Interview de Fabrice Montagné : Economiste chez Barclays

Fabrice Montagné

Economiste chez Barclays

Nous ne tablons pas sur un décrochage soudain de la France

Publié le 12 Juillet 2013

Quel regard portez-vous sur la macroéconomie française ?
Si l’on considère la production industrielle, la consommation des ménages, on s’aperçoit que la France résiste relativement bien. Depuis près d’un an et demi, les enquêtes de conjoncture prévoient un recul de la croissance entre 0,5% et 0,6%, or en réalité l'activité ne fait que stagner.
Un chiffre positif au deuxième trimestre n’est pas exclu.
Pour autant, nous tablons pour l’ensemble de cette année sur une contraction du PIB de 0,1% avant une amélioration pour 2014, ou nous attendons une croissance autour de 1%.

Les moteurs de l’économie de l’Hexagone sont actuellement quasiment tous éteints. La consommation est atone en raison de la politique d’ajustement budgétaire. Le surplus de revenus éventuellement dégagé devrait servir à reconstituer l’épargne.
Après plusieurs trimestre de déclin, l’investissement ne devrait que très légèrement reprendre en fin d’année. Les exportations devraient rester en ligne avec la demande mondiale, et ne contribuer qu'a la marge a la croissance de l'économie.
Ainsi si nous ne tablons pas sur un décrochage soudain de l’Hexagone, mais a une période de stagnation.

A quel niveau de déficit vous attendez-vous ?
Le plus important sera la variation du solde structurel car c'est elle qui détermine le rééquilibrage de long terme des finances publiques. Ainsi, cette variation devrait être entre 1,5% et 2% en 2013, d'environ 1% en 2014, et de 0,6% ensuite.

Une certaine marge de manoeuvre est permise dans les efforts à fournir en 2014 ?
Le gouvernement prévoit un effort structurel de l'ordre de 1% du PIB l'année prochaine, alors que la Commission européenne exige 0,7%. en fonction des aléas, le gouvernement pourrait donc ajuster le tir sans franchir la ligne rouge.

De quelle manière devraient se répartir ces efforts ?
Tout ce que nous savons c’est que le président a pris l’engagement qu’à l’issue de son mandat de 5 ans, les efforts auront été faits à part égale sur les dépenses et les recettes. Après deux ans de hausse importante des impôts, nous pouvons légitiment envisager qu’à l’avenir l’accent sera mis sur les coupes des dépenses.
Pour s'en rendre compte, il faudra toutefois attendre le projet de budget 2014 a l'automne. A ce stade nous ne pouvons que noter que les annonces vont dans le sens d'un effort accru sur les dépenses.

A quel niveau voyez-vous le chômage évoluer ?
Le taux de chômage se situe actuellement autour de 11%. On s'attend a ce qu'il continue d'évoluer en ligne avec l'activité. Une stabilisation ne devrait être constatée que l’année prochaine. Il est peut probable que la tendance s'inverse sur le court terme.

Quelle appréciation avez-vous des réformes entreprises par le gouvernement ?
Les réformes vont globalement dans le bon sens, mais a un rythme très lent. Le Pacte de compétitivité, ou encore l’accord sur la flexibilisation du marché du travail sont des avancées très intéressantes qui méritent de maintenir le cap des réformes. D’autres mesures sont à attendre du côté des retraites, des allocations familiales, des allocations chômage avant le fin de l'année. Le 17 juillet, un rapport capital du CIMAP sur la simplification de l'environnement réglementaire et fiscal doit être rendu. Nous espérons que des mesures concrètes en découleront.

Globalement, le choix du gouvernement d’axer ses mesures sur l’épargne des ménages les plus aisés et les entreprises qui font le plus de profits pour des raisons d'équité et de justice sociales semble fonctionner. Cela permet de minimiser les effets sur la consommation et donc sur l'activité et le chômage.

Ces avancées sont toutefois insuffisantes. Il faut absolument ouvrir le chantier de la reforme des marches des biens et des services.
La méthode utilisée, la négociation, suppose beaucoup de temps. Aussi, tandis que nous avons eu dans un pays comme l’Espagne un « big bang» des réformes, nous avons en France une implémentation très progressive qui a le mérite de ménager les partenaires sociaux, mais qui empêche d’avoir une visibilité d’ensemble sur les effets positifs et les effets négatifs a un instant donne. Les retombées effectives ne pourront être mesurées que dans la durée.

Selon vous, un risque politique non négligeable existe ?
Oui, il est important de le garder à l’esprit.
Dans l’actuelle configuration, des votes contestataires sont envisageables sur la réforme de la retraite, ou encore sur le budget en fin d'année. Le gouvernement n’est tout simplement pas en mesure de faire ce qu’il veut et il doit composer.
Pour éviter de se compromettre , notamment dans l’optique des prochaines élections municipales et européennes, il est a craindre que l’ampleur des réformes escomptées soit revue à la baisse pour s’assurer de leur validation.

Que voyez vous du coté de la notation de la France ?

A court terme, la France n’est pas confrontée à un problème de soutenabilité de la dette. Les perspectives d'inflation et de croissance, mais surtout la démographie jouent en notre faveur. Passée la période d’ajustement des finances publique, le pays devrait pouvoir renouer avec une croissance nominale suffisamment élevée pour ne pas risquer un emballement du stock de dette.

Alors que le gouvernement adopte des réformes allant dans la bonne direction, et que l’Europe améliore sa gouvernance, une dégradation de la note de crédit long terme de la France serait difficilement compréhensible et contre-productive. Il en serait autrement si le gouvernement ne tient pas ses promesses.

Quelle devrait être l’évolution des taux français ?
Nous escomptons une normalisation progressive des taux, ce qui implique qu'à terme, ils devraient aisément repasser au dessus de 4%. toutefois, la BCE fera en sorte que cette normalisation se fasse au rythme de l'amélioration économique et interviendra si les taux remontent trop vite et de manière désordonnée.

A quoi vous attendez-vous du coté des actifs financiers français ?
A court terme, les marches restent soutenus par les politiques monétaires et plus récemment, par l'amélioration des enquêtes de conjoncture qui redonnent confiance aux investisseurs.
Nous ne nous attendons pas à un krach , ni boursier ni obligataire pour des raisons franco françaises.

A plus long terme, si les réformes ne permettent pas a la croissance de s'affirmer et au chômage de baisser alors la France continuera de s'enrichir moins vite que nos voisins. Les actifs financiers devrait refléter cet état de fait en sousperformant par rapport a d'autre régions. C'est un problème de tendance, et non de choc soudain.

Propos recueillis par Imen Hazgui