Interview de Laurent Geronimi : Directeur de la gestion Taux chez Swiss Life Gestion Privée

Laurent Geronimi

Directeur de la gestion Taux chez Swiss Life Gestion Privée

Nous pourrions augmenter la proportion des actions françaises au cours des mois à venir

Publié le 13 Août 2013

En quoi consiste votre allocation d’actifs à ce jour ?
Nous privilégions les classes d’actifs risquées depuis que la BCE a décidé de mettre l’accent dans la conduite d’une politique monétaire non conventionnelle à l’image de la Fed en annonçant le lancement de ses opérations OMT à l’été 2012.

Tout en étant positifs nous restons prudents. A la lumière des dernières publications des résultats, les entreprises n’affichent pas une réelle volonté d’intensifier leurs investissements. Face à une incertitude économique importante, la priorité est dans la rémunération de l’actionnaire. De fait, dans une logique de croissance molle et de taux d’intérêt bas, cette stratégie a du sens…
Toutefois, cela signifie que ce sont toujours les banquiers centraux qui ont les clés pour maintenir une activité économique. La reprise demeure alors globalement fébrile car les banquiers centraux ne pourront pas tout faire, en particulier les réformes de réduction des dépenses publiques et la stabilité des politiques fiscales …

Dans un portefeuille diversifié et équilibré, quelle est la part des actions ?
Elle est de 55% contre 40% il y a six mois. Nous avons 5% sur les Etats-Unis et 3,5% sur le Japon, contre 0 il y a trois mois. Le reste est constitué d’actions européennes. Nous n’avons pas d’actions émergentes en raison de la thématique inflationniste dans des pays comme le Brésil, et du fait de l’incertitude qui plane sur la situation économique et financière en Chine. Au-delà du ralentissement de la croissance du PIB au sein de la deuxième puissance mondiale, le système bancaire fait l’objet de craintes alimentées par une importante hausse des créances douteuses liées à l’immobilier.

Comment envisageriez-vous l’évolution de votre allocation ?
Nous pourrions augmenter la proportion des actions jusqu’à 60% au détriment du monétaire par le renforcement de notre exposition aux actions françaises-qui représentent actuellement 30% du portefeuille- voire des actions italiennes et espagnoles. Nous sommes dans l’attente de réformes dans l’Hexagone, notamment sur les retraites. Nous devrions alors y voir plus clair sur la réduction du déficit public et sur l’épargne disponible.
Après les élections en Allemagne, dans le cas où le mandat de la chancelière Angela Merkel est renouvelé, nous devrions être fixés sur l’orientation des politiques budgétaires menées en Europe, en particulier dans les pays confrontés à des difficultés comme l’Espagne et l’Italie où des améliorations significatives sont notables au niveau macroéconomique. Il n’est pas exclu que nous avancions vers un plus grand fédéralisme européen.

Une large partie du décalage qui existe entre les actions européennes et les actions américaines s’explique par la persistance du risque pays et par les craintes liées à l’incapacité des entreprises européennes à se montrer compétitives au niveau international.

Vous pourriez également vous réorienter vers les actions des pays de l’Asie émergente ?

En considérant l’écart entre le rendement des emprunts d’Etat et la valorisation des actions, les marchés émergents asiatiques présentent une prime de risque relativement élevée qui les rend particulièrement intéressants. Nous pourrions alors effectivement revenir sur les actions de l’Asie émergente au détriment des actions américaines si l’activité économique redémarre.

Quid du marché britannique ?
Le marché anglais est aujourd’hui à son prix par rapport au marché de la zone euro.

Quel est le principal danger que vous identifiez pour les actions à ce jour ?

Face à une reprise moins vigoureuse qu’escomptée, les banquiers centraux pourraient être tentés de prolonger leur politique monétaire ultra expansionniste. Si le marché nourrit le sentiment que les banquiers centraux ne se préoccupent plus du niveau d’inflation, alors les actifs risqués apparaîtront surévalués en raison de l’incapacité des Etats à rembourser leur dette eu égard à une croissance trop faible, nous pourrions avoir un krach obligataire qui sera a fortiori négatif pour les actions.

