Interview de Pascal Bello : PDG du cabinet ESG Score

Pascal Bello

PDG du cabinet ESG Score

Le capital humain crée un avantage compétitif

Publié le 24 Décembre 2013

Quelle serait votre définition du Capital Humain ? Pour vous, y-a-t-il plusieurs niveaux de capital humain tant dans l’entreprise (individuel, collectif) qu’au sein de la collectivité économique (sectoriel, territorial…) ?

« La définition du capital humain de l’entreprise a de tout temps été un sujet de débat. Tous collectivement, théoriciens de l’entreprise comme praticiens, nous avons émis des hypothèses et des propositions mais il n’existe pas de consensus général, même si quelques points de vue font l’unanimité. De façon globale et partagée, le capital humain d’une entreprise représente l’ensemble des talents individuels et collectifs de ses collaborateurs ainsi que le modèle organisationnel et managérial qui permet de les articuler.

Parmi ces éléments d’actifs, certains peuvent être appréhendés de façon universelle. Ils concernent la qualification des collaborateurs, leurs expériences dans les métiers qu’ils exercent et leur aptitude à participer de manière collective aux projets de l’entreprise. Fonction par fonction, au sein des entreprises des niveaux d’engagement technique ou politique peuvent être appréhendés. Ces éléments renvoient à la dimension individuelle ou collective de la valeur du capital humain. D’autres aspects, ayant trait à l’organisation sont déterminants. Il s’agit des éléments culturels propres aux politiques d’entreprises qui peuvent faciliter la bonne coordination de l’ensemble des compétences disponibles dans le but d’une mobilisation générale et d’une saine adhésion de tous aux activités de l’entreprise. Il existe des entreprises dont on mesure intuitivement la qualité du climat général et les atouts dont elle dispose pour son développement.

D’autres éléments du capital humain renvoient plus spécifiquement à certains secteurs d’activité. La variété des actifs immatériels et des éléments de capital humain est très large. La place des NTIC, le niveau de couverture géographique, la force de la réglementation en vigueur dans les métiers sont autant de variables qui pondèrent, sinon dictent, les caractéristiques du capital humain en interne. Le savoir-faire d’un management interculturel est plus important dans une multinationale active sur les cinq continents que dans une entreprise publique aux activités uniquement nationales, évidemment. La valeur du capital humain d’une entreprise est également influencée par la place stratégique qu’occupe le facteur innovation dans son développement. L’équilibre des parts d’activités B to B et B to C influence également le type du capital humain de l’entreprise.

Le modèle organisationnel et managérial, autre facteur déterminant, est quant à lui plus spécifiquement attaché au type d’organisation (au sens Mintzberg du terme). Le statut de l’entreprise, sa taille, son antériorité ou son modèle hiérarchique définissent un type d’organisation qui nécessitera des compétences, des savoirs et des savoir-faire variables. En vertu de ces quelques règles, on voit bien la difficulté à aboutir à un modèle standard et déterministe de performance du capital humain.
Pour autant, on ne peut se résoudre à adopter une définition par défaut qui consisterait à présenter le capital humain comme le capital qui ne serait pas matériel, économique ou financier. Il est donc nécessaire de poursuivre les travaux qui sont engagés. Et il n’y pas de motif non plus suffisant à abdiquer devant la tâche, ces préoccupations de recherche et de définition étant finalement récentes, elles sont donc forcément et naturellement non encore abouties. »

Le capital humain est-il un levier majeur de compétitivité ? Dans ce cas, quelles bonnes pratiques de gouvernance du capital humain vous paraissent contribuer au business model de croissance et in fine à la valorisation de l’entreprise?

« Oui, absolument. Il est clair, ceteris paribus, qu’une entreprise dont le capital humain est de qualité dispose d’un moyen d’action plus important qu’une autre entreprise ne disposant pas des mêmes atouts bien qu’ayant des actifs économiques ou financier identiques. Il existe plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la valeur d’un capital humain constitue un avantage évident en termes d’attractivité sociale. Avant de disposer d’un capital humain de valeur, l’entreprise doit être capable d’attirer et de garder les talents. Les talents sont ceux qui assurent un développement de l’entreprise à coût et investissement raisonnable. L’attractivité sociale que véhicule l’image de l’entreprise est un atout important.

