Interview de Frédéric Jamet : Directeur de la gestion de State Street Global Advisors France

Frédéric Jamet

Directeur de la gestion de State Street Global Advisors France

La thématique d'une exposition abondante aux actions est totalement d'actualité

Publié le 03 Juillet 2013

Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle des marchés financiers ?
La situation s’est avérée positive sur les marchés pendant près d’un an sous l’impulsion des injections massives de liquidités par les grandes banques centrales, la Réserve fédérale américaine en premier lieu mais aussi la Banque centrale européenne, la Banque centrale d’Angleterre et la Banque centrale du Japon.

Une phase de correction s’est récemment ouverte en raison des récents discours du gouverneur de la Fed signalant une très probable baisse à venir du programme de rachat des actifs sur les marchés.
L’aversion pour le risque des investisseurs a été renforcée avec l’accentuation des interrogations sur la situation des pays émergents, en particulier de la Chine. Des doutes ont été nourris sur la vigueur de la croissance du pays et sur la situation bancaire intra muros.

Les perturbations se sont propagées dans l’ensemble des classes d’actifs : les actions des pays développés et des pays émergents, les obligations d’entreprises, les obligations souveraines.

Comment interprétez-vous le changement de discours de M Bernanke ?

La motivation première de Ben Bernanke pour réduire le programme de rachat de titres réside, à mon sens, dans l’embellie de la macroéconomie américaine.
Par le rachat de 85 milliards de dollars de titres sur les marchés, tous les mois, la Fed avait pour principal ambition de stimuler la croissance et de redresser le marché de l’emploi. A présent que des points d’amélioration significatifs sont observés, en toute logique, la Banque centrale envisage une normalisation progressive de sa politique monétaire.

Quel mouvement anticipez-vous sur le taux à dix ans américain qui a beaucoup monté ces dernières semaines ?

De manière générale le taux long terme coïncide avec le taux de PIB nominal. Considérant que nous aurons en fin d’année une inflation de 1,2% avec une croissance réelle de 1,5%-2%, le PIB nominal devrait avoisiner 3%. Nous escomptons un taux à dix ans américain à 3% maximum.

Nous sommes d’avis que les inquiétudes autour du comportement de la Fed devraient s’estomper au cours du second semestre et que l’essentiel de la remontée du taux s’est faite à la suite de l’annonce de Ben Bernanke.

Quelle vision avez-vous de la Chine à l’heure qu’il est ?
Si l’on compare la situation il y a un an et aujourd’hui, on s’apercevra qu’il n’y a pas eu de véritable changement structurel dans le pays. Il ne se rien passé de capital qui justifie que l’on ait une opinion différente à celle d’il y a 12 mois.
Or, à la même période, en 2012, la Chine était considérée comme le moteur de relance de la conjoncture mondiale, en particulier du fait de son vaste marché intérieur. Désormais sont mis en exergue les problèmes démographiques, les enjeux environnementaux majeurs, les difficultés de gouvernance, les ennuis financiers avec des banques gigantesques au bord de la faillite, un développement outrancier du shadow banking system, une spéculation immobilière débridée. L’ensemble de ces zones d’ombre ne sont pas nouvelles.

Il me semble que les deux regards portés sur le pays sont fondés. Le taux de croissance de la Chine pourrait ressortir in fine à 6%, un niveau inférieur aux attentes mais un niveau encore intéressant. Une ou deux grandes banques chinoises pourraient fort bien être tourmentées. Le nom de ICBC a été évoqué. Des pertes et une augmentation de capital pourraient s’avérer nécessaires. Toutefois, cela ne remettra pas en cause le trend haussier fondamental de la Chine. Son statut de deuxième puissance mondial a de grandes chances de demeurer.

Quelle conclusion en faites vous sur les actifs émergents ?
Les marchés émergents dans leur ensemble et le marché des actions chinoises principalement sont sensiblement décotées si l’on se fie au ratio cours sur bénéfices ou encore au rendement tiré des dividendes. Toutefois le momentum n’est pas favorable à un positionnement sur ces marchés. Il y a lieu d’être prudent pour des considérations techniques. Le mouvement baissier peut se révéler exagérément important. En l’espace de quelques semaines, l’ajustement des prix a été relativement violent. Les actifs émergents ont perdu plus de 10% de leur valeur.

Quelle appréciation avez-vous de la classe actions ?
Les obligations sont chères et présentent un potentiel de gain inférieur aux actions.
Si les taux sont quelque peu remontés, ils sont cependant encore historiquement faibles, notamment par rapport à la croissance potentielle. En Europe, le rendement escompté sur les taux longs est largement inférieur au rendement des dividendes des actions, qui se situe autour de 4%. Pour certains titres de dette, des pertes en capital peuvent même être générées.

La thématique d’une exposition abondante aux actions est totalement d’actualité. Cependant plusieurs facteurs ne favorisent pas l’orientation des investisseurs vers la classe d’actifs : la forte volatilité, le retrait des opérateurs institutionnels pour des motifs essentiellement réglementaires (Bâle III pour les banques, Solvency II pour les compagnies d’assurances), la croissance atone et le chômage massif. La phase de correction qui vient de s’ouvrir renforce le barrage psychologique des acteurs sur le marché.

En quoi consiste votre allocation d’actifs du moment ?
D’un point de vue stratégique, nous sommes surpondérés sur les actions japonaises et les actions européennes. Nous sommes en revanche sous pondérés sur les actions américaines qui nous paraissent trop chères.
A court terme, du fait de considérations techniques, nous sommes neutres sur les actions émergentes. Nous avons cependant une vue positive à plus long terme.
D’un point de vue tactique, pendant cette période instable, nous mettons l’accent sur les obligations à haut rendement. Nous évitons les obligations gouvernementales et les obligations émergentes.
L’inflation n’étant pas une problématique retenue par le marché aujourd’hui, nous ne sommes donc pas sur les obligations indexées sur l’inflation.

Quels sont les principaux risques que vous surveillez ?

Nous entrevoyons trois principaux risques. En premier lieu, le pilotage du durcissement de la politique monétaire de la Fed. D'un cote la Fed doit faire en sorte d'arrêter d'inonder les marchés de liquidité. D'un autre cote elle doit s'efforcer à ne pas casser la croissance et à ne pas détériorer le marche de l'emploi.
Un deuxième risque est lié à la Chine. Dans le cas ou la croissance s'avère trop modérée, la faillite d'institutions importantes n'est pas exclue. Face à ces dérapages, un décrochage des marchés pourrait avoir lieu.
Ce risque est dissymétrique en ce sens que la croissance ne pourrait que surprendre négativement et non positivement. Nous sommes cependant optimistes à ce sujet.
Un dernier risque est relatif à l'Union européenne. Il porte à la fois sur le processus de consolidation bancaire, sur la politique de gouvernance et sur la croissance.
Si la BCE et la Commission européenne ont réussi à dessiner les grandes lignes du schéma de construction de l'union bancaire, certains gouvernements et certaines banques retardent sa concrétisation.
Un quatrième risque qui tend à disparaitre concerne la flambée des prix des matières premières et notamment du pétrole. La menace d'un choc pétrolier avec un baril de 200 dollars sur fond de considérations géopolitiques autour du Moyen Orient ou de pays latino américains comme le Venezuela ne sont plus vraiment dans les radars du fait en grande partie de l'essoufflement de la conjoncture et du développement énergétique aux Etats-Unis.

Propos recueillis par Imen Hazgui