Interview de Yannick  Granger : Gérant au sein de Delubac Asset Management

Yannick Granger

Gérant au sein de Delubac Asset Management

Cinq risques majeurs aujourd'hui identifiés sur les marchés financiers

Publié le 30 Septembre 2013

Avez-vous été surpris par le statu quo décidé par la Réserve fédérale américaine ce mois-ci ?
Le fait que le dernier comité de pilotage de la politique monétaire de la Fed ait débouché sur un statu quo n’est qu’une demi-surprise.
La stratégie de l’institution vous parait-elle claire ?
Tout à fait. De notre avis, la Fed a agi de manière sensée. Ce sont les observateurs qui ont tendance à interpréter les données économiques avec des modes de pensée du passé, avec des bases de comparaison plus tout à fait valables. D’après le FMI, l’économie mondiale fonctionnerait davantage par succession de mini-cycles économiques que sur des cycles de 5-6 ans. La réserve fédérale américaine est plus en phase avec cette nouvelle donne que les commentateurs de marché (ne veulent l’admettre).

Que voulez-vous dire ?
La Fed n’a cessé de rappeler que l’évolution de sa politique monétaire serait conditionnée par les données économiques, avec des cibles précises en matière d’emploi et d’inflation. Sur le front de l’emploi, il faut prendre acte notamment que le taux de participation au marché du travail de la population active est à son plus bas niveau depuis la fin des années 1970. Les créations d’emplois ralentissent. La brusque remontée des taux à dix ans américains peut conduire à un rehaussement des taux hypothécaires, et à une moindre disponibilité de réserves de crédit pour les ménages. Il n’y a pas d’inflation, ni du côté des prix à la consommation ni du côté des salaires.
En n’agissant pas en septembre, la Fed a laissé entendre qu’elle mènerait une sortie circonspecte et très graduelle de sa politique ultra-accommodante.

Quel regard portez-vous sur les flux massifs de capitaux sortants des marchés émergents ?

Ces retraits s’expliquent essentiellement par la forte remontée des taux à dix ans américains. A titre d’illustration, pour des fonds de pension américains, il est plus logique de se repositionner sur des emprunts souverains de leur pays, dès lors que les taux sont plus attractifs. En effet à 3% au lieu de 1.69%, les américains ont probablement préféré leur souverain que des obligations souveraines émergentes, qui rapportaient à la même période 5% mais avec un risque bien plus prononcé de signature et de devise. Par ailleurs ces retraits ont touché aussi bien les actions que les obligations.

Ces mouvements sont-ils pour vous une source de préoccupation ? Un dérapage est-il plausible ?

Un dérapage a déjà eu lieu dans certains pays quand on voit par exemple que les devises indonésienne ou indienne ont perdu 30% de leur valeur vis-à-vis du dollar américain. Ces pays seront contraints de prendre des mesures exceptionnelles, comme monter les taux, voire intervenir sur le marché des changes afin de stabiliser la situation à court terme et de procéder à des réformes structurelles à plus long terme. Leurs conditions de financement se resserrent dans un environnement de ralentissement de leur croissance économique. Les conséquences pourraient être très néfastes ne sont pas mis en place rapidement les réformes x qui s’imposent.
Sur ces marchés des variations erratiques peuvent encore être observées, mais la probabilité d’un effet de contagion sur l’ensemble des marchés internationaux est toutefois mince. Nous ne sommes pas dans la même configuration qu’à la fin des années 90 et de la crise asiatique. Les BRIC et les « Next 11 » représentent 30% du PIB mondial, une part plus importante que celle de l’Europe ou des Etats-Unis respectivement.
A l’issue du G20 a été décidée la mise en place d’un fonds de soutien et de stabilisation des pays émergents sous l’initiative de la Chine et d’autres contributeurs. Ce fonds de 100 Md$ ne sera pas mis en place dans un avenir proche, mais montre que les pays participants seront à l’avenir davantage capables de contrôler les impacts dévastateurs pour eux des flux financiers mondiaux. Avec un horizon long terme, ces marchés offrent une opportunité d’investissement attractive, bien que des turbulences soient plausibles à court terme.

Hormis le risque de forte remontée des taux, le risque de crise au sein des émergents, ou encore le risque géopolitique, entrevoyez-vous un autre risque important pour les marchés ?