Si la Fed retarde trop longtemps, au-delà de six mois, le début de la normalisation de sa politique monétaire, nous pourrions également avoir un environnement déflationniste très nuisible pour le marché actions. Dans ce cas, nous irons vers les obligations d’Etat core et/ou les obligations d’entreprises très bien notées (minimum A- chez S&P ou l’équivalent chez Moody’s et Fitch) pour obtenir un minimum de rémunération.

Comment vous positionnez vous dans débat important qui concerne l’orientation de la politique monétaire de la Fed ?
Au regard de la règle de Taylor, la politique de la Fed est très lisible par rapport au taux d’inflation et au taux de chômage cibles.

D’ici la fin de l’année, le taux à dix ans américain devrait évoluer dans une fourchette comprise entre 2,45% et 2,75%. Si les créations d’emplois sont en ligne avec les anticipations, la Fed pourrait intervenir dès septembre en réduisant très progressivement la part des achats de titres de dette adossés à des crédits hypothécaires, à ce jour de 45 milliards de dollars par mois.

Qu’attendez-vous de la BCE ?
La BCE a annoncé en juillet dernier qu’un taux de refinancement de 0.50% n’était pas un taux plancher. Une baisse de ce taux à 0,25% l’amènerait quasiment à l’équivalent du taux euribor 3 mois, permettant de relancer le marché interbancaire en favorisant ainsi la relance de l’activité économique. Une plus grande facilité de financement des banques par un assouplissement des critères d’éligibilité des actifs acceptés en collatéral serait également un moyen détourné de soutenir la croissance.

Quelles sont les thématiques que vous jouez en particulier ?
Les valeurs cycliques et les valeurs financières car les courbes des taux vont rester pentues. Les taux courts resteront bas longtemps entre 6 mois et 1 an et les taux longs augmenteront de manière contrôlée. Cette remontée des taux permettra aux assureurs de reprendre des engagements à long terme.
Nous regardons aussi les dossiers particuliers de restructuration comme Peugeot, les valeurs technologiques qui peuvent avoir un béta plus offensif.

Quel est selon vous le potentiel de rebond des actions européennes ?
Le potentiel pourrait être de 5%. Nous ne voyons pas le Cac 40 dépasser les 4250 points sur 2013.

De quoi se constitue le reste de votre allocation ?
Si l’on considère toujours un fonds diversifié et équilibré, nous avons 20% d’obligations convertibles européennes avec une sensibilité action de l’ordre de 60%, 15% d’obligations high yield européennes qui ont 50% de corrélation avec les actions, 8% de titres monétaire de la zone euro et 2% d’emprunts d’Etat italiens et espagnols.

Avez-vous une conviction sur le change et sur les matières premières ?
Il est difficile d’apprécier l’évolution du change. Il y avait une forte conviction en début d’année sur une hausse du dollar contre l’euro. Cela ne s’est pas vérifié dans les faits, notamment du fait des variations intervenues dans le positionnement de l’excédent commercial chinois. Davantage d’investissement a été fait dans les actifs de la zone euro pour avoir une force de négociation sur un certain nombre de brevets.

La variation de l’once d’or est corrélée à la variation de la masse monétaire disponible en dollars liée à la politique d’assouplissement quantitatif de la Fed. La réduction du programme d’achats de titres envisagée par la Banque centrale américaine conduit à une vision neutre ou négative sur l’or.

Nous ne voyons pas de hausse majeure des prix des matières premières en raison de la faible reprise. Une vive dynamique en Chine ou au Japon pourrait cependant provoquer une appréciation.
Des problématiques climatiques pourraient aussi pousser les prix des matières premières agricoles plus en amont. Ceci serait un facteur très défavorable car il affecterait le pouvoir d’achat, avec des soucis sociaux.

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Propos recueillis par Imen Hazgui