Le capital humain est également, selon la définition citée plus haut, un moyen d’articuler l’ensemble des actifs de l’entreprise de façon optimisée. Si on accepte l’idée que toute décision en entreprise est le fruit d’un acte managérial ou individuel, rien ne se décide ni ne s’exécute sans l’action d’un collaborateur ou d’un groupe de collaborateurs. Ainsi, un corps social éclairé et mobilisé agira de façon plus efficiente.

Le capital humain est aussi un des meilleurs moyens d’accroitre la contribution des actifs immatériels dans leur ensemble à la marche des affaires et de favoriser son développement. Parmi les actifs immatériels, la réputation de l’entreprise, sa culture interne, la qualité de sa gouvernance, sa politique RSE lucide et courageuse que porte chaque collaborateur sont autant de moyens qui contribuent à améliorer la marche économique et le développement. »

Comment mesurer l’investissement sur capital humain et son ROI ? Quels sont les indicateurs-clés qui seraient pertinents pour la notation extra financière?

« Le sujet de la mesure est crucial, et le chantier de la réflexion méthodologique est ouvert pour longtemps encore. Deux écoles s’opposent qui, pour la première, défend l’idée d’un travail de quantification comptable élaboré sur la base des techniques aujourd’hui adoptées, et pour la seconde, propose une rupture de méthode en considérant le capital humain comme un facteur contributeur de performance et non pas objet de performance. Dans le premier cas, on cherche à intégrer les informations du capital humain dans des processus quantitatifs de mesure et d’évaluation. Le chiffre est l’indicateur de la performance en valeur en absolue. La limite de l’exercice vient du fait que l’ensemble de la boite à outil utilisée a été élaborée avec une matière qui se prête aux calculs de quantification, c'est-à-dire les données comptables et budgétaires, mais qui n’a pas intégré les données qualitatives. A l’opposée, les travaux menés sur les facteurs de contribution, qui d’ailleurs peuvent être également évalués sur une échelle métrique, place le capital humain comme un élément facilitateur de développement et de performance, et non pas comme une fin en soi. Ce qui compte c’est la qualité des conditions préalables à l’exercice des activités.

Tout cela rend évidemment difficile le calcul du retour sur investissement des dépenses engagées. Il me semble, là également, que ce qui est important c’est le calcul de la dérivée à un instant t d’un investissement supplémentaire au profit du capital humain. L’exemple le plus illustratif est celui de la formation. Je crois peu utile et peu pertinent de comparer les valeurs du capital humain de deux entreprises sur les seuls montants des dépenses de formation, même ramenées à des ratios par chiffre d’affaires généré ou par résultats obtenu. Il est probablement plus intéressant de prendre la situation de l’entreprise à l’instant t et d’évaluer ce que rapporte le supplément d’investissement. Les ressources de l’entreprise étant à périmètre fini, ce qui compte c’est le bon arbitrage de la ventilation des montants alloués. Un supplément de dépense en formation n’est pas synonyme obligatoirement d’accroissement de performance d’entreprise, même en intégrant l’hypothétique facteur de satisfaction sociale qu’il est censé générer.

Pour la notation extra-financière les indicateurs utiles sont liés à deux niveaux de lecture différents selon que l’on travaille à une évaluation éthique, sociale et environnementale au sens strict ou bien à une évaluation RSE intégrée. Au sein de l’agence ESG Score, nous défendons une certaine idée des critères de notation du capital humain. Dans un monde complexe comme jamais auparavant, mondialisé et globalisé, la notion de responsabilisation est devenue cruciale. Les modèles Global Value© et DEEPP model© ont recours à des critères qui évaluent la capacité de l’entreprise à favoriser l’entrepreneuriat de soi, l’ouverture aux parties prenantes, la mobilité physique et intellectuelle, la prise d’initiative et l’innovation, notamment. Ces critères se déclinent en indicateurs de mesure de la mise en place des conditions de réalisation. Il s’agit d’un modèle de notation ex ante (et non pas ex post) qui ne se perd pas en conjecture sur l’appréciation des résultats. »

Avez-vous le sentiment qu’il existerait un « value gap » entre la valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Pourrait-il être diminué par une meilleure prise en compte de la valeur des actifs immatériels, tel que le capital humain, et par une communication spécifique sur cet aspect de la valeur ?