Le risque de non-croissance et donc de déception n’est pas encore tout à fait écarté. Les marchés boursiers « anticipent » une reprise économique cyclique, mais comme mentionné en début d’interview, la notion de cycle est-elle comparable aux cycles passés ? De plus le scénario de déflation globale n’a pas été totalement évacué : de nombreux secteurs d’activités sont depuis fort longtemps en déflation. J’ajouterais que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, nous ne sommes pas entrés dans une dynamique vertueuse de croissance auto-alimentée. La reprise conjoncturelle n’est peut-être pas si robuste et pérenne ou simplement pas très durable, car elle a été obtenue à coup de perfusions des Banques Centrales. Le second risque est aussi de voir une déconnexion entre la valeur des actifs vue par les marchés et la réalité de l’activité économique.

Que pensez-vous du risque lié à une montée des tensions sociales ?
Vous évoquez sûrement les risques de tensions liées aux politiques d’austérité. Pour le moment ce sont les pays de la périphérie de l’Europe qui ont mis en place ces politiques, avec un degré de réussite inégal, mais ces pays ont entamé des mesures de rationalisation de leurs budgets nationaux tandis que d’autres sont loin d’avoir abordé le vif du sujet. Donc les tensions sociales … hors hypothèse d’explosion de la coalition italienne, devraient se faire oublier un temps, avec notamment un ralentissement du rythme d’imposition de la rigueur. Certains pays comme l’Espagne ou l’Italie voient quelques gains de compétitivité et semblent se redresser péniblement sur 2013-2014.

En revanche, dans un pays comme la France, c’est l’absence de politiques de rationalisation à grande échelle qui est plus inquiétante. L’Hexagone a la chance de pouvoir se financer à des taux plus proches de ceux de l’Allemagne que de ceux de l’Italie, dans un contexte de taux maintenus bas par la Banque Centrale Européenne, alors que son endettement et sa dynamique sont plus proches de l’Italie que de l’Allemagne ...

En quoi consiste votre poche actions ?
Aujourd’hui pour un portefeuille équilibré, nous détenons 55% d’actions et 45% de taux.

Sur les actions européennes, nous sommes investis depuis longtemps sur les sociétés qui disposent de «pricing power», autrement dit de la capacité à imposer leurs prix, et qui sont donc capables de préserver leurs marges. Cela exclut de fait 60 à 70% de la cote, notamment la pharmacie, l’automobile, les pétrolières, les utilities ou les financières. Parmi les segments dominants porteurs de cette thématique, nous trouvons des valeurs dans les secteurs du luxe, de la consommation durable et des services. Nous avons re-pondéré de manière tactique les valeurs décotées et nous devrions continuer à le faire au fur et à mesure des corrections de marché, sur un horizon de six mois.
D’un point de vue géographique, les actions européennes représentent 15% de notre portefeuille. Nous avons 7% seulement sur les Etats-Unis compte tenu du fort rebond des actions américaines et entre 5% et 7% sur le Japon. Du coté des émergents, nous avons investi récemment sur la Chine, l’Afrique et la Russie.

Qu’en est-il de votre poche obligataire ?
Il va falloir continuer de miser sur une duration courte, en moyenne de moins de 3.
Deux grands moments de tensions sont encore à vivre sur les marchés de taux : le début de la réduction du programme d’achats de la FED et le début de la hausse du taux directeur.

Nous ne sommes pas beaucoup investis sur les taux gouvernementaux des pays développés, car ils ne rémunèrent pas encore assez pour le risque. En réalité, nous vivons toujours dans un contexte de taux réels négatifs (rendement des emprunts d’état après prise en compte de l’inflation). Nous sommes davantage investis sur le crédit high yield. Cette classe d’actifs représente 25% de notre portefeuille équilibré.

Nous avons 10% de notre allocation sur le haut rendement européen, 5% sur des obligations convertibles internationales couvertes sur le risque de change et nous sommes encore faiblement investis sur la dette émergente et essentiellement sur la dette en dollar US. Sur la dette émergente, nous évitons encore les pays qui ont un déficit externe élevé et qui subissent des pressions négatives sur leur devise, comme l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du sud, la Turquie et dans une moindre mesure le Brésil.

Propos recueillis par Imen Hazgui