Interview de William Nahum : Pdt de l'Académie des Sciences et Techniques Comptables et Financières

William Nahum

Pdt de l'Académie des Sciences et Techniques Comptables et Financières

La prise en compte accrue du capital humain dans l'information financière est en marche

Publié le 26 Décembre 2013

Quelle est votre définition du capital humain ? Pour vous, y-a-t-il plusieurs niveaux de capital humain tant dans l’entreprise (individuel, collectif) qu’au sein de la collectivité économique (sectoriel, territorial…) ? Le capital humain est-il pour vous un levier majeur de compétitivité ?

A mon avis, le capital humain peut se définir en le distinguant du capital nature. L’Homme se spécifie par sa capacité intellectuelle qui lui permet d’écrire l’Histoire. Il existe plusieurs types de capital humain dont les traductions quantitatives aussi bien au sein de l’entreprise (valeur ajoutée, masse salariale) que d’un pays (PIB) ne restituent que de manière très limitée à la fois sa qualité et son intensité. C’est une évidence que le capital humain constitue un levier majeur de compétitivité que ce soit au niveau micro que macroéconomique. Si la compétitivité se traduit de manière quantitative, elle pose également un enjeu qualitatif : se fait-elle au détriment du bonheur de travailler ?

Le capital humain est-il pris en compte dans l’information comptable et financière ? Des évolutions éventuelles à venir dans ces domaines ?

Le capital humain n’est pas complètement pris en compte dans l’information comptable et financière. On observe cependant une prise de conscience depuis 15-20 ans sur le sujet car il est plus compliqué de quantifier le capital humain que des biens matériels. Le capital humain est non seulement pris en compte par des grandeurs quantitatives que par des travaux qualitatifs ayant notamment donné lieu à la loi sur la RSE. Auparavant, le capital humain était comptabilisé dans le panier commun qu’était le fonds de commerce. Aujourd’hui, il est classifié dans les actifs incorporels. Les travaux d’experts dans ce domaine devraient utilement permettre une meilleure appréhension du capital humain, d’autant que le traitement massif d’informations en temps réel est désormais possible. La prise en compte accrue du capital humain dans l’information comptable et financière s’inscrit dans ce mouvement global.

Davantage dans le domaine de l’extra financier, comment mesure-t-on l’investissement dans le capital humain et le ROI associé ? Quels sont les indicateurs-clés qui seraient pertinents ? Dans quelle mesure l’Académie contribue à la réflexion sur le capital humain ?

En dehors de la comptabilité au sens strict, on restitue une mesure du capital humain par des rapports, des enquêtes verticales comme horizontales au sein des entreprises pour appréhender le climat social ou par des indicateurs traduisant le bien être (ex: indice de satisfaction au travail) ou mal être (ex: grèves) des salariés. Existe également des comparaisons macroéconomiques permettant de définir des ratios et de réaliser des benchmarks, outils auxquels je crois beaucoup en tant que président de l’Institut du Benchmarking. La mesure de la rentabilité est également essentielle dimensionnant le coût de l’investissement par rapport à son retour. L’Académie que je préside rassemble les experts-comptables mais également des fonctionnaires, des membres de la fonction libérale et des salariés d’entreprises. Cette diversité aboutit ainsi à une dynamique de capital humain permettant de confronter les cultures. En effet, un fonctionnaire ne voit pas la compétitivité du même angle qu’un salarié du privé. Les échanges d’expériences permettent ainsi d’ajuster les différentes acceptions de la sémantique du capital humain. Par ailleurs, il s’agit de proposer des réflexions, conférences et interviews dont le produit final est intelligible pour toutes ces populations.

Faudrait-il aller vers un seul référentiel de l’extra financier ? Décliné par secteur ? Quels seraient les processus de contrôle de cette information ? Relèveraient-ils de la mission des Commissaires aux Comptes ? Constitueraient-ils une mission spécifique de contrôle ?

