiffres en l'espace de deux semaines.

Depuis 2001, donc sur tout un cycle, les actions chinoises affichent une correction de 5%. L'effet psychologique est défavorable sur les investisseurs internationaux.

Jean-Luc Buchalet est l’auteur de deux livres sur la Chine :

-La Chine, une bombe à retardement aux Editions Eyrolles (mai 2012)
-Chine, la face cachée aux Editions Editea (mars 2012)



Propos recueillis par Imen Hazgui