« De fait, l’asymétrie d’information existe. Elle s’explique par le fait que les données prioritairement et majoritairement prises en compte par les marchés sont économiques, budgétaires et financières. Ces données ne peuvent expliquer et démontrer à elles-seules l’entièreté du fonctionnement de l’entreprise. Cela étant, une partie des entreprises cotées sont l’objet d’une surveillance telle que ce gap value se trouve souvent réduit.
Par conséquent, ce sont les actifs immatériels et eux seuls qui peuvent expliquer ces différences de valorisation sur les marchés d’entreprises aux résultats économiques comparables. Et parmi ces actifs immatériels, le capital humain est un élément essentiel. La communication qui accompagne l’analyse des actifs immatériels est également un facteur explicatif des valorisations. »

Selon vous, pour une reconnaissance et une valorisation par les marchés, quelle serait la bonne stratégie de communication des actions relatives au capital humain ? Faut-il aller vers une communication financière et extra financière plus intégrée?

« Le problème de la reconnaissance et de la prise en compte par les marchés des éléments du capital humain, et des actifs immatériels en général, est celui de la stabilité et de l’absence d’unanimité dont ces actifs sont l’objet. Aujourd’hui, les marchés agissent et arbitrent sur la base d’information partagées et validées. Les données de rentabilité, de solvabilité ou simplement de développement sont des données acceptées par tous les acteurs économiques. Il n’en est pas de même pour les données extra-financières. Pour autant, l’essentiel du travail des analystes et des investisseurs consiste à essayer d’appréhender les aléas associés aux données qualitatives de l’entreprise. Une grande partie de leurs anticipations et de leurs spéculations s’appuie sur des données qui sont déjà intégrées par les modèles financiers et boursiers. Cet état de fait souligne le potentiel d’intérêt que présentent les données sur le capital immatériel.

Une bonne stratégie de communication consiste à adopter quelques principes de gestion, pour certains en rupture avec les pratiques anciennes. En premier lieu la transparence contribue à améliorer grandement la prise en compte des actifs non financiers. Une entreprise qui joue la transparence et qui fait la démonstration de son pilotage éclairé et lucide de ses responsabilités extra-financières présente des garanties de succès supérieures, toute chose égale par ailleurs. Une politique de concertation avec les parties prenantes est un autre élément déterminant de cette performance garantie. Dans un monde toujours plus ouvert et imbriqué, une bonne connaissance et une bonne maitrise des acteurs de son environnement permettent à l’entreprise une meilleure maitrise de ses risques. Cet ensemble de bonnes pratiques constitue ce qu’il convient d’appeler les conditions préalables à la bonne marche des affaires. Ainsi, un reporting intégré, et son lot d’usages et de pratiques internes qui l’accompagnent, sont un bon moyen d’accroitre la prise en compte des informations extra-financières par les marchés. Le reporting intégré n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste de modalités de gestion mais en constitue l’élément le plus visible. »

Pensez-vous qu’un référentiel international de l’immatériel serait utile avec un focus capital humain ou vaudrait-il mieux que les entreprises s’organisent en adaptant les systèmes de reporting déjà existants (référentiels internationaux de l’extra financier comme le GRI, systèmes nationaux comme l’art. 225 de la loi Grenelle II,...) ? A cet égard, quel est l’apport du projet de Directive Européenne sur le « non financial and diversity disclosure » ?

« L’intérêt d’un référentiel international de l’immatériel est réel. Le succès rencontré par les travaux du GRI en témoigne, comme le révèle la récente présentation des versions G4. Mais dans ce cas également je crois qu’il convient de distinguer ce qui relève des informations universelles des données spécifiques. Je reste sceptique quant à la possibilité de tout régenter dans un seul et même référentiel. Il est nécessaire de raison garder. »


Pascal Bello dirige le cabinet ESG Score spécialisé dans l’accompagnement des stratégies RSE et de développement durable des entreprises. Il a auparavant dirigé l’agence de notation BMJ Ratings pendant 15 ans, pour laquelle il a audité plus de 200 entreprises à travers le monde. Docteur ès Sciences de gestion, il est un conférencier réputé des problématiques RSE et enseigne le management et la stratégie dans diverses business schools et universités.

Interview conduite dans le cadre de la Tribune Sciences PO de l'immatériel 2013-2014, dirigée par Marie-Ange Andrieux, avec la collaboration des étudiants de Sciences Po.



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