On peut tendre à essayer d’uniformiser les pratiques par un unique référentiel permettant la comparabilité, malgré les difficultés de communication liées aux différences historiques et culturelles. Ce référentiel devra bien évidemment être décliné par secteur, les services et l’industrie lourde ne pouvant pas se comparer de la même manière. L’interaction entre différentes organisations devrait permettre de contrôler cette information, grâce à l’équilibre des pouvoirs. Les commissaires aux comptes ont bien entendu un rôle majeur à jouer mais ce ne sont certainement pas les seuls. Les sociétés produisent l’information comptable et financière, les commissaires aux comptes la contrôlent. Cette évolution demandera des formations spécifiques des parties prenantes, le capital humain étant une notion impalpable et donc non évidente pour ceux plus proches du traitement des actifs physiques. Il y a ainsi un réel effort à la fois de formation et d’information à réaliser.

In fine, le capital humain vous paraît-il suffisamment pris en compte dans la communication extra financière de l’entreprise?

Le capital humain est pris en compte dans la communication extra financière de l’entreprise. Si toutes les entreprises restituaient correctement le capital humain comme prescrit dans les textes, cela constituerait une étape importante. Je ne suis en effet pas certain que ce travail soit fait de manière pertinente partout. Il faut déjà capitaliser sur ce qui a été engrangé avant de passer à une étape suivante.

Quelle est votre prospective sur le sujet ? Pensez-vous que cette information financière et/ou extra-financière va aller croissant dans les entreprises vers une communication intégrée ?

Il faudrait réfléchir à des processus visant à mettre à contribution les salariés de l’entreprise qui ont certainement leur rôle à jouer dans la coproduction de l’information. Les lois Auroux sur l’expression des salariés s’inscrivent dans cette optique. Cette information financière et extra financière va certainement aller croissant dans les entreprises vers une communication intégrée, notamment via « l’integrated report » qui cherche comme son nom l’indique « à restituer le tout à l’intérieur de lui-même ». Un groupe de travail va d’ailleurs se constituer au sein de l’Académie sur ce sujet.

Avez-vous le sentiment qu’il existerait-il un « value gap » entre la valeur des entreprises et celle perçue par les marchés ? Que ce « value gap » pourrait être réduit par une meilleure prise en compte de la valeur des actifs immatériels ?

Que la valeur d’une entreprise ne se confonde pas toujours avec son prix peut faire débat: « Ne me dites pas votre valeur, donnez-moi votre prix ». On estime usuellement la valeur d’une entreprise sur ses résultats financiers, mais on tient également compte d’aspects qualitatifs. A cet égard, par exemple, l’ambiance au sein d’une entreprise est prise en compte par les marchés. Cependant, cela reste limité et il est certain que le « value gap » pourrait être réduit par une meilleure prise en compte des actifs immatériels.

Quelles sont les travaux ou les réflexions en cours de l’Académie sur le capital humain ?

Les groupes de travail sur la gouvernance ainsi que sur la protection des données personnelles par rapport à Internet contribuent à la réflexion sur le capital humain non seulement pour les grandes entreprises mais aussi pour les PME et ETI.


Collaborateur dans un cabinet international d’audit et dans des entreprises internationales, William Nahum a créé un cabinet il y a plus de 30 ans, constitué d’une équipe d’associés et partenaires. Il a été pendant 14 ans président de l’Ordre des experts-comptables de Paris et de la Compagnie des commissaires aux comptes de Paris puis Président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts- comptables. En 2004, il crée et préside encore aujourd’hui l’Académie des sciences et techniques comptables et financières qui compte 65 000 membres et des relais dans divers pays d’Europe. En 2007, il a créé l’association technique d’experts-comptables et de commissaires aux comptes, PROCAC, qu’il préside et qui compte plus de 500 membres en France. En Juillet 2012, William Nahum a été nommé par décret du ministère de l’économie et des finances, membre du groupe de personnalités indépendantes chargé d’apprécier les questions de méthode comptable à trancher pour l’élaboration des états financiers. Depuis mars 2013, il préside la Commission du droit et des missions comptables ainsi que le Comité prévention-résolution du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Il a été élu président du CIP National le 25 juin 2013.William Nahum est chevalier de la Légion d’honneur et commandeur de l’Ordre du mérite.

Interview conduite dans le cadre de la Tribune Sciences PO de l'immatériel 2013-2014, dirigée par Marie-Ange Andrieux, avec la collaboration des étudiants de Sciences Po